XIV
« – Ah ! vous écrivez des vers, mademoiselle Reine ? lui dis-je en souriant ; je m’en serais douté rien qu’à vos beaux yeux rêveurs. Il n’y a jamais de ciel sans nuages ; les rêves et les vers sont les nuages colorés de ces beaux yeux. Eh bien, voyons ; je n’en écris plus, moi, mais je les aime toujours, les vers ; c’est le bon temps de la pensée, on aime toujours à y revenir. Vous souviendriez-vous, par hasard, de quelques-uns de ceux que vous avez composés, et seriez-vous assez complaisante pour me les réciter en attendant le dîner ? Voyez, la place est belle pour cela : le soleil qui se couche, la mer qui résonne dans l’oreille en roulant et en remportant à chaque vague ses coquillages, bruissant comme une jeune fille qui chante en s’accompagnant de ses castagnettes ; ces orangers qui laissent tomber sous la brise leurs gouttes de fleurs blanches sur vos cheveux noirs, et un étranger qui fut autrefois poète, seul avec vous et assis devant vous pour vous écouter, et qui aime d’avance votre voix : cela ne vaut-il pas tout un auditoire d’académie à Aix ou à Marseille, ou même à Paris ?
– Je n’oserai jamais, dit Reine en levant le globe de ses yeux vers les feuilles sombres de l’oranger, comme si elle eût cherché un oiseau dans les branches. Ah ! non, jamais je n’oserai ! Mais tenez, monsieur, j’en ai là quelques-uns que j’ai écrits dans différents temps à mon loisir pour les montrer à M. Autran, s’il m’en demande. J’aime mieux que vous les lisiez vous-même que si je les lisais de vive voix ; cela me fera moins honte. »
Et elle tira de sa poche trois ou quatre petites pièces de vers alignés sur du gros papier et froissés par son étui, son dé et ses ciseaux dans le voyage. Pendant que je les lisais tout bas, elle s’essuyait le front avec son tablier et détournait la tête en regardant le fond de l’orangerie, de crainte de lire quelque impression défavorable sur ma figure.