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La musique du club résonnait jusqu’à la rue où je me trouvais, pour marquer une pause et reprendre mon souffle avant d’aller travailler. La ruelle puait le tabac froid et pire encore, une odeur infecte venue des poubelles environnantes. J’eus un léger haut-le-cœur et je me donnai du courage avant de me diriger vers la porte, pas encore prête à interrompre ma pause. Je ne savais pas exactement pourquoi je me sentais ainsi ce jour-là, mais j’étais angoissée à l’idée d’aller au travail, et une boule dans ma gorge me disait que quelque chose... clochait.
— Tu n’es pas obligée de faire quoi que ce soit qui te mette mal à l’aise, me dis-je à moi-même, certaine de passer pour une cinglée, debout à l’extérieur du club en essayant de trouver une excuse pour ne pas entrer.
Beaucoup trop de raisons me poussaient à y aller. Si je voulais finir la fac un jour, j’allais devoir garder mon emploi. Ce n’était pas le genre de travail dont j’avais toujours rêvé, mais ça payait les factures, ça me nourrissait, et quand j’aurais terminé mes études, je serais l’une des rares personnes que je connaissais à ne pas être submergée par les prêts étudiants. Le club me payait bien pour les tâches que j’effectuais, ce qui rendait tout cela plus acceptable ‒ et c’était certainement plus agréable que la dizaine de jobs de serveuse que j’avais eus à la fin du lycée et au début de la fac.
Et si j’étais parfaitement honnête avec moi-même, je savais que tout cela était nécessaire. Mes parents n’avaient pas les moyens de financer mes études, et si je voulais continuer mon éducation et avoir une carrière, j’allais devoir payer moi-même. S’ils l’avaient pu, je savais que mes parents m’auraient payé mes études, mon logement, et tout le reste sans y réfléchir à deux fois, mais nous n’avions pas ce genre de niveau de vie. Ma mère était secrétaire pour le même cabinet d’avocats depuis la naissance de mon petit frère. Il n’avait que dix-sept ans à présent, et elle n’avait pas travaillé assez pour pouvoir se mettre à la retraite. En plaisantant, elle disait qu’elle serait toujours assise derrière le même bureau chez Keller, Lawson, Waterman et Keller lorsqu’elle aurait soixante-quinze ans, mais au fond, je priais pour qu’elle n’ait pas à le faire. L’argent ne coulait pas à flots et elle et mon père faisaient de leur mieux, mais je ne voulais pas la voir travailler aussi vieille.
Mon père était travailleur indépendant depuis qu’il était tout jeune. Il était mécanicien et avait commencé à travailler pour l’un des garages de la ville avant de monter sa propre entreprise. Sa boîte marchait bien et il était très doué, assez bon pour donner à ses clients l’envie de revenir. Il était sans doute l’un des rares mécaniciens du coin à être honnête dans une ville déjà gangrenée par la pauvreté, et ses prix bas et son travail digne de confiance faisaient de lui le genre d’hommes auxquels les gens confiaient leurs réparations.
Mais malgré tout ce dur travail, cela ne serait jamais suffisant. Je ne voulais pas ajouter aux difficultés de ma famille, alors j’avais décidé de m’occuper des frais de scolarité et de logement moi-même. Si je pouvais leur éviter des inquiétudes supplémentaires et m’assurer qu’ils pourraient aider mon frère quand il entrerait à la fac, je ferais ma part. Ça avait toujours été comme ça ‒ collaborer pour le bien de la famille. Ils comptaient énormément à mes yeux.
Je regardai mon téléphone. Suzy était déjà arrivée pour son service pendant que je prenais ma pause, et je savais qu’elle se demanderait où j’étais si je prenais davantage de temps pour rester sur le trottoir à penser à mon destin. Seigneur, qu’est-ce qui clochait chez moi ce soir ? Rien n’avait changé au travail, rien ne justifiait cette hésitation. Je ne voyais aucune raison pour cela, en tout cas. Il y avait quelque chose dans l’air, et j’avais l’impression que tout était possible ce soir-là, mais sans savoir si ce serait positif.
Je poussai la porte de l’entrée qui donnait sur la ruelle et j’entrai dans la zone à l’arrière du bar. Quelques serveurs se pressaient dans tous les sens, vêtus de leur uniforme noir. Les hommes portaient des cravates écarlates assorties à la déco du club, et les femmes avaient reçu pour instruction de se maquiller dans les mêmes tons. J’étais contente d’avoir une couleur de peau mise en valeur par le rouge à lèvres profond que je devais porter tous les soirs, mais après réflexion, je me dis que nous avions sans doute été embauchées justement en raison de notre aptitude à bien le porter.
Une foule se pressait déjà autour du bar, bien qu’il ne soit pas encore très tard. C’était l’heure de ponte pour les clients du club, et je souris en pensant au fait que je pourrais me faire un ou deux pourboires supplémentaires dans la soirée.
— Salut, Tommy, dis-je en adressant un clin d’œil à l’un de nos clients réguliers du vendredi et en lui pressant brièvement l’épaule.
— Samara, ma chérie.
Il me sourit et se tourna pour m’attirer vers lui, ignorant le fait que j’essayais de me diriger vers le vestiaire du personnel.
— Ma chérie, ne pars pas. Tu sais bien que tu es ma préférée.
Je sentis ses yeux me parcourir de la tête aux pieds alors que sa main me glissait sur la hanche pour me tirer vers lui. Je sentis le début d’une érection grandir dans son pantalon, et même si une partie de moi se demanda ce que ça ferait de prendre Tommy Rollins ‒ banquier en investissement haut gradé dans une société du New Jersey ‒ comme premier amant, je me contentai de sourire et de lui poser une main sur la poitrine.
— Et tu es aussi mon préféré, dis-je. Ne l’oublie jamais.
Je me frottai légèrement à lui avant de tourner les talons et de me diriger vers le vestiaire. Je laissai échapper un grognement, inaudible à cause de la musique du club. Ce serait super d’avoir quelqu’un comme Tommy pour premier amant ‒ je savais qu’il était bon au lit et que les femmes se battaient toujours pour être avec lui dans le club. Mais je devais également garder à l’esprit que j’étais ici comme barmaid ‒ l’une des deux responsables avec ma meilleure amie et colocataire, Suzy – et je ne laisserais pas l’attirance animale que je ressentais pour l’un des types les plus riches et les plus sexy du club mettre ma carrière en péril.
Mais mon sang, j’en mourrais d’envie. Dix-neuf ans et toujours pucelle, j’étais en minorité parmi mes amies, dont la plupart avaient offert leur virginité à l’un des abrutis du lycée. L’idée de perdre ma virginité avec l’un de ces ratés sans avenir ne m’avait attiré le moins du monde. Même si au début, il s’était agi de tenir mes principes, c’était simplement devenu pesant. J’avais dix-neuf ans et je pouvais f***********r si j’en avais envie, avec qui je voulais, et beaucoup d’occasions s’étaient présentées à moi. Pourquoi ne les avais-je pas saisies ?
— Tu sais pourquoi, me dis-je en me dirigeant vers le fond du club pour retrouver Suzy, qui se préparait pour son service.
Je n’avais pas accepté les nombreuses propositions de me déflorer que j’avais reçues, car aucune d’entre elles ne semblait à la hauteur pour une première fois. J’avais connu beaucoup de rencards, et le fait que rien ne se soit concrétisé n’était pas étonnant. J’avais vite découvert qu’une grande partie de la population mâle laissait tomber les femmes comme de vieilles chaussettes si elles refusaient de coucher le troisième soir.
Bizarrement, certains hommes partaient en courant lorsqu’ils découvraient que j’étais vierge. J’avais cru, à tort, apparemment, que la virginité était appréciée par les hommes ‒ une sorte de trophée qu’ils collectionnaient. Je n’aurais jamais pensé qu’ils puissent être intimidés ou repoussés par cela.
Alors j’avais connu toute une flopée de types, des enfoirés pour la plupart, qui m’avaient lourdée après que je leur avais dit que j’attendais le bon moment et la bonne personne.
Je tirai le rideau en velours qui cachait l’entrée du vestiaire des employés. La pièce se trouvait dans un coin au bout d’un petit couloir, et abritait les casiers de toutes les serveuses, des danseuses et des autres employées.
— Hello, lança Suzy depuis l’endroit où elle était assise, devant l’un des miroirs.
Elle était installée sur un coussin en velours du même rouge que la plupart des surfaces du club.
— Salut, répondis-je. Prête pour une longue nuit. On dirait que le club est bondé.
Je m’assis sur l’un des coussins qui faisaient face à ma colocataire et la regardai alors qu’elle continuait à se maquiller pour la soirée.
— Ouais, je crois que Stew a dit qu’ils avaient mis une pub dans l’un de ces magazines d’avions qui s’adressent à... tu sais, à notre public. Il y a sans doute plein de petits nouveaux ce soir. Mieux vaut ne pas se montrer trop sympa.
Je hochai la tête. Je savais ce que Suzy voulait dire. Il y avait quelques règles à suivre impérativement dans notre travail ici, et la plus importante était que nous étions barmaids ‒ rien de plus. Il y avait toujours moyen de gravir les échelons, mais cela nécessiterait une renégociation de contrat avec notre manager, et sans doute avec les gros bonnets à la tête du club. Les nouveaux visiteurs ignoreraient sans doute que nous ‒ les barmaids ‒ n’étions pas au menu. C’était quelque chose qui pouvait déconcerter les gens qui ne connaissaient pas bien ce genre d’endroits, mais nous devions parfois remettre les pendules à l’heure. Même mon flirt avec Tommy, bien qu’assez innocent et proche de mes attributions, qui étaient de faire plaisir aux clients, frôlait la limite.
Toutes celles qui travaillaient derrière le bar ou en tant que serveuses y avaient déjà été confrontées. Un homme ou une femme qui nous repéraient et voulaient nous faire la même chose qu’aux autres employées du club. Même si les rapports sexuels à la vue de tous, l’échangisme et le b**m étaient au menu dans le club, il fallait que les clients comprennent que les barmaids ne l’étaient pas. Un gloussement avait parcouru le petit groupe de nouvelles employées lors de ma première réunion du personnel quand notre manager avait dit que nous n’étions pas « formées » pour les mêmes choses que les autres membres du personnel. Cependant, il était toujours possible de changer d’attributions si l’on était intéressées, mais l’on ne pouvait pas mélanger les deux boulots.
Je ne remarquais presque plus le s**e, maintenant que je me trouvais presque à plein temps derrière le bar. Lorsque j’avais commencé comme serveuse, j’y avais été plus exposée, car je devais apporter des boissons et des petites assiettes à l’étage principal du club, qui était généralement rempli de gens occupés à discuter et à profiter de la compagnie des autres, mais qui allaient souvent plus loin. Plus d’une fois, j’avais apporté un scotch de cinquante ans d’âge à des hommes qui insistaient pour le boire tandis qu’une jeune blonde chevauchait sauvagement leur membre. Le s**e était autorisé à l’étage principal, comme partout ailleurs dans le club, mais les rapports avaient souvent lieu dans les petits recoins qui parcouraient la grande pièce du rez-de-chaussée. Le grand bar qui régnait sur la pièce principale était très fréquenté, mais la plupart du temps, les clients demandaient à ce que leurs boissons leur soient apportées à leur place.
Les premiers jours, je voyais beaucoup plus de choses que je n’en voyais désormais, et je ne remarquais même plus les gémissements venus des alcôves. Le DJ mettait généralement la musique assez fort pour assourdir les bruits, de toute façon, où il jouait des mélodies qui se mariaient bien avec les soupirs. L’atmosphère sensuelle de mon lieu de travail était indéniable. Chaque centimètre carré du club de près de cinq cents mètres carrés pulsait au rythme du s**e, et l’odeur d’ylang-ylang, de bois de santal et de patchouli éveillait le désir de tous ceux qui pénétraient dans les lieux, tout en essayant de masquer l’arôme caractéristique du s**e et des phéromones. Je tentais de ne pas y penser trop souvent, mais il n’était pas rare pour moi d’entrer dans le club et de me retrouver immédiatement mouillée et excitée. Cela rendait ma situation encore plus difficile à supporter.
— Comment ça se passe, avec Kevin ? me demanda Suzy en m’arrachant à mes pensées.
Elle se regarda dans le miroir et appliqua précautionneusement des faux cils sur son œil gauche. Le résultat était incroyable alors qu’elle se penchait en arrière et clignait des yeux pour admirer son reflet. Suzy avait été recrutée par l’un des propriétaires, et ce n’était pas étonnant. Mon amie et colocataire faisait une tête de plus que moi, et elle semblait tout droit sortie d’un défilé de Victoria’s Secret. Ses seins hauts et pleins étaient une merveille, et la moitié des hommes du club tournaient immédiatement leur attention vers sa silhouette époustouflante. Même complètement habillée, Suzy était la femme que tous les hommes du club désiraient, et elle leur était complètement inaccessible.
— Pff... Kevin. Eh bien, c’est fini.
Lorsque j’avais quitté notre appartement plus tôt dans la journée pour aller au travail, j’étais au téléphone avec Kevin, en train de poursuivre une dispute entamée la veille. Finalement, nous n’étions pas parvenus à nous mettre d’accord.
Suzy me regarda avec un air triste. Elle m’attira vers elle et me prit dans ses bras, en veillant à ne pas essuyer son maquillage appliqué avec précaution. Elle portait de l’eye-liner qui lui faisait des yeux de chat, et elle était encore plus sexy que d’habitude. Elle étudiait pour devenir maquilleuse, alors elle essayait toujours de nouveaux looks qui ne manquaient jamais d’impressionner la clientèle du Club V.
— Merci, dis-je en me détachant d’elle. Je vais simplement rafraîchir mon maquillage, et je te rejoins dans un moment.
— À tout de suite, alors, répondit Suzy en se levant et en lissant sa minijupe moulante, avant de tirer le rideau pour se rendre derrière le bar.
Je me retournai et regardai mon propre reflet. Personne d’autre n’entamerait son service de sitôt, alors j’avais le vestiaire pour moi toute seule et je pouvais m’observer sans que personne ne me voie.
Mes longs cheveux blonds ondulés étaient lâchés, comme d’habitude, et l’on aurait dit que je rentrais de la plage. Pas étonnant que Tommy m’ait draguée. Je devais bien admettre que mes cheveux avaient rarement été aussi sexy, et je souris. Mes yeux noisette teintés de vert semblaient légèrement mystérieux et sortaient juste assez de l’ordinaire pour que l’on me fasse souvent des compliments à ce sujet, surtout à la lumière tamisée du club. Les appliques murales, le bar et les lumières des tables les illuminaient juste assez pour qu’ils scintillent. On m’avait souvent dit qu’ils étaient fascinants, et j’essayais toujours de me maquiller les yeux dans des tons verts et dorés pour accentuer cette impression.
Mes pommettes hautes, héritées de ma grand-mère, ne gâchaient rien. Je n’avais pas besoin de jouer avec des poudres de soleil pour les mettre en valeur, et j’étais reconnaissante à la génétique. Un grain de beauté au-dessus de ma lèvre supérieure m’avait ennuyée lorsque j’étais petite, mais à présent, c’était le genre de détail provocateur sur lequel les hommes et les femmes me complimentaient sans arrêt.
Je me levai et fronçai les sourcils. La seule chose que j’aurais bien changée, c’était ma taille. Du haut de mon mètre soixante-deux, j’étais l’une des plus petites employées du bar, et je devais laisser Suzy atteindre les étagères à ma place. Mais mon poids était bien proportionné et mes hanches me donnaient des courbes qui attiraient l’œil de beaucoup de monde. Mais c’étaient mes seins qui avaient la part belle. J’étais peut-être du genre menu, avec mes cinquante-cinq kilos, mais j’étais très fière de montrer mon bonnet C où que j’aille. Le club nous autorisait, Suzy et moi, à porter nos propres vêtements au lieu de l’uniforme standard du club, et nous choisissions généralement des débardeurs ou des tee-shirts moulants et très décolletés. C’était l’un des avantages de notre travail ‒ nous pouvions nous amuser, et la plupart du temps, nous ne remarquions même pas que nous travaillions.
Je lissai ma propre minijupe et je me tournai pour regarder mes fesses.
— Tu as un c*l magnifique, me dis-je en riant avant de me diriger vers le bar pour une nouvelle soirée au Club V.