Chapitre premier
Sondra
Je tirai sur l’ourlet de mon uniforme de femme de chambre, une robe à fermeture éclair. La tenue rose Malabar s’arrêtait en haut des cuisses et m’allait comme un gant, moulant mes courbes, soulignant mon décolleté. Clairement, les propriétaires de l’hôtel et casino Bellissimo voulaient que leurs femmes de chambre aient l’air aussi sexy que leurs serveuses.
Je faisais avec. Je portais une paire de chaussures à talons compensés et à lanières, suffisamment confortables pour nettoyer les chambres, mais suffisamment sexy pour souligner le galbe de mes jambes, et j’avais remonté mes cheveux blonds qui tombaient sur mes épaules en deux couettes souples.
À Rome, fais comme les Romains, hein ?
Mes amies féministes de l’université auraient pété les plombs.
Je poussai le chariot de ménage pas si petit que ça dans le couloir du côté grand hôtel du casino. J’avais passé la matinée à nettoyer les saletés des gens. Et permettez-moi de vous le dire, les saletés à Las Vegas sont incroyables. Attirail de drogue. Sperme. Préservatifs. Sang. Et c’est un endroit onéreux et de grande classe. Je ne travaillais ici que depuis deux semaines et j’avais déjà vu tout ça, et bien davantage.
Je travaillais rapidement. Certaines des femmes de chambre recommandaient de prendre son temps pour ne pas être surchargé par encore plus de travail, mais j’espérais encore impressionner quelqu’un du Bellissimo, qui me donnerait un meilleur boulot. D’où la tenue de fantasme de soubrette, version casino.
Me pomponner m’avait probablement été soufflé par ce que ma cousine Corey surnommait la Voix du Mal. J’étais à l’opposé d’avoir un sixième sens ou d’écouter la voix de la raison, surtout en ce qui concernait la population masculine.
Pourquoi serais-je fauchée et sous le coup d’une déception amoureuse à cause du fêtard infidèle que j’avais laissé à Reno, sinon ? J’étais une femme intelligente. J’avais un master. J’avais un poste de professeur adjoint correct et un bel avenir.
Mais quand je m’étais rendu compte que tous mes soupçons sur l’infidélité de Tanner étaient vrais, j’avais chargé la Subaru que je partageais avec lui et j’étais partie à Las Vegas pour loger chez Corey, qui avait promis de me trouver un boulot de croupière avec elle ici.
Mais il n’y avait pas de boulot de croupier disponible en ce moment – seulement dans l’entretien. Donc maintenant j’étais au bas de l’échelle, fauchée, célibataire, et sans véhicule parce que ma voiture avait été réduite à l’état d’épave dans un délit de fuite le jour de mon arrivée.
Pas que je prévoyais de rester ici sur le long terme. Je ne faisais que tâter le terrain à Las Vegas. Si ça me plaisait, je postulerais pour un emploi de professeur adjoint à l’université. J’envisageais même d’être professeure remplaçante au lycée une fois que j’aurais un véhicule pour me déplacer.
Mais si je pouvais décrocher un travail de croupière, je le prendrais parce que la paie serait trois fois supérieure à ce que je gagnerais dans le système scolaire public. Ce qui était une tragédie dont il faudrait discuter un autre jour.
Je retournai dans l’espace de stockage principal, qui était aussi le bureau de ma cheffe, et remplis mon chariot dans la réserve d’entretien, empilant des serviettes et des boîtes à savon en rangs soignés.
— Oh, pour l’amour du ciel !
Marissa, ma responsable, fourra son téléphone dans la poche de sa tenue de femme de chambre. C’était une femme sexy de quarante-deux ans. Sa robe la moulait à tous les bons endroits, donnant l’impression que c’était une robe qu’elle avait choisi de porter, plutôt qu’un uniforme.
— J’ai quatre personnes en congé maladie aujourd’hui. Maintenant je dois aller faire les suites des patrons moi-même, grogna-t-elle.
Je me redressai. Je le savais... c’était la Voix du Mal. J’avais une fascination morbide pour tout ce qui était mafioso. Genre, j’avais regardé chaque épisode des Soprano et j’avais mémorisé le script du Parrain.
— Vous voulez dire les chambres des Tacone ? Je vais les faire.
C’était stupide, mais je voulais les apercevoir. À quoi ressemblaient de vrais mafieux ? À Al Pacino ? À James Gandolfini ? Ou étaient-ils simplement des types ordinaires ? Peut-être que j’étais déjà passée à côté d’eux avec mon chariot.
— J’aimerais bien, mais vous ne pouvez pas. C’est une question d’habilitation de sécurité spéciale. Et croyez-moi... vous n’en avez pas envie. Ils sont super paranos et vachement difficiles. Vous ne pouvez pas faire une erreur dans ce que vous regardez sans vous faire passer un savon. Ils ne voudraient vraiment pas voir quelqu’un de nouveau là-haut. Je perdrais probablement mon boulot, à vrai dire.
J’aurais dû être intimidée, mais ces nouvelles ne faisaient que renforcer le mystère que j’avais créé dans mon esprit autour de ces hommes.
— Eh bien, je suis volontaire et disponible, si vous voulez. J’ai déjà terminé mon couloir. Ou je pourrais vous accompagner et vous aider ? Pour que ça aille plus vite ?
Je vis ma suggestion se faufiler entre ses objections. L’intérêt apparut sur son visage, suivi par davantage de consternation.
J’adoptai une expression serviable et pleine d’espoir.
— Eh bien, peut-être que ça irait... Je vous superviserai, après tout.
Oui ! Je mourais de curiosité de voir les boss de la mafia de près. C’était idiot, je le savais, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Je voulus envoyer un texto à Corey pour lui annoncer la nouvelle, mais je n’avais pas le temps. Corey savait tout de ma fascination, puisque je lui avais déjà tiré les vers du nez.
Marissa chargea d’autres choses sur mon chariot et nous partîmes ensemble vers le hall d’ascenseurs spéciaux : les seuls qui atteignaient le haut du bâtiment et requéraient une carte magnétique d’accès.
— Alors, ces gars sont vraiment susceptibles. La plupart du temps, ils ne sont pas dans leurs chambres, et la seule chose dont vous devez vous inquiéter, c’est de rester éloignée de leurs bureaux, expliqua Marissa une fois que nous eûmes quitté le dernier étage public et qu’il ne resta plus que nous deux dans l’ascenseur. N’ouvrez aucun tiroir… ne faites rien qui puisse avoir l’air fouineur. Je suis sérieuse… Ces gars sont effrayants.
Les portes coulissèrent et je poussai le chariot, la suivant et tournant vers la première porte. Le bruit de voix masculines bruyantes provenait de la chambre.
Marissa grimaça.
— Frappez toujours, chuchota-t-elle avant de lever la main et de frapper du poing.
Clairement, ils ne l’entendirent pas, parce que la discussion bruyante continua.
Elle frappa de nouveau et l’échange s’arrêta.
— Ouais ? lança une voix masculine et profonde.
— Femme de chambre.
Nous attendîmes alors que le silence accueillait son annonce. Après un instant, la porte s’ouvrit en grand pour révéler un homme d’âge mûr aux cheveux légèrement grisonnants.
— Ouais, on allait partir.
Il enfila ce qui devait être une veste de costume à mille dollars. Un léger embonpoint élargissait sa taille, mais autrement il était extrêmement beau. Derrière lui se tenaient trois autres hommes, tous habillés de costumes tout aussi élégants, aucun ne portant de veste.
Ils nous ignorèrent alors qu’ils passaient à côté de nous, reprenant leur conversation dans le couloir.
— Alors je lui dis...
La porte se referma derrière eux.
— Ouf ! souffla Marissa. C’est bien plus facile s’ils ne sont pas là.
Elle leva les yeux vers les angles de la pièce.
— Bien sûr il y a des caméras partout, alors ce n’est pas comme si nous n’étions pas observées.
Elle pointa du doigt une minuscule lumière rouge qui provenait d’un petit appareil installé dans le coin du mur et du plafond. Je les avais déjà remarquées partout dans le casino.
— Mais c’est moins stressant que de devoir marcher sur la pointe des pieds autour d’eux.
Elle fit un mouvement sec de la tête vers l’extrémité du couloir.
— Vous prenez la salle de bains et les chambres, je m’occuperai de la cuisine, du bureau et de la salle de séjour.
— Compris.
J’attrapai le matériel dont j’avais besoin sur le chariot et me dirigeai dans la direction qu’elle avait indiquée.
La chambre était bien aménagée, mais d’une manière impersonnelle. Je tirai les draps et le couvre-lit pour faire le lit. Les draps étaient probablement tissés de trois mille fils, si ça existait. C’était peut-être une exagération, mais, vraiment, ils étaient incroyables.
Juste pour le plaisir, j’en frottai un contre ma joue.
C’était si doux et soyeux ! Je n’arrivais pas à imaginer comment ce serait d’être allongée dans ce lit. Je me demandai lequel des gars dormait ici. Je fis le lit au carré, de la manière dont Marissa m’y avait entraînée, fis la poussière et passai l’aspirateur, puis enchaînai sur la seconde chambre et enfin la salle de bains. Quand j’eus terminé, je trouvai Marissa passant l’aspirateur dans la salle de séjour.
Elle l’éteignit et renfila le cordon.
— Terminé ? Moi aussi. Allons à la suivante.
Je poussai le chariot et elle frappa à la porte de la suite au fond du couloir. Pas de réponse.
Elle nous fit entrer.
— C’est bien plus rapide que vous m’aidiez, dit-elle d’un ton reconnaissant.
Je lui lançai un sourire.
— Je pense que c’est plus amusant de travailler en équipe aussi.
Elle me rendit mon sourire.
— Ouais, c’est bien pour changer, mais d’une certaine manière je ne pense pas qu’ils seraient partants pour ça régulièrement.
— Même répartition ?
— À moins que vous ne vouliez échanger ? Celle-là n’a qu’une chambre.
— Non, dis-je. J’aime bien.
Bien sûr, c’était à cause de ma curiosité dévorante. Il y avait davantage d’effets personnels dans une chambre et une salle de bains, même si je n’avais rien vu d’intéressant dans la suite précédente. Je n’allais pas fouiner, bien sûr. Les caméras dans chaque coin me rendaient nerveuse.
Cet endroit était comme le précédent, comme s’ils avaient payé un décorateur pour les meubler et qu’ils étaient tous identiques. Grand luxe, mais pas tellement de personnalité. Enfin, de ce que je comprenais, les membres de la famille Tacone – en tout cas ceux qui dirigeaient le Bellissimo – étaient tous des hommes célibataires. À quoi pouvais-je m’attendre ?
Je fis le lit et passai à la poussière.
J’entendis la voix de Marissa qui provenait de la salle de séjour.
— Quoi ? lançai-je, mais je me rendis compte qu’elle parlait au téléphone.
Elle entra un instant plus tard, le souffle court.
— Je dois y aller, dit-elle, son visage devenu pâle. Mon fils a été transporté aux urgences pour une commotion.
— Oh merde ! Allez-y… je m’en occupe. Voulez-vous me donner la clé magnétique pour l’autre suite ?
Il y avait trois suites à ce dernier étage.
Elle regarda autour d’elle d’un air distrait.
— Non, il ne vaudrait mieux pas. Pouvez-vous terminer ici et retourner en bas ? Je vais appeler Samuel pour qu’il sache ce qui s’est passé.
Samuel était notre chef, le responsable de l’entretien.
— N’oubliez pas de rester éloignée du bureau dans l’office.
— Bien sûr. Allez-y, dis-je en lui faisant signe de partir. Allez retrouver votre fils.
— D’accord, répondit-elle en sortant son sac à main du chariot et en le passant sur son épaule. On se verra demain.
— J’espère qu’il va bien, dis-je derrière elle alors qu’elle s’en allait.
Elle me lança un faible sourire par-dessus son épaule.
— Merci. Au revoir.
J’attrapai l’aspirateur et retournai dans la chambre. Quand j’eus terminé, j’entendis des voix masculines dans la salle de séjour.
— J’espère que tu pourras dormir un peu, Nico. Ça fait combien de temps ? demanda une des voix.
— Quarante-huit heures. p****n d’insomnie.
— Bonne chance, à plus.
Une porte se ferma.
Mon cœur se mit immédiatement à battre un peu plus vite sous le coup de l’excitation ou du stress. Oui… j’étais une idiote. Plus tard, je me rendrais compte de l’erreur que j’avais commise en ne sortant pas pour me présenter, mais Marissa m’avait rendue nerveuse au sujet des Tacone et je me figeai. Mais le chariot était dans la salle de séjour. Je décidai d’aller dans la salle de bains et de nettoyer tout ce que je pouvais sans nouveau matériel. Finalement, j’abandonnai, pris mon courage à deux mains et sortis.