XVII
– Vous êtes donc quelquefois triste ? lui demandai-je avec un véritable intérêt.
– Pas souvent, monsieur ; grâce à Dieu, je suis de bonne humeur ; mais, enfin, tout le monde a ses peines, surtout quand on n’a ni parent, ni famille, ni mari, ni enfants, ni nièce autour de soi, et qu’on remonte le soir toute seule dans sa chambre pour se réveiller toute seule le matin, et n’entendre que les pattes de son oiseau sur les bâtons de sa cage ! Encore s’ils ne mouraient pas, monsieur ! s’ils étaient comme les perruches ou les perroquets qu’on voit sur le quai du port, à Marseille, et qui vivent, à ce qu’on dit, cent et un ans, on serait sûr de ne pas manquer de compagnie jusqu’à la fin de ses jours ! Mais vous vous y attachez, et puis cela meurt ; un beau matin vous vous réveillez et vous n’entendez plus chanter votre ami près de la fenêtre ; vous l’appelez des lèvres, il ne répond pas ; vous sortez du lit, vous courez pieds nus vers la cage, et qu’est-ce que vous voyez ? Une pauvre petite bête, la tête couchée sur le plancher, le bec ouvert, les yeux fermés, les pattes roides et les ailes étendues dans sa pauvre prison ! Adieu ! tout est fini ! Plus de joie, plus de chansons, plus d’amitié dans la chambre ; plus personne qui vous fête quand vous rentrez ! Ah ! c’est bien triste, monsieur, croyez-moi ! »
Et elle refoula deux larmes qui se formaient sous sa paupière.
« Vous pensez à votre chardonneret, mademoiselle Reine ? lui dis-je.
– Hélas ! oui, monsieur, dit-elle avec honte, j’y pense toujours depuis que je l’ai perdu comme cela. Quand on n’a pas beaucoup d’amis, voyez-vous, on tient au peu que le bon Dieu nous en laisse ! Celui-là m’aimait tant ! Nous nous parlions tant, nous nous fêtions tant tous les deux ! Ah ! on dit que les bêtes n’ont pas d’âme ! Je ne veux pas offenser le bon Dieu ; mais si mon pauvre oiseau n’avait pas d’âme, avec quoi donc m’aurait-il tant aimée ? avec les plumes ou avec les pattes peut-être ? Bah ! bah ! laissons dire les savants ; j’espère bien qu’il y aura des arbres et des oiseaux en paradis, et je ne crois pas faire mal pour cela encore. Est-ce que le bon Dieu est un trompeur ? Est-ce qu’il nous ferait aimer ce qui ne serait que mort et illusion ?
– Est-ce que vous n’avez rien écrit, Reine, sur ce chagrin qui paraît vous serrer le cœur ?
– Si, monsieur ; pas plus tard que dimanche dernier, en regardant sa cage vide et le mouron séché qui y pendait encore, et en me sentant pleurer, je me suis mise à lui écrire des vers, à mon pauvre chardonneret, comme s’il avait été là pour les entendre. Mais je n’ai pas pu les finir, cela me faisait trop de mal.
– Dites-moi ces vers, ou du moins ceux dont vous vous souvenez, ici, là, peu importe, c’est le sentiment que j’en veux, ce ne sont pas les rimes. »
Elle chercha un moment dans sa mémoire, puis elle dit d’une voix émue et caressante, comme si elle avait parlé à l’oiseau lui-même :
Vers à mon chardonneret
Toi dont mon seul regard faisait frissonner l’aile,
Qui m’égayais par ton babil,
Hélas ! te voilà sourd à ma voix qui t’appelle,
Cher oiseau ! la saison cruelle
De ta vie a tranché le fil !
Ne crains pas que l’oubli chez les morts t’accompagne
Ô toi le plus doux des oiseaux !
Tu fus pendant six ans ma fidèle compagne,
Oubliant pour moi la campagne,
Ta mère et ton nid de roseaux !
Moi je fus avec toi si vite accoutumée !
Nos jeux étaient mon seul loisir ;
Lorsque tu me voyais dans ma chambre enfermée,
Tu chantais. À ta voix aimée,
Mon ennui devenait plaisir !
Dans ta captivité je semblais te suffire,
Tu comprenais mes pas, ma voix,
Mon nom même, en ton chant tu savais me le dire ;
Dès que tu me voyais sourire,
Tu le gazouillais mille fois !
Oh ! notre vie à deux ! qu’elle était douce et pure !
Oh ! qu’ensemble nous étions bien !
Le peu qu’il nous fallait pour notre nourriture,
Je le gagnais à la couture ;
Je pensais : « Mon pain est le sien ! »
Je variais tes grains ; puis en forme de gerbe
Cueillie au bord des champs d’été,
Tu me voyais suspendre à ta cage superbe
Un cœur de laitue, un brin d’herbe
Entre les barreaux becqueté !
Que ne peux-tu savoir combien je te regrette !
Hélas ! ce fut à pareil jour
Que tu vins par ton vol égayer ma chambrette,
Où maintenant je te regrette
Seule sans cette ombre d’amour !
…
Et cela finissait par deux ou trois strophes plus tristes encore, et par un espoir de revoir au ciel son oiseau enseveli pieusement par elle, dans une caisse de rosier, sur sa fenêtre, fleur qui inspirait tous les ans au chardonneret ses plus joyeuses et ses plus amoureuses chansons. Je regrette de les avoir égarées en quittant Marseille.