Loras
Près de la fenêtre, les bras croisés derrière le dos, j’observe Jody arpenter la cour, le nez plongé dans le livre qu’elle tient. Ses bottines usagées laissent des traces dans la neige scintillante. Ses vieux vêtements, ainsi que son manteau dépassé de mode, ne couvrent pas complètement son corps frêle. Il va falloir que je songe à lui faire confectionner une garde-robe neuve dès lors que tout sera en ordre.
— Êtes-vous sûr que c'est bien ce que vous voulez, Lord Pembleton ?
Je cligne des yeux, rappelé à la réalité. Jetant un dernier coup d’œil à Jody, je reprends ma place aux côtés de Lord Reece, son grand-père paternel, et Miss Haswell, la directrice de l’hospice pour enfants.
— Oui, j'en suis certain.
Miss Haswel me fixe de ses yeux perçants. Ses cheveux relevés en un chignon à l’arrière de sa tête, ses fines lèvres pincées, son nez aquilin et les quelques rides qui ornent son visage, preuves de sa quarantaine bien avancée, ne font que renforcer son air sévère.
Un soupir défaitiste lui échappe :
— Dans ce cas…
Elle ouvre l'un des tiroirs de son grand bureau en rondin duquel elle extirpe un dossier que je reconnais comme étant celui de ma future protégée.
— Rappelez-moi quelles sont vos intentions vis-à-vis de Jody ? me demande le grand-père de cette dernière.
— Comme vous le savez, il y a quelque temps de ça, un contrat de confiance a été établi entre mon grand-père et Monsieur Beauchamp, stipulant que son épouse, Lady Reece, vous et lui, donniez votre accord afin que Jody devienne ma pupille, voire plus dans le futur, pour réparer les torts causés par Abigail, leur fille cadette qu’ils ont eue tardivement.
— C’est exact, acquiesce-t-il.
— Je compte donc respecter ce qui a été convenu et faire tout mon possible pour lui offrir une vie qu’elle n’aura jamais en restant coincée dans cet hospice ou une maison de travail.
L’ombre d’un sourire effleure les lèvres du vieil homme tandis qu’il hoche la tête, satisfait de ma réponse. Il y a de quoi. Non seulement je vais contribuer à maintenir sa petite-fille sur le droit chemin, mais aussi je vais faire d’elle une jeune femme honorable dont le statut « d’enfant de la honte » appartiendra bientôt au passé.
Nous échangeons un signe de tête entendu puis reportons notre attention sur la directrice. Cette dernière me tend le fameux dossier auquel je jette un coup d’œil furtif. Une photo de Jody, prise l’année dernière, trône au centre. Je ne peux empêcher mon cœur de bondir entre mes côtes tandis que je note une fois de plus la ressemblance frappante entre sa tante et elle. Sa tante… Ma fiancée déchue. Je referme le dossier d’un coup sec et le pose devant moi.
— Dernière chose, j’ajoute attirant l’attention de Lord Reece et Miss Haswell. Je ne veux pas que Jody sache d’office que son tuteur et moi ne sommes qu’une seule et même personne. Je le lui dirai le moment venu.
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