La plus triste nuitJe les avais trompés de menteuses paroles.J’avais dit mon amour à jamais révoluEt j’avais auprès d’eux si bien joué mon rôle,Que cessant de me plaindre ils ne me fuyaient plus. « C’est une autre que j’aime ! Elle est si désirable !Il faudra, mes amis, que vous la connaissiez ! »Je voulais soulever le voile insoulevable,Voir ce qu’aucun amant n’a jamais contemplé… Alors je vins un soir et parmi l’ombre intimeDu salon où le feu rougeoyait sur les murs,J’amenai pour une compagne une femme anonymePlus lointaine de moi que le grand ciel obscur. Et je leur dis : « C’est elle ! » et déjà la fuméeS’élevait en tournant et put cacher mes yeuxEt la nuit déroula son ombre ensorceléeEt le rêve tissa ses fils silencieux… L’opium crépitait… Les roses se penchèrent…Les propos devenaient plus rares et moins clairsEt des siècles d’ennui sur nos fronts s’écoulèrent.Je m’accoudai les yeux immenséments ouverts. J’ai vu ma bien-aimée à tout jamais perdue,Étreinte par des bras qui n’étaient pas les miens,J’ai vu sur le divan leurs formes confonduesEt les doigts étrangers dans les cheveux divins. Et moi, j’étais auprès d’un plaintif simulacreDépourvu du pouvoir de donner le bonheurEt ma bouche était sèche et j’avais le goût âcreD’un écœurant b****r qu’on rend avec horreur. Ah ! que n’ai-je brisé soudain la lampe basseEt que n’ai-je frappé mon front sur le plancher !Car l’homme qui peut voir un tel mal face à face,D’une souillure au cœur est à jamais touché. Vers l’impassible nuit qui regarde aux fenêtresEn déroulant son flot éternel de splendeur,Vers le ciel où s’en va le poème des êtresJ’ai levé mon esprit et tendu ma douleur… « Ai-je eu tort de descendre au fond de cet abîmeSi profond que jamais les pleurs n’y couleront ?Peut-être en voulant voir ai-je commis un crimeEt ces spectres unis désormais me suivront… » Alors, le compagnon triste, la femme obscureDevinant mon malheur, m’ouvrit ses bras clémentsEt contre la pitié de cette créature,Je pus enfin pleurer longuement, doucement.