Le lendemain du dîner, Clara et Petter passèrent la journée ensemble. Le soleil matinal filtrant à travers les rideaux baignait leur appartement d’une lumière douce, mais l’atmosphère entre eux était empreinte d’un silence inhabituel. Clara avait espéré que cette soirée avec ses collègues permettrait à Petter de mieux connaître son univers, et elle avait vraiment apprécié sa présence. Pourtant, elle ne pouvait ignorer la gêne qu’elle avait perçue en lui à plusieurs reprises, comme s’il n’était pas entièrement là.
Elle le trouvait pensif depuis son retour de voyage, et ce matin-là, ce sentiment s’intensifia. Clara, cherchant à alléger l’atmosphère, lui proposa un petit-déjeuner tardif. Assise en face de lui, elle tenta d’engager la conversation sur des sujets légers, mais son esprit revenait toujours aux événements de la veille.
— C’était une belle soirée, non ? Mes collègues ont vraiment apprécié ta présence, dit-elle avec un sourire doux, espérant qu’il répondrait avec la même chaleur.
Petter acquiesça d’un hochement de tête, mais son regard semblait encore ailleurs, comme s’il s’efforçait de dissimuler un tourment intérieur.
— Oui, c’était sympa… répondit-il d’un ton distrait.
Clara fronça légèrement les sourcils, une pointe d’inquiétude s’installant en elle. Petter avait toujours été son soutien le plus infaillible, son pilier. Elle avait appris à décrypter ses silences, et celui-ci n’avait rien de commun avec ceux qu’elle connaissait. Pourtant, elle n’osa pas insister, de peur de paraître trop intrusive.
De son côté, Petter peinait à trouver la sérénité. Le retour d’Émilie dans sa vie bouleversait tous ses repères, et il sentait un poids qu’il ne parvenait pas à nommer. Il n’avait jamais imaginé qu’un simple regard échangé dans une soirée pourrait raviver en lui tant d’émotions contradictoires. Revoir Émilie, et la croiser dans un contexte où elle faisait partie de la vie professionnelle de Clara, l’avait ébranlé. La voir debout, dans cette salle, lui avait presque donné l’impression de voyager dans le temps, là où tout avait commencé.
En silence, il repensait à leur jeunesse. Ils avaient à peine quatorze ans lorsqu’ils étaient tombés amoureux. Leur relation était intense, passionnée, marquée par une promesse implicite d’éternité. Ils partageaient tout, riaient, s’aimaient d’une façon si pure que Petter, à l’époque, avait vraiment cru qu’ils finiraient leur vie ensemble. La disparition soudaine d’Émilie, sans un mot d’explication, l’avait laissé avec un vide qu’il n’avait jamais complètement su combler, même après toutes ces années.
Il sentait son cœur s’alourdir. D’un côté, il aimait profondément Clara, la femme avec qui il partageait sa vie aujourd’hui. Elle incarnait la stabilité, la confiance, et il savait qu’elle le comprenait mieux que quiconque. Mais l’apparition d’Émilie réveillait en lui des sentiments qu’il pensait éteints, des émotions qu’il n’avait pas osé revisiter depuis des années. Il se demandait, sans pouvoir se l’avouer, s’il pourrait jamais tourner définitivement la page de ce passé qu’il n’avait pas choisi d’abandonner.
En l’observant ce matin-là, Clara sentit que quelque chose lui échappait. Elle cherchait dans ses souvenirs récents une explication à ce comportement distant. La journée de la veille défilait dans son esprit, et elle se demandait si quelque chose s’était produit au dîner pour le mettre dans cet état. Peut-être avait-il ressenti une certaine pression dans l’ambiance professionnelle ? Peut-être était-ce autre chose ?
Elle posa sa main sur la sienne, espérant capter son attention.
— Petter, tu as l’air préoccupé. Est-ce que quelque chose te tracasse ? demanda-t-elle doucement.
Petter secoua la tête, tentant de reprendre contenance.
— Non, tout va bien, Clara. C’est juste que… ces derniers temps, je me pose beaucoup de questions, répondit-il, évasif.
Clara comprit qu’il n’était pas prêt à se confier, et elle n’insista pas davantage. Elle respectait ses silences, même si elle ressentait une inquiétude grandissante. Cette distance, cette retenue, elle n’avait pas l’habitude de la voir chez lui.
Pour ne pas alourdir l’atmosphère, Clara se leva et proposa une petite sortie pour le reste de la journée. Petter acquiesça, reconnaissant pour l’échappatoire que lui offrait ce moment. Ensemble, ils décidèrent de se promener en ville, de retrouver un peu de légèreté dans l’agitation des rues et les cafés animés.
Au fil des heures, Clara tenta de retrouver la complicité qui les liait. Elle partagea quelques anecdotes amusantes de son voyage d’affaires, faisant de son mieux pour faire sourire Petter. Il riait par moments, écoutant ses récits, mais Clara sentait que ses pensées s’échappaient souvent vers d’autres horizons.
Ils s’arrêtèrent dans un café, profitant du soleil d’automne. Assis l’un en face de l’autre, Clara chercha à rompre le silence avec une question qui la préoccupait depuis longtemps.
— Petter, tu sais que tu peux tout me dire, n’est-ce pas ? Quoi qu’il se passe, je suis là pour toi.
Petter releva les yeux vers elle, un éclat de tristesse dans le regard. Il savait qu’elle méritait la vérité, mais comment pourrait-il lui expliquer la confusion qui régnait en lui depuis le retour d’Émilie ? Il lui sourit, tentant de masquer son malaise.
— Oui, Clara. Merci… Je sais que tu es là, répondit-il en évitant son regard.
Clara se sentit déconcertée par sa réponse. Elle avait l’impression qu’il se cachait derrière un masque, et même si elle ne savait pas ce qui le troublait, elle était déterminée à lui laisser le temps de s’ouvrir.
La journée touchait à sa fin, et en rentrant chez eux, Clara et Petter s’installèrent dans le salon, le silence de nouveau présent entre eux. Petter, fatigué de cette lutte intérieure, s’enfonça dans le canapé, tandis que Clara, encore pensive, feuilletait un magazine sans réel intérêt. Elle se demandait ce qu’il faudrait pour qu’il se confie à elle, pour qu’il rompe enfin ce mur invisible qui semblait les séparer depuis quelques jours.
Elle tenta de relancer la conversation.
— Peut-être que, ce week-end, on pourrait faire une escapade, juste toi et moi ? Un endroit où tu te sentirais bien, où on pourrait se retrouver, proposa-t-elle, espérant que l’idée lui plairait.
Petter acquiesça, touché par sa bienveillance. Il se rendait compte que ses préoccupations la faisaient souffrir, mais il se sentait incapable de partager ce poids avec elle.
— Ce serait une bonne idée, oui, répondit-il. Je suis désolé si je n’ai pas été très… présent, ces derniers temps.
Clara lui adressa un sourire rassurant, bien qu’elle ressentait toujours une certaine frustration. Elle voulait comprendre, l’aider, mais il restait impénétrable.
Plus tard, seul dans la chambre, Petter repensa à tout ce qu’il avait partagé avec Émilie. Leur relation, intense et passionnée, contrastait avec la sérénité et la stabilité que Clara lui apportait. Mais les deux amours, bien que différents, avaient marqué son cœur. Il se demanda s’il parviendrait un jour à en parler à Clara, à lui expliquer cette partie de sa vie qu’il avait gardée secrète.
L’image d’Émilie le hantait, et il réalisa que, malgré lui, elle occupait encore une place dans son esprit. Il devait trouver un moyen de gérer ces émotions avant qu’elles ne finissent par l’engloutir. Mais comment pourrait-il le faire sans risquer de perdre Clara, celle avec qui il avait construit une vie stable et heureuse ?
Dans la pièce voisine, Clara s’allongea dans leur lit, regardant le plafond, les pensées embrouillées. Elle savait que
quelque chose n’allait pas, mais Petter restait fermé, même lorsqu’elle tentait de le rassurer. Elle sentit une pointe de tristesse l’envahir. Elle aimait cet homme profondément, et l’idée qu’il puisse lui cacher quelque chose, même par nécessité, la rendait vulnérable.
Elle se promit de lui donner le temps, de le soutenir même dans ce silence. Mais une partie d’elle redoutait la réponse qu’elle pourrait obtenir le jour où Petter déciderait de se confier.