Tandis, tous les habitants du village s’assemblèrent devant le château pour voir le soudain changement d’une fille en garçon. Ceux qui avaient déjà pris leur plaisir de cette drôlerie s’en allaient dire à leurs voisins qu’ils s’en vinssent à la grande place, et qu’ils n’y auraient pas peu de contentement. Le bon fut que les femmes, qui ont bien plus de curiosité que les hommes, et principalement en ce qui est d’une plaisante aventure, voulurent savoir ce que c’était que leurs maris avaient vu. Elles s’en allèrent en troupes jusques au château, où elles ne furent pas sitôt, qu’ayant aperçu Catherine, elles s’en retournèrent plus vite qu’elles n’étaient venues. Celles qui étaient de belle humeur riaient comme des folles, et les autres, qui étaient chagrines, ne faisaient que grommeler, s’imaginant que tout avait été préparé à leur sujet et pour se moquer d’elles.
– Oui, c’est mon, disait l’une, c’est bien en un bon jour de dimanche qu’il faut faire de telles badineries que cela ; encore si l’on attendait après le service ! Cela serait plus à propos à carême-prenant. Ho ! le monde s’en va périr sans doute : tous les hommes sont autant d’Antéchrists.
– Ne vous enfuyez pas, ma commère, dit un bon compagnon ; venez voir la servante de Valentin, elle montre tout ce qu’elle porte.
– Le diable y ait part ! lui répondit-elle.
– Sur mon Dieu, lui répliqua-t-il, vous avez beau faire la dédaigneuse, vous aimeriez mieux y avoir part que le diable.
– Va, va, lui dit une autre bien résolue, nous ne voulons pas avoir seulement part à un morceau ; nous le voulons avoir tout entier.
– Je le sais bien, reprit le rustre ; vous ne vous enfuyez de ce joyau que l’on vous a fait voir, que parce qu’aussi bien est-il trop loin de vous : il y a un fossé et une grille entre deux ; et puis vous aimeriez mieux le manier que le regarder.
– Merci Dieu ! lui dit la femme en se courrouçant ; si tu m’échauffes une fois les oreilles, je manierai le tien de telle façon, que je te l’arracherai et le jetterai aux chiens.
Ainsi les femmes eurent plusieurs brocards ; mais je vous assure qu’elles en rendirent bien le change. Au moins, si elles ne jetèrent des traits aussi piquants, elles dirent tant de paroles et tant d’injures, et se mirent à crier si haut toutes ensemble, qu’ayant étourdi tous les hommes, elles les contraignirent d’abandonner le champ de bataille, comme s’ils se fussent confessés vaincus.
Quelques villageois, s’éloignant du reste de la troupe, s’en allèrent à cette heure-là près du clos où était Valentin, qu’ils ouïrent crier à haute voix. Ils s’approchèrent du lieu où ils l’avaient entendu, ne croyant pas que ce fût lui, et furent infiniment étonnés de voir cet épouvantail couvert d’habillements extraordinaires, attaché à un arbre. En se tempêtant la nuit, son capuchon lui était tombé sur les yeux, de telle sorte qu’il ne voyait goutte et ne savait s’il était déjà jour. Au défaut de ses mains, il avait fort secoué la tête pour le rejeter en arrière ; mais toute la peine qu’il y avait prise avait été inutile. Il ne voyait point les paysans et oyait seulement le bruit qu’ils faisaient en se gaussant de cet objet qui se présentait à leurs yeux, non moins plaisant que celui qu’ils venaient d’avoir en la grande place.
L’opinion qu’il avait eue toute la nuit, que les démons s’apprêtaient à le tourmenter, lui donna alors de plus vives atteintes qu’auparavant ; car il s’imagina que c’étaient eux qui s’approchaient, et recommença d’user des remèdes que Francion lui avait appris pour les chasser. Les paysans le reconnurent alors à sa voix, et, entendant les niaiseries qu’il disait et considérant l’état où il était, crurent fermement qu’il avait perdu l’esprit, et, en s’ébouffant de rire, s’en retournèrent vers leur curé pour lui conter ce qu’ils avaient vu.
– Sans doute, dit-il, voici la journée des merveilles ; je prie Dieu que tout ceci ne se tourne point au dommage des gens de bien.
– Lorsqu’il fut à l’entrée du clos, apercevant déjà Valentin entre les arbres, il lui dit :
– Est-ce donc vous, monsieur mon cher ami ? Eh ! qui est-ce qui vous a mis là ?
Valentin, oyant la voix de son pasteur, modéra un peu sa crainte, parce qu’il vint à se figurer que les plus méchants diables qui fussent en enfer ne seraient pas si téméraires que de s’approcher de lui, puisqu’une personne sacrée était en ce lieu-là.
– Hélas ! monsieur, répondit-il, ce sont des démons qui m’ont ici attaché et m’ont livré des assauts plus furieux que tous ceux dont ils ont jadis persécuté les saints ermites.
– Mais comment, dit le curé, n’avez-vous point couché chez vous cette nuit ? Vous ont-ils porté en ce lieu-ci sans que vous en ayez senti quelque chose ? Ne sont-ce point des hommes mêmes qui vous ont accommodé de la sorte ?
Valentin ne dit plus mot alors, parce qu’il songea que celui qui parlait à lui pouvait être un démon qui avait pris une voix pareille à celle de son curé pour le tromper ; car il avait lu que les mauvais esprits se transforment bien quelquefois en anges de lumière. Cela fit qu’il recommença ses conjurations et qu’il dit à la fin :
– Je ne veux point parler à toi, prince des ténèbres ; je te reconnais bien : tu n’es pas mon curé, dont tu imites la parole.
– Je vous montrerai bien qui je suis, dit le curé en lui ôtant le capuchon. Eh quoi ! sire Valentin, avez-vous perdu le jugement, pour croire que tous ceux qui parlent à vous sont des esprits ? Pourquoi vous forgez-vous ces imaginations ? Faut-il que je vous mette au nombre de mes ouailles égarées ?
Valentin, jouissant de la clarté du jour, reconnut que tous ceux qui étaient autour de lui étaient de son village, et perdit tout à fait les mauvaises opinions qu’il avait conçues, quand il vit qu’ils se mettaient à le délier.
Le curé voulut savoir de lui par quel moyen il avait été mis là. Il fut contraint de raconter les enchantements que lui avait appris Francion, et de dire aussi pour quel sujet il les avait voulu entreprendre. Quelques mauvais garçons, en ayant entendu l’histoire, s’en allèrent la publier partout à son infamie ; si bien qu’encore aujourd’hui l’on s’en souvient, et, lorsqu’il y a quelqu’un qui a froide queue, l’on lui dit par moquerie qu’il s’en aille aux bains de Valentin.
Après que le bon curé eut fait plusieurs réprimandes à son paroissien sur la pernicieuse curiosité qu’il avait eue, il le mena voir le plaisant spectacle qui était au château, dont Valentin, aussi étonné que les autres, ne put rendre aucune raison. À l’instant, un homme de bonne conversation et de gentil esprit, se trouvant là, dit :
– Vous voilà bien empêchés, messieurs, vous ne vous pouvez imaginer la cause de ce que vous apercevez. Je m’en vais vous la dire en trois mots : Ce compagnon que vous voyez pendu à l’échelle était amoureux de Catherine, il la voulait aller voir sans doute ; mais pour lui montrer qu’il perdait ses peines, elle lui a découvert son devant, lui faisant connaître qu’elle n’est pas ce qu’il pensait. Tenez, il est demeuré là en contemplation, tout éperdu.
Cette ingénieuse imagination plut infiniment à la compagnie, qui pensa qu’elle saurait bientôt des choses plus véritables, d’autant que les valets de Valentin ouvrirent à l’heure le château ; mais ils entrèrent en admiration aussi grande de voir tout le mystère, que s’ils n’eussent point été du logis.
L’on eut bientôt détaché le voleur et Catherine, et l’on ne manqua pas à leur demander des nouvelles de leur affaire, vu que personne n’en pouvait rien dire. Le péril où ils étaient les avait fait résoudre à ne point répondre à toutes les interrogations que l’on leur ferait, sachant bien que leur cause était si chatouilleuse, qu’ils l’empireraient plutôt en parlant que de l’amender. L’on eut beau dire à Catherine par plusieurs fois : « Pour quelle occasion est-ce qu’étant garçon vous avez pris l’habit de fille ? » Jamais l’on n’en put tirer de raison. Laurette, étant descendue, fit l’étonnée au récit de cette aventure et, s’étant retirée petit à petit à la cour pendant que tout le monde était à la salle, s’en alla retrouver celui qui avait passé la nuit avec elle et, lui ayant derechef dit adieu, le fit déloger promptement.
Le juge du lieu, arrivé là-dessus, ne désirant pas que rien se passât sans qu’il en fît son profit, voulut persuader à Valentin qu’il fallait faire des informations ; que le dessein de Catherine et de son camarade ne pouvait être bon, et qu’ils avaient entrepris de voler son bien ou son honneur. Mais Valentin, qui savait bien ce que c’était que de passer entre les mains ravissantes de la justice, ne voulut faire aucune instance, pour ce qu’il ne trouvait point de manque à son bien. Tout ce qu’il désirait était de savoir par quel accident ces personnes-là avaient été attachées à sa fenêtre. Quant au procureur fiscal, il ne voulut point faire de poursuite, d’autant qu’il voyait bien qu’il n’y avait rien à gagner ; et puis les parties ne parlaient point, et, qui plus est, on ne pouvait trouver de preuves contre elles.
Après que la messe fut dite, l’on leur donna congé de s’en aller où ils voudraient ; et je vous assure que, deux ou trois lieues durant, ils furent poursuivis par tant de gens, qui leur firent souffrir tant de martyre, qu’il n’est point de punition plus rigoureuse que celle qu’ils eurent.
Francion était cependant à l’hôtellerie, où, son homme lui ayant fait le récit de tout ce qui s’était passé, il se prit à rire de si bon courage, que la douleur de ses esprits fut quasi apaisée par son excès de joie ; néanmoins son jugement ne put avoir de lumière parmi l’aventure, encore qu’il se souvînt des propos que Catherine lui avait tenus. Ce qui lui bailla le plus de contentement fut le récit de l’état où le curé avait rencontré Valentin.
Le barbier vint le visiter comme l’on lui allait donner à dîner ; et, voyant que l’on lui apportait du vin, il dit qu’il ne fallait pas qu’il en bût, à cause que cela lui ferait mal à la tête. Francion, ayant ouï cet avis si rigoureux, dit :
– Ho ! mon maître, ne me privez point de cette divine boisson, je vous en prie, c’est le seul soutien de mon corps ; toutes les viandes ne sont rien au prix. Ne savez-vous pas que par moquerie on appelle les mauvais médecins des médecins d’eau douce, pour ce qu’ils ne savent faire autre chose que de nous ordonner d’en boire ? Je crois que leur prince Hippocrate n’était pas de cette humeur ; aussi l’hypocras, qui est le plus excellent breuvage que nous ayons, porte-t-il son nom, à cause qu’il l’a aimé ou qu’il l’a inventé. J’ai connu un jeune gentilhomme qui avait mal aux jambes ; l’on lui défendait le vin (comme vous me faites) de peur d’empirer sa douleur : savez-vous ce qu’il faisait ? Il se couchait tout au contraire des autres, et mettait ses pieds au chevet afin que les fumées de Bacchus descendissent à sa tête. Quant à moi, qui suis blessé en l’autre extrémité, je suis d’avis de me lever et me tenir droit, à cette fin que, voyant que le vin que je boirai descendra à mes pieds plutôt que de monter à ma tête, vous ne soyez pas si sévère de me l’interdire.
De fait, Francion, ayant dit ces paroles, demanda ses chausses à son valet pour se lever. Le barbier, lui voulant montrer son savoir, essaya de lui prouver que les raisons qu’il avait données ne valaient rien du tout, et qu’elles étaient plutôt fondées sur des maximes de l’hôtel de Bourgogne que sur des maximes des écoles de médecine. Là-dessus il vint à lui discourir en termes de son art, barbares et inconnus, pensant être au suprême degré de l’éloquence en les proférant, tant il était blessé de la maladie de plusieurs, qui croient bien parler tant plus ils parlent obscurément, ne considérant pas que le langage n’est que pour faire entendre ses conceptions, et que celui qui n’a pas l’artifice de les expliquer à toutes sortes de personnes est taché d’une ignorance presque brutale. Francion, ayant eu la patience de l’écouter, lui dit que tous ses aphorismes n’empêcheraient pas qu’il se levât ; mais toutefois qu’il ne boirait point de vin, et que ce qu’il en avait dit n’était que par manière de devis.
– C’est à faire aux âmes basses, continua-t-il, à ne pouvoir de telle sorte commander sur eux-mêmes qu’ils ne sachent restreindre leurs appétits et leurs envies ; pour moi, bien que j’aime ce breuvage autant qu’il est possible, je m’abstiendrai facilement d’en goûter, et ferais ainsi de toute autre chose que je chérirais uniquement.
– Votre tempérance est remarquable, repartit le barbier. Je n’ai pas les ressorts de l’âme si fermes qu’ils puissent ainsi commander à mon corps ; car je vous assure bien que, quand Galien même m’aurait dit que l’usage du vin me serait nuisible, je ne m’en priverais pas, et que si, sans en avoir, l’on me mettait auprès d’une fontaine d’eau, je ne laisserais pas de mourir de soif. Mais, monsieur, poursuivit-il, il n’est pas croyable que vous ne sentiez maintenant du mal, et néanmoins vous ne vous pouvez pas tenir de gausser.
– Si vous me connaissiez particulièrement et si vous saviez de quelle sorte un homme doit vivre, vous ne trouveriez rien d’étrange en cela, lui répondit Francion ; mon âme est si forte et si courageuse, qu’elle repousse facilement toute sorte d’ennui et jouit de ses fonctions ordinaires parmi les maladies de mon corps.
– Monsieur, reprit le barbier en se souriant, vous me pardonnerez si je vous dis que vous m’obligez à croire que l’opinion que l’on a de vous en ce village-ci est véritable, qui est que vous êtes très savant en magie ; car autrement vous ne supporteriez pas, si patiemment que vous faites, le mal que vous avez. L’on dit même (je ne le saurais croire pourtant) que tout ce qui est arrivé cette nuit chez Valentin s’est fait par votre art ; que vous avez métamorphosé la servante du logis en garçon ; que vous l’avez rendue muette ; et que vous n’avez pas véritablement une plaie à la tête, mais que vous a****z nos yeux. Ce qui donne ces pensées-là aux bonnes gens est que l’on n’a pu trouver la cause de pas un de tous ces succès.
Cette plaisante imagination mit tellement notre malade hors de soi, qu’il pensa mourir de rire. Là-dessus, il acheva de s’habiller, et s’assit à table avec le barbier, qui ne demanda pas mieux que de dîner avec lui.
– Or çà, lui dit Francion, ne savez-vous point si je suis maintenant en la bonne grâce de Valentin ? En quelle manière parle-t-il de moi ?
– Je ne vous le cèle point, répondit le barbier, il en parle comme du plus méchant sorcier qui soit au monde. Il dit qu’au lieu que vos secrets lui devaient apporter quelque bien, ils lui ont causé beaucoup de maux. Encore qu’il y ait longtemps qu’il soit assuré de cela, il n’a pas laissé d’essayer tout maintenant s’il se porterait plus vaillamment au combat contre sa femme qu’il n’a accoutumé de faire ; mais jamais il n’en a eu la force : de sorte qu’il a été contraint de contracter une paix honteuse avec Laurette. Il n’y a rien que sa porte de derrière qui soit ouverte ; je vous assure bien qu’elle l’est de telle façon, qu’il ne peut retenir une liquide et sale matière qui en sort à chaque moment. Il a fallu qu’il m’ait prié, comme son bon compère, de lui bailler une d****e qui ira refermer les ouvertures et apaiser les séditions de ces rebelles, qui, ne se tenant pas aux lieux ordonnés, s’enfuient sans demander congé.
– Dois-je craindre qu’il ne prenne quelque vengeance de moi ? reprit Francion.
– Je ne vous en ai encore rien dit, répondit le barbier, parce qu’il m’a semblé que vous avez bien le moyen d’éviter, par votre science, toutes les embûches qu’il vous saura dresser ; néanmoins je vous assure à cette heure, qu’il n’épargnera pas toute la puissance qu’il a pour vous jouer un mauvais tour. Je m’en vais gager qu’il fera assembler les plus vaillants du village pour vous venir ce soir enlever et vous mettre en prison dans le château.
– Cela ne m’empêchera pas de boire à sa santé avec ce verre d’eau que je m’en vais aussi emprisonner, répliqua Francion.
Puis il changea de discours et acheva de prendre son repas. Comme il se levait de table, plusieurs habitants arrivèrent à l’hôtellerie, poussés de curiosité de le voir. Ils demandaient tous : « Où est le pèlerin ? où est le pèlerin ? » à si haute voix qu’il l’entendit distinctement. Incontinent il fit fermer la porte avec les verrous, et, quoique ces gens-là heurtassent, disant tantôt qu’ils avaient affaire d’un coffre qui était dedans la chambre, tantôt qu’ils voulaient parler au barbier, ils ne purent obtenir que l’on leur ouvrît l’huis. À la fin ils jurèrent tant de fois qu’il y avait un homme blessé dans le village, qui se mourait à faute d’un prompt remède, qu’il fallut faire sortir le barbier ; mais, comme ils pensaient entrer dedans la chambre, Francion et son valet se présentèrent à l’entrée, les pistolets à la main, protestant qu’ils les tireraient contre ceux qui seraient si téméraires que d’approcher.
Les paysans, qui n’avaient pas coutume de se jouer avec de pareilles flûtes, demeurèrent tout penauds et, s’en retournant, laissèrent refermer la porte. Il en revint encore d’autres en plus grand nombre, qui perdirent leur peine ni plus ni moins que les premiers. Francion, à qui leurs importunités déplaisaient infiniment, se résolut de s’en délivrer le plus tôt qu’il pourrait. Ayant appelé son hôte, il le paya de ses écots, lui communiqua son dessein, et le pria d’atteler une petite charrette qu’il avait, pour le faire conduire à un bourg où il serait moins inquiété. L’hôte attacha deux cerceaux à sa charrette pour soutenir une couverture, et, ayant mis au fond toutes les besognes de Francion, il l’avertit qu’il était heure de partir. Il monta dedans où il se coucha dessus la paille, cependant que l’on le tirait hors la taverne par une porte de derrière, qui rendait emmi les champs ; son valet allait après, monté sur son cheval ; et en cet équipage, ils traversèrent le pays, sans que personne du village les vît.
Le bon fut que quelques-uns retournèrent à l’hôtellerie aussitôt qu’ils en furent partis, et, ne les trouvant point dedans leur chambre, ni en pas un autre lieu, eurent opinion qu’ils étaient disparus par art de nécromance.
Pendant le chemin, Francion se mettait à discourir, tantôt avec un jeune garçon qui conduisait la charrette, et tantôt avec son serviteur.
– Quand je songe aux aventures qui me sont arrivées ce jour-ci, disait-il à son valet, je me représente si vivement l’instabilité des choses du monde, qu’à peine me puis-je tenir d’en rire. Cependant j’en ai pour mes vingt écus et pour une bague que j’ai perdue, je ne sais en quelle sorte. Il faut que ceux qui m’ont porté ce matin à l’hôtellerie aient fouillé dedans mes pochettes. Un remède contre ce mal, c’est d’avoir de la patience, dont je suis, Dieu merci, mieux fourni que de pistoles. Mais considérez un peu l’agréable changement : il n’y a pas longtemps que j’étais couvert d’habillements somptueux, et maintenant j’ai une cape de pèlerin ; je couchais sous les lambris dorés des châteaux, et je ne couche plus qu’aux fossés, sous aucun toit ; j’étais sur des matelas de satin bien piqués, et je me suis trouvé dedans une cuve pleine d’eau, pensez pour y être plus mollement ; je me faisais traîner dans un carrosse, assis sur des coussinets, et voici que je suis encore trop heureux d’avoir pu trouver une méchante charrette, où je me vautre dedans la paille, de telle sorte que je ne méritai jamais le nom de paillard à plus juste raison.