Chapitre Un-2

2071 Words
“Bien joué, Joaquin,” dit Alexander. Il regarda l'aile descendre en direction des arbres en-dessous, avec le parachute en torche qui traînait derrière. Il tira ensuite sur le cordon d'ouverture et entendit un grand wouf au moment où le parachute principal fut extrait de son sac à dos par le petit parachute auxiliaire, puis il sentit la violente secousse à l'ouverture du parachute principal. L'aile mutilée toucha l'extrémité des arbres sous un angle tel qu'elle cisailla les branches supérieures puis dégringola jusqu'au sol. Une fine volute de fumée s'éleva dans l'air puis le réservoir de carburant céda en laissant échapper en volutes au-dessus des arbres un nuage de flammes et de fumée noire. Alexander scrutait l'horizon. “Bizarre,” dit-il en se tournant de tous côtés, pour essayer de voir ses hommes et de compter les parachutes, mais il ne pouvait rien voir au-delà de la coupole de son propre parachute. “Qui est en vol?” cria-t-il dans son micro. “Annoncez-vous un par un.” “Lojab,” entendit-il dans son oreillette. “Kawalski,” s'exclama le soldat Kawalski. “L'avion est là-bas, vers le sud-est.” Le C-130 fonçait comme une météorite vers la montagne avec sa traine de flammes et de fumée. L'instant d'après, il explosa comme une boule de feu. “p****n de merde,” murmura Alexander. “Bon allez, on reprend le comptage. J'ai Lojab et Kawalski.” Il compta ses hommes au fur et à mesure qu'ils donnaient leur nom. Tous les soldats avaient un numéro attribué ; l'adjudant Alexander portait le numéro un, le caporal Lojab le numéro deux et ainsi de suite. D'autres donnèrent leur nom, puis plus rien. “Dix?” dit Alexander, “Bon sang!” Il tractionna sur sa suspente droite. “Sharakova!” cria-t-il. “Ransom!” Pas de réponse. “Hé, Mon adj’” dit Kawalski par radio. “Ouais?” “La radio de Sharakova ne marche toujours pas, mais elle a sauté. Elle est juste au-dessus de vous.” “Super. Merci, Kawalski. Quelqu'un voit Ransom?” “Ici, Mon adj’,” dit Ransom. “Je crois que j'ai eu un trou noir pendant un instant en me cognant contre le côté de l'avion, mais ça y est, j'ai repris connaissance.” “Bon. Avec moi, ça fait treize,” dit Alexander. “Tout le monde est en vol.” “J'ai vu trois hommes d'équipage du C-130 sortir de l'avion,” dit Kawalski. “Ils ont ouvert leur parachute juste en-dessous de moi.” “Qu'est-ce qui est arrivé au capitaine?” demanda Lojab. “Capitaine Sanders,” dit Alexander dans le micro. Il attendit un moment. “Capitaine Sanders, vous m'entendez?” Il n'y eut pas de réponse. “Hé, Mon adj’,” dit quelqu'un par radio. “Je croyais qu'on devait sauter à travers des nuages?” Alexander regarda attentivement le sol —la couche de nuages avait disparu. C'est ça qui était bizarre : aucun nuage. “Et le désert?” demanda un autre. Sous leurs pieds il n'y avait que de la verdure tous azimuts. “Ca ressemble à aucun désert que j' connaisse. “Vise un peu la rivière au nord-est.” “Bon sang, elle est vachement grande.” “J'ai l'impression que c'est plutôt l'Inde ou le Pakistan.” “Je sais pas si le pilote a fumé la moquette ou quoi, mais en tous cas c'est pas au désert du Régistan qu'il nous a emmenés.” “Arrêtez, les pipelettes,” dit l'adjudant Alexander. Ils étaient désormais à moins de cinq cents mètres. “Quelqu'un voit le coffre d’armement?” “Que dalle,” dit Ledbetter said. “Je le vois nulle part.” “Non,” dit Paxton. “On devrait voir ces voiles oranges comme vous autres les p't**s Blancs au milieu du ghetto, mais j' les vois pas.” Aucun des autres ne voyait non plus trace du coffre d’armement. “OK,” dit Alexander. “On se dirige vers cette clairière juste au sud-ouest, à dix heures.” “Reçu, Mon adj’.” “On est juste derrière vous.” “Ecoutez bien, les gars,” dit l'adjudant Alexander. “Dès que vous touchez le sol, affalez votre parachute et attrapez votre pétard.” “Ouh, j'aime bien quand il parle mal.” “Mets-la en veilleuse, Kawalski,” dit-il. “Je suis sûr qu'on a été vus, donc soyez prêts à tout.” Tous les soldats se laissèrent descendre dans la clairière et se posèrent sans encombre. Les trois derniers hommes d'équipage de l'appareil se posèrent derrière eux. “Première Section,” ordonna Alexander, “délimitez un périmètre.” “Bien reçu.” “Archibald Ledbetter,” dit-il, “toi et Kawalski, montez à ce grand chêne et installez un poste de guet, et apportez des armes aux trois hommes d'équipage.” “Entendu, Mon adj’.” Et Ledbetter et Kawalski se dirigèrent en courant vers les hommes d'équipage du C-130. “Tout est calme dans le secteur est,” dit Paxton. “Pareil ici,” dit Joaquin de l'autre bout de la clairière. “Très bien,” dit Alexander. “Tenez-vous prêts. Ceux qui nous ont descendu ne vont pas tarder à revenir vers nous. Fichons le camp de cette clairière. On est comme des pigeons d'argile si on reste là.” “Hé, Mon adj’,” murmura Kawalski dans son micro. “Y a deux types qui s'amènent vers vous au pas de course.” Ledbetter et lui étaient arrivés à mi-hauteur du chêne. “Où ça?” “Sur vos six heures.” L'adjudant Alexander fit volte-face. “C'est bien ça,” dit-il au micro en regardant approcher les deux individus. “Tout le monde à couvert et préparez vos armes.” “Je crois qu'ils sont pas armés,” murmura Kawalski. “Silence.” Alexander entendit les individus s'approcher de lui à travers les broussailles. Il se plaqua contre un pin et arma le percuteur de son Sig automatique. Un instant plus tard, ils passèrent près de lui en courant. Il s'agissait d'un homme et d'une femme, qui n'avaient d'autre arme qu'une fourche en bois tenue par la femme. Ils ne portaient rien d'autre que de courtes tuniques en haillons, et ils marchaient pieds nus. “C'est pas des Talibans,” murmura Paxton dans le combiné. “Trop blancs.” “Trop quoi?” “Trop blancs pour des Pakis ou des Indiens.” “Ils continuent d'avancer, Mon adj’,” dit Kawalski de son perchoir dans l'arbre. “Ils sautent comme des dératés par-dessus les troncs et des rochers.” “Eh bien,” dit Mon adj’, “c'est vraiment pas après nous qu'ils en avaient.” “Ils ne se doutaient même pas qu'on était là.” “Encore un autre,” dit Kawalski. “Quoi?” “Y en a un autre qui arrive. Dans la même direction. On dirait un gamin.” “Mets-toi à couvert,” murmura Mon adj’. Le gamin, un garçon d'environ dix ans, passa en courant. Il avait la peau d'un blanc très clair et portait le même genre de tunique que les autres. Lui aussi était pieds nus. “Y en a encore d'autres,” dit Kawalski. “On dirait que c'est toute une famille. Ils avancent lentement, et traînent une espèce d'animal. “Une chèvre,” dit Ledbetter depuis sa position dans l'arbre à côté de Kawalski. “Une chèvre?” demanda Alexander. “Ouaip.” Alexander avança au devant de la première personne du groupe – une jeune fille et leva le bras pour qu'elle s'arrête. La fille cria et retourna en courant d'où elle était venue puis bifurqua dans une autre direction. Une femme du groupe vit Alexander et tourna pour courir après la fille. Quand arriva l'homme à la chèvre, Alexander lui pointa son pistolet Sig sur la poitrine. “Tiens-toi de ce côté-là.” L'homme poussa un cri de surprise, lâcha la corde et s'enfuit aussi vite qu'il put. La chèvre bêla et essaya de mordre la manche d'Alexander. La dernière personne, une petite fille, regarda Alexander d'un air curieux mais ensuite ramassa le bout de la corde et emmena la chèvre, dans la direction où son père était parti. “Bizarre,” murmura Alexander. “Ouais,” dit quelqu'un dans le combiné. “Trop bizarre.” “Vous avez vu leurs yeux?” demanda Lojab. “Oui,” dit le soldat Karina Ballentine. “Mis à part la petite, ils étaient terrorisés.” “Par nous?” “Non,” dit Alexander. “Ils couraient pour échapper à autre chose. Et je n'ai pas pu les arrêter. J'aurais aussi bien pu être un indien vendeur de cigares.” “L'image gravée d'un Amérindien dans un bureau de tabac,” dit le soldat Lorelei Fusilier. “Quoi?” “On n'a plus le droit de dire 'Indien'” “Et merde. Et 'abruti', on peut?” dit Alexander. “Est-ce que ç'est vexant pour une race, une croyance ou une religion quelconque?” “Croyance et religion, c'est pareil.” “Non, c'est faux,” dit Karina Ballentine. “Une croyance est un ensemble de principes, et la religion, c'est le culte des divinités.” “En fait, on préfère ‘cérébralement défavorisé’ à ‘abruti.’” “Toi, t'es un défavorisé de la personnalité, Paxton.” “Vous allez tous fermer vos gueules!” cria Alexander. “J'ai l'impression d'être une p****n de maîtresse de maternelle.” “Une institutrice pour jeunes enfants.” “Une tutrice pour les tout-petits.” “Doux Jésus!” dit Alexander. “Là, je suis vraiment vexé.” “Y en a d'autres qui arrivent,” dit Kawalski. “Y en a un paquet, et vous feriez mieux de dégager le passage. Il sont pressés.” Trente personnes défilèrent précipitamment devant Alexander et les autres. Ils étaient tous habillés de la même façon, avec de simples tuniques courtes, et sans chaussures. Leurs vêtements étaient en haillons et taillés dans un tissu grossier de couleur grise. Quelques uns d'entre eux tiraient derrière eux des boeufs et des chèvres. Certains portaient des outils de ferme rudimentaires et une femme portait un pot en terre cuite rempli d'ustensiles de cuisine en bois. Alexander s'avança pour attraper un vieil homme par la manche. “Vous êtes qui, et pourquoi vous vous dépêchez comme ça?” Le vieil homme criait et essayait de se libérer, mais Alexander le tenait fermement. “N'ayez pas peur. Nous ne vous ferons pas de mal.” Mais l'homme avait peur ; en fait, il était terrorisé. Il n'arrêtait pas de se retourner pour regarder derrière lui, en bafouillant quelques mots. “C'est quoi cette langue à la con?” demanda Alexander. “Rien que j'connaisse,” dit Lojab, debout à côté d'Alexander qui portait son M16 dans les bras comme un bébé. “Moi pareil,” dit Joaquin, qui se tenait de l'autre côté d'Alexander. Le vieil homme les regardait l'un après l'autre. Il était visiblement effrayé par ces étrangers, mais il l'était encore bien plus par quelque chose derrière lui. Plusieurs autres personnes passèrent en courant, puis le vieil homme dégagea son bras d’un coup sec et continua à tirer son boeuf pour tenter de fuir. “Vous voulez que je l'arrête, Mon adj’?” demanda Lojab. “Non, laisse le partir d'ici avant qu'il nous fasse une crise cardiaque.” “Les mots qu'il a dits, c'était pas du tout du pachtoun.” “Ni de l'arabe.” “Ni de l'urdu.” “De l'urdu?” “C'est ce que parlent les Pakis,” dit Sharakova. “En plus de l'anglais. S'ils avaient été pakistanais, ils auraient sans doute compris votre anglais, Mon adj’.” “Ouais.” Alexander regardait les dernières personnes disparaître le long de la piste. “C'est bien ce que je pensais. Et ils ont la peau trop claire pour être pakistanais. “Tiens, tiens,” dit Kawalski. “Qu'est-ce qu'il y a encore?” demanda Alexander. “Des éléphants.” “Alors on est vraiment en Inde.” “Je croyais pas qu'on s'était écartés autant de la trajectoire,” dit Alexander. “Eh bien,” dit Kawalski, “peut-être qu'on pourrait demander à ces deux petits gamins où nous sommes.” “Quels deux petits gamins?” “Ceux qui sont sur les éléphants.”
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