XV
J’étais étonné et touché de ce que je lisais. C’était naïf, c’était gracieux, c’était senti, c’était la palpitation tranquille du cœur devenue harmonie dans l’oreille ; cela ressemblait à son visage modeste, pieux, tendre et doux ; vraie poésie de femme, dont l’âme cherche à tâtons, sur les cordes les plus suaves d’un instrument qu’elle ignore, l’expression de ses sentiments. Cela n’était ni déchirant ni métallique comme les vers de Reboul ; ni épique et étincelant tour à tour de paillettes et de larmes comme Jasmin ; ni mignardé comme les strophes de quelques jeunes filles, prodiges gâtés en germe par l’imitation. C’était elle, c’était l’air monotone et plaintif qu’une pauvre ouvrière se chante à demi-voix à elle-même, en travaillant des doigts auprès de sa fenêtre, pour s’encourager à l’aiguille et au fil. Il y avait des notes qui pinçaient le cœur et d’autres qui ne disaient que des airs vagues et inarticulés. L’haleine s’arrêtait à la moitié de l’aspiration, mais l’aspiration était forte, juste et pénétrante jusque dans l’âme et jusqu’au ciel. On était plus ému encore qu’étonné. C’était la poésie à l’état d’instinct, la poésie du peuple telle qu’elle est partout où elle commence, quand on ne lui prête pas encore la voix de l’art. Une monotonie triste, une romance à trois notes, sept ou huit images pour exprimer l’infini.