§ 1er
Expropriation des maisonsLorsque les Socialistes arrivèrent au pouvoir et qu’ils furent les maîtres de Paris, la première chose à laquelle ils durent songer, ce fut d’exproprier toutes les maisons de la ville, afin de les transformer et de les mettre en harmonie avec les nouvelles institutions sociales.
Les architectes consultés à ce propos voulaient absolument qu’on démolît tout, puis qu’on reconstruisît à grands frais des maisons-modèles conformes aux plans qu’ils présentaient. Heureusement le Gouvernement était aussi prudent qu’économe. Il rejeta donc les projets des architectes qui l’auraient entraîné à de trop grandes dépenses, et il préféra utiliser les maisons de Paris telles qu’elles étaient et les adapter tant bien que mal à leur destination nouvelle, plutôt que de se lancer dans le système coûteux d’une démolition et d’une reconstruction universelles.
Mais avant de donner le détail de cette transformation de la capitale, disons d’abord comment l’Administration s’y était prise pour exproprier toutes les maisons de Paris et en devenir le très légitime possesseur. Cette acquisition de toute une ville est d’autant plus remarquable comme opération financière, que l’État, lors de l’avènement de la République, devait aux particuliers plus de 80 milliards et n’avait pas un centime en caisse.
Loin de s’effrayer de cette pénurie, et sachant parfaitement que la France était assez riche pour payer ses anciennes dettes et en contracter de nouvelles, le Gouvernement, dès qu’il fut solidement établi, se hâta d’exproprier toutes les maisons de Paris en en payant régulièrement le prix à leurs propriétaires. Ce payement, il ne le fit pas en espèces métalliques, puisqu’il ne possédait pas un centime. Il ne le fit pas davantage en papier-monnaie qui eût été immédiatement déprécié et refusé à bon droit par les expropriés. Mais il le fit tout simplement, et à la satisfaction générale, avec des titres de rentes viagères payables par le Trésor public.
On calcula le revenu moyen de chaque maison d’après les loyers des 50 dernières années, puis on capitalisa ce revenu à l’intérêt légal de 5 p 100, et le capital ainsi obtenu fut transformé en rentes viagères conformément aux tarifs adoptés par les Compagnies d’assurances.
Pendant les premiers temps, il fallut donner de très fortes sommes aux anciens propriétaires, mais comme ceux-ci mouraient tous les jours, la rente qu’on leur servait diminua d’année en année, et bientôt elle fut amplement couverte par le produit des locations que les citoyens payaient à l’État.
Du reste, ce qui aida beaucoup le Gouvernement socialiste à solder ses propres dettes et celles des régimes antérieurs, ce fut l’établissement de l’impôt sur le revenu.
Ce nouvel impôt était assis de la manière suivante. Il était proportionnel au revenu tant que celui-ci ne dépassait pas 12 000 fr. par an. Mais, au-dessus de ce chiffre, il devenait total, c’est-à-dire qu’il confisquait purement et simplement tout ce qui excédait la somme réglementaire de 12 000 fr. Le Pouvoir avait pensé que ce revenu maximum suffirait amplement à procurer tout le bien-être désirable à leur heureux possesseur et que tolérer des fortunes de 20, 50, 100, 200 mille livres de rentes, et plus encore, c’était encourager l’oisiveté et les mauvaises mœurs et conserver les pires abus de l’ancien régime.
Quand donc on avait à exproprier un de ces particuliers ayant en maisons un gros revenu, 100 000 fr. par exemple, la Caisse d’expropriation lui donnait très régulièrement un titre de rente viagère proportionnelle à son ancienne fortune. Mais, quand il s’agissait de toucher cette rente, le percepteur de l’impôt sur le revenu faisait non moins régulièrement son office. Sur les 100 000 fr., il en prenait 88 000 pour l’État et n’en laissait que 12 000 à l’exproprié. Celui-ci grognait bien un peu en se voyant ainsi réduit à la portion congrue, mais comme l’impôt en question avait été voté par les Représentants du pays et que l’Administration veillait à sa stricte exécution, il n’y avait aucune réclamation à faire et il fallait, bon gré mal gré, se soumettre à la loi.