Jody
La cloche sonne marquant la fin de la pause. Poussant un soupir, je finis rapidement la page que j'étais en train de lire et referme mon livre, dépitée que ce soit déjà fini. Si cela n'avait tenu qu'à moi, je serais restée encore un peu dehors, mais malheureusement, il y a beaucoup de travail à faire.
— Jody, magne-toi !
La voix d'Angela résonne à travers la cour. Je lève la tête juste à temps, pour la voir à moitié penchée par la fenêtre.
— Oui, j’arrive !
Elle lève les yeux au ciel, marmonne quelque chose d'incompréhensible dans sa barbe et disparaît à l'intérieur fermant la fenêtre derrière elle dans un geste sec. Décidément, toujours aussi charmante. Je m'empresse de rentrer afin de minimiser le risque d'un énième sermon de sa part. Je retire mon écharpe et mon manteau à la va vite, les abandonne dans un coin et cours en direction de l'escalier menant aux dortoirs, mon livre sous mon bras.
Pourvu qu'elle me laisse tranquille. Pourvu qu'elle me laisse tranquille. Pourvu...
— Attention !
Mon corps heurte de plein fouet celui d'une autre personne. Un cri de surprise s'échappe de mes lèvres. Les bras de la personne se referment fermement autour de ma taille, m’évitant de tomber sur le carrelage gelé à cause du froid et du manque de chauffage de la demeure.
— Tout va bien ?
— Oui, m...
Mes mots restent en suspens tandis que mon regard croise celui d'un vert noisette intense du jeune homme que j'ai percuté de plein fouet. Un doux frisson me parcourt le long de la colonne vertébrale. Ce regard...Je l'ai déjà vu quelque part. Mais oui, bien sûr. Loras Edward Jervie Pembleton, petit-fils de Lord Pembleton. Il m’aide à me redresser sans lâcher mon regard d’une seconde. Le contact de sa peau douce et tiède me fait agréablement frissonner.
— Tout va bien ? me demande-t-il à nouveau.
Je me racle la gorge et cligne rapidement des yeux.
— Oui, merci Monsieur.
Un rire bref et amusé s'échappe de ses lèvres. Il secoue la tête et lève les yeux au ciel, tout en répétant le mot "Monsieur" dans un souffle.
— JODY !
Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. Je vais me faire tuer. Je me tourne de nouveau face à mon interlocuteur. De toute façon, je ne suis plus à quelques secondes près.
— Je vous prie de m'excuser, le devoir m'appelle.
Il acquiesce d'un signe de tête, compréhensif.
— Les derniers préparatifs pour la visite mensuelle des Bienfaiteurs.
— Exact.
— Allez-y, je ne voudrais pas vous causer des ennuis.
— Êtes-vous venu avec votre grand-père ?
Il prend une grande inspiration tout en s'humectant les lèvres.
— Non mademoiselle Beauchamp. Il est mort.
Et zut. Bien joué Jody. En même temps, cela doit faire au moins quatre bonnes années que nous ne nous sommes pas vus. J'avais douze ans et lui vingt-et-un. Pourtant, je m'en souviens comme si c'était hier.
— Je suis désolée, je lui dis d'une voix douce et sincère.
Même si je dois reconnaître que son grand-père était un homme strict, sévère et même un peu hautain sur certains points, je crois qu'ils étaient proches. Ils ne venaient jamais ici l’un sans l’autre.
— JODY !
— J’ARRIVE ! je m’exaspère.
Loras émet un rire franc, visiblement amusé par ma vivacité d'esprit.
— Je vous en prie Jody, ne vous attirez pas d'ennuis et allez-y. Nous aurons tout le temps de discuter plus tard.
J'acquiesce d'un signe de tête, lui adresse un sourire d'excuse et fais demi-tour d'un pas précipité afin de regagner la cage d'escaliers, prête pour le sermon habituel d’Angela.
— Oh et Jody ? (Je me stoppe net et tourne la tête. Une lueur à la fois mystérieuse et sérieuse illumine le regard de Loras dont les lèvres s’étirent en un sourire presque imperceptible.) Quelque chose me dit qu’il va y avoir du changement.
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