II

1029 Words
II Les bons gendarmes galopaient ; mais la pluie tombait toujours et la forêt ne finissait pas. L’enfant pleurait, entortillé dans le manteau du brigadier. – Eh ! Poliveau, dit ce dernier, jamais la pauvre créature ne pourra supporter un pareil temps. Est-ce qu’il n’y a pas une maison sur la route ? – Il y en a une, brigadier. – Il faudra nous y arrêter et, à moins que nous n’ayons affaire à des gens sans cœur ni âme, ils se chargeront bien de cet enfant jusqu’à demain. – Brigadier, vous avez raison, dit Poliveau. – Et, est-elle loin, cette maison ? – Tenez, voilà le bout de la forêt ; voyez-vous une cheminée à travers les arbres ? – Ah ! je vois, dit le brigadier. Et il éperonna son cheval. La maison indiquée par le gendarme Poliveau était une espèce de cabane, couverte en chaume, posée à deux pas de la route, au milieu d’un jardinet clos d’une haie. Un pauvre ménage y vivait. Le mari était bûcheux et travaillait en forêt neuf mois de l’année. La femme élevait ses quatre enfants, dont le dernier était encore à la mamelle. Ils avaient un arpent de terre, une vache, quelques poules. La vache tondait l’herbe des fossés, les poules picoraient en forêt, les deux aînés des enfants, deux marmots de huit et de sept ans, ramassaient du c*****n sur les chemins, et tout ce pauvre monde, bêtes et gens, vivait comme il pouvait, chaque jour suffisant à sa peine et amenant l’espérance pour le lendemain. Ce fut un grand émoi quand les gendarmes s’arrêtèrent à la porte. Le bûcheux n’était pas rentré. Les enfants dormaient pêle-mêle sur un grabat, la mère raccommodait des guenilles à la lueur d’un morceau de sapin résineux qui lui servait de chandelle. Les enfants s’éveillèrent en sursaut. La vue des gendarmes fait toujours un certain effet dans les campagnes. Si tranquille que soit sa conscience, le paysan tressaille toujours à la vue du tricorne et des buffleteries jaunes. Le bûcheux était un peu braconnier, il posait des collets à chevreuil dans le bois. La femme devint donc toute tremblante en voyant entrer les gendarmes, et les enfants se blottirent dans la paille de leur grabat. Mais le brigadier ouvrit son manteau et l’enfant qu’il portait, ébloui par la lumière, se remit à pleurer de plus belle. – Eh ! Jésus mon Dieu ! qu’est-ce que ça ? s’écria la femme du bûcheux. – Un pauvre enfant abandonné que nous avons trouvé sur la route, dit le brigadier. – Faut-il qu’il y ait des malheureux ! exclama la pauvre femme faisant allusion à la mère de l’enfant abandonné. – C’est pas tout ça, la mère, dit le brigadier, qui avait aperçu en entrant une bercelonnette d’osier dans un coin de la cabane, faut que vous nous gardiez ce pauvre marmot jusqu’à demain et que vous lui donniez à téter. Il fait un temps de malédiction, et il mourrait en chemin. – Je n’ai plus beaucoup de lait, répondit la paysanne, vu que je vas sevrer mon dernier ; mais j’en aurai toujours assez pour que cette pauvre créature ne meure pas de faim d’ici demain. Et elle prit l’enfant dans ses bras et lui présenta le sein. L’enfant s’apaisa aussitôt. – Ce soir même, poursuivit le brigadier, nous irons faire notre déclaration au maire, n’est-ce pas, Poliveau ? – Oui, brigadier. – Puis demain nous viendrons chercher l’enfant. – Et qu’en ferez-vous, mes bons messieurs ? demanda la femme du bûcheux. – Dame ! le maire l’enverra à l’hospice. – Pauvre petit ! c’est’y malheureux tout de même… Si je n’avais pas quatre enfants déjà, je crois que je le garderais… Nous sommes bien pauvres, mais il serait peut-être encore plus heureux qu’aux Enfants-Trouvés. – Oh ! ça, bien sûr, dit le gendarme Poliveau. – Ah ! soupira le brigadier, si j’avais une autre femme que la mienne, je sais bien qui s’en chargerait ! Mais j’ai épousé une quasi-demoiselle, la fille de l’épicier de Malesherbes, une chipie qui fait déjà la vie dure à ses propres enfants… – Et moi je n’ai pas de femme, dit Poliveau. Si encore on était sûr de pouvoir l’élever au biberon… Le pauvre enfant ne lâchait pas le sein de la paysanne, et les marmots, après avoir eu grand-peur, s’étaient approchés un à un, et le plus petit des trois, car le nourrisson ne s’était pas réveillé, le plus petit, disons-nous, s’était pris à jouer avec les aiguillettes du brigadier et lui disait : – Eh ! monsieur le capitaine, c’est’y un petit frère ou une petite sœur que tu nous apportes ? – Ma parole ! je n’en sais rien, dit le brigadier. Il se trouva que c’était une petite fille. – Ah ! mes bons messieurs, dit la femme du bûcheux, c’est malheureux pour la pauvre petite que vous n’ayez pas fait un kilomètre de plus. – Pourquoi cela ? demanda le brigadier. – Parce que, au-delà de Courcy, en tirant sur la gauche, à cent mètres de la route, il y a un château, et que, si vous étiez allés frapper à la porte, ç’aurait été peut-être un grand bonheur pour cette enfant. – Ah ! il y a un château, dit le brigadier qui était tout nouvellement dans le pays. – Et des gens bien charitables dedans, allez ; on ne les aime guère dans le pays, les bourgeois du moins, parce qu’ils ne sont pas avares de leurs biens, comme les riches de par ici ; mais les pauvres ne se plaignent pas d’eux. Mon homme a été malade tout l’hiver, et sans la dame du château nous aurions eu bien de la misère, allez ! Le brigadier et le gendarme se regardèrent. – Ce serait peut-être un coup de fortune pour la pauvre petite, dit Poliveau. – Et elle n’irait pas aux Enfants-Trouvés, dit le bon brigadier. – Maintenant elle a tété, elle est bien réchauffée, poursuivit Poliveau, si nous allions à ce château. – Ce n’est pas pour m’en débarrasser que je vous dis cela, au moins, fit la femme du bûcheux. – Je le crois sans peine, ma bonne femme. – Mais c’est peut-être son bonheur que vous feriez ; ils n’ont pas d’enfants jusqu’à ce jour. Est-ce qu’on sait ce qui peut arriver ? – Ma foi, dit le brigadier, arrive que pourra. Allons au château. Et comment s’appellent-ils, les bourgeois de là-bas ? – C’est un monsieur d’Orléans qui se nomme M. Durand, répondit la femme du bûcheux ; sa femme est une Parisienne. – Et vous croyez qu’ils prendront l’enfant ? – C’est bien possible, pour ne pas dire que c’est sûr. – Eh bien, allons-y, dit le brigadier. La petite fille abandonnée s’était endormie sur le sein de la bûcheronne. Le brigadier l’enveloppa dans un lambeau de vieille couverture que cette femme lui donna, le couvrit de son manteau ensuite, conservant toutefois les langes qui étaient mouillés, et il dit à Poliveau : – Allons, à cheval, camarade, nous mangerons la soupe plus tard qu’à l’ordinaire ce soir, mais le devoir passe avant l’appétit. – Mais il me semble que je n’ai plus faim, acheva le brave gendarme Poliveau.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD