II - Un village à la frontière mexicaine.

1097 Words
II Un village à la frontière mexicaine. Une pueblita mexicaine sur les rives du Rio Bravo del Norte est une simple rancheria ou hameau. La bizarre et vieille église de style moresque italien, avec sa coupole aux couleurs variées, la cure et la maison de l’alcade sont les seules constructions en pierre de la place et occupent trois côtés d’une plazza assez spacieuse. Le quatrième côté est formé par les échoppes ou les habitations du peuple. Les maisons sont bâties en grosses briques non cuites (adobés) ; quelques-unes sont recrépies à la chaux, d’autres somptueusement peintes comme le proscénium d’un théâtre. mais la plupart ont uniformément un aspect sale et repoussant. Elles possèdent toutes une porte lourde comme celle d’une prison et des fenêtres sans vitres ni châssis. La reja de barres de fer posée verticalement résiste aux attaques des voleurs, mais non aux assauts de l’hiver. Des quatre coins de la plazza, des ruelles étroites, non pavées, poudreuses et bordées, à une certaine distance, de maisons en adobés, mènent à la campagne. Aux confins du village s’élèvent les habitations fragiles et pittoresques des pauvres péons, les descendants de la race conquise. Les habitations en briques et en terre ont, au lieu de toit, une terrasse cimentée ou en tuile, parfois vernie avec goût et bordée d’un parapet construit à hauteur de poitrine d’homme. Cette terrasse est l’azotea, signe caractéristique de l’architecture mexicaine. Quand le soleil se retire à l’horizon et que la soirée est fraîche, l’azotea offre une retraite charmante, surtout si le propriétaire de la maison aime les fleurs ; alors elle est convertie en un jardin aérien où se déploie la flore qui a rendu le paysage du Mexique justement célèbre. On fume, on boit du pinolé ou du catalan. La brise emporte la fumée et le grand air donne de la saveur au breuvage. De plus, on voit ce qui se passe dans la rue sans être aperçu. La foule affairée circule et ne songe pas à lever la tête. J’occupe l’azotea de l’alcade, et comme elle est la plus élevée du village, je domine toutes les autres. Ma vue s’étend même sur la campagne, dans laquelle je distingue le cactus, le yucca et l’agave. Le village est entouré d’une ceinture de champs cultivés où la brise agite les glands du maïs et les feuilles sombres des capsicums et des fèves (frijoles). Le chapperal avec ses halliers épineux d’acacias et de mimosas, véritable labyrinthe d’arbres légumineux, borde ces champs. Si rapprochées sont ces jungles, que je distingue les palmiers sabal nains, les rhomelias et les feuilles écarlates de la plante pila, qui brille au loin comme des étincelles de feu. Vous ne découvririez point en eux la plus légère ressemblance. (P. 13.) Le voisinage de la forêt annonce l’indolence des habitants de la petite pueblita. On doit se rappeler que ces hommes ne sont pas agriculteurs, mais vaqueros (bergers), et que les clairières du chapperal sont remplies de troupeaux de bétail espagnol et de petits chevaux andalous à courtes oreilles. Ce n’est point à dire que ces villageois n’exercent aucune industrie. Mener paître les animaux est leur principale occupation ; ils ne cultivent un peu le sol que pour récolter du maïs, dont ils font des tortillas ; du chilé pour assaisonner ce mets, et des fèves noires pour compléter leur repas. Ces végétaux et des bœufs quasi-sauvages, élevés dans d’immenses pâturages, composent toute la nourriture des Mexicains. Quant à la boisson, les habitants des plaines septentrionales trouvent un breuvage excellent — le rival du vin de Champagne — dans le cœur de l’aloès gigantesque ; ceux des régions tropicales se rafraîchissent avec le suc de l’acrocomia, ou palmier à courtes feuilles. Terre privilégiée ! Cérès et Bacchus t’aiment et te comblent de bienfaits. Hélas ! comme dans tous les pays du globe, les vues de la Providence ont été méconnues par la malignité de l’homme. Pourquoi ces populations sont-elles entassées dans les villes et les villages ? Sous un ciel brillant, un climat salubre et dans des contrées pittoresques où tout semble inviter à la vie rurale, j’ai voyagé pendant de longues heures sans rencontrer une habitation. A de longs intervalles, on aperçoit l’hacienda de quelque riche propriétaire, et bâtie comme une forteresse ; mais où sont les ranchos, les demeures du peuple ? Elles tombent en ruine. Ah ! je me rappelle que je me trouve sur la frontière, que les rives du Rio-Bravo, de sa source à la mer, sur une étendue de quinze cents milles, ont été pendant plusieurs années des champs de guerre. Plus d’une lutte sanglante s’y est engagée entre les Arabes du désert américain — les cavaliers indiens — et les pâles descendants des Espagnols. Voilà pourquoi les ranchos tombent en ruine, voilà pourquoi les haciendas sont percées de meurtrières et les populations réfugiées derrière des murailles. L’Europe féodale revit dans la libre Amérique, sur les rives du Rio-Bravo del Norte !... Environ à un mille de distance, dans la direction de l’ouest, j’aperçois un bras de la grande rivière qui brille sous les rayons du soleil levant. En cet endroit, le ruisseau décrit une courbe et baigne le pied de la colline, dont le sommet est couronné par les blanches murailles d’une hacienda. Malgré son unique étage, cette habitation a un aspect imposant. Comme toutes les constructions de ce genre, elle possède une terrasse et un parapet crénelé. De petites tourelles posées aux angles de la grande porte d’entrée coupent la monotonie des lignes du bâtiment. La tour d’une chapelle apparaît au fond. Les haciendas mexicaines sont ordinairement pourvues de ces petites capillas qui permettent aux péons de remplir leurs devoirs religieux. La réverbération des vitres derrière les rejas de fer et la végétation qui se montre au-dessus des murs enlèvent quelque chose de cet aspect lugubre particulier aux maisons de campagne mexicaines. Parmi les arbres qui contribuent ainsi à égayer l’hacienda, figure un gracieux palmier exotique d’une nature toute différente de celui qui croît dans cette zone du Rio-Bravo. Je note ce fait non à cause de la curiosité botanique qu’il m’inspire, mais parce qu’il explique un point de caractère de celui ou de celle qui est le génie de l’hacienda. Je donne un libre cours à mon imagination ; je désire gravir cette colline, et entrer dans cette superbe demeure. Les sons d’une trompette de vacher m’arrachent tout à coup à cette douce rêverie. Mes pensées prennent un autre cours, mes regards se détournent de l’hacienda et s’attachent à la plazza de la Plueblita, où des scènes bien différentes s’offrent à ma vue.
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