Chapitre un-2

2000 Words
— Autant qu’ils peuvent l’être, grimace-t-il. La plupart sont des espèces rares. Sans un clan important pour les protéger, ils deviennent les proies de métamorphes plus forts. — Et donc, ils acceptent ceci ? » Je désigne la scène de la main. « Est-ce mieux d’appartenir à un vampire ? — Je ne suis pas métamorphe, donc je ne pourrais vous répondre. Je suppose qu’une vie de servitude vaut mieux que pas de vie du tout. » Je pince les lèvres. La plupart des métamorphes que j’ai rencontrés préféreraient être libres. Après tout, ils sont en partie des animaux sauvages. « Avez-vous d’autres questions sur la vente aux enchères ? » demande Theophilus. Parmi tous mes enfants, il est le moins susceptible de se retourner contre moi, mais ça ne signifie pas qu’il ne l’a pas fait. « Pas pour l’instant. — Vous comptez enchérir, sire ? » J’étudie son visage, à la recherche d’une trace d’émotion. De l’intérêt, de l’espoir, n’importe quoi. Esquissant un sourire énigmatique, je réponds : « Je n’ai pas encore décidé. — Vous pourriez être surpris. Bon nombre de ces métamorphes sont naturellement soumis. Posséder une telle créature peut être exaltant. — C’est un point à prendre en compte, dis-je en un murmure. — Lorsque l’on vit éternellement, il y a si peu de nouveaux plaisirs. » Theophilus pose les yeux sur la scène et se lèche les lèvres. Une expression flagrante d’impatience. Ces ventes aux enchères n’ont peut-être rien d’abominable. Au cours de la longue vie d’un vampire, il est facile de succomber à l’ennui. L’ennui engendre des dépravations de plus en plus perverses. « Quand on vit aussi longtemps que moi, il n’y a plus de nouveaux plaisirs, dis-je. On s’accommode des anciens. » Theophilus baisse la tête. « Sans vouloir vous manquer de respect, vous devriez envisager d’enchérir ce soir. Certains métamorphes, bien qu’ils acceptent la vente aux enchères, font montre d’une délicieuse résistance après avoir été achetés. Les faire plier fournit des mois de divertissement, si vous savez faire durer le plaisir. — Des mois ? Tu me surprends, Theophilus, dis-je lentement pour lui tendre une perche. En faisant preuve de patience, un expert peut profiter d’une victime des années. » Il rougit. « Ces métamorphes ne dureront pas des années. Après tout, on ne peut pas les transformer. — Comme tu dis. » Je fais mine d’en convenir. « J’imagine que la magie n’opère plus après quelques semaines. Ou quelques mois, si la victime est spéciale. — Les métamorphes sont plus forts que les humains, mais personne ne peut résister à un vampire. Ils finissent tous par se briser. — Oui. » Je me tourne vers la scène. « Tout le monde finit par se briser. » Même les vampires. Les minutes s’écoulent et je fais mine de ne pas remarquer que des membres du public m’observent. J’entrelace mes mains, pensif. Ce soir, j’assisterai à la vente aux enchères et feindrai l’intérêt. Dans un mois, j’organiserai une fête avec quelques-uns de mes lieutenants triés sur le volet. D’ici là, je saurai lesquels de mes enfants ont conspiré contre moi. J’ai déjà ma petite idée. « Mesdames et messieurs, merci de vous asseoir. La dernière partie de la vente aux enchères est sur le point de commencer. » Les lumières s’éteignent et un frisson parcourt la salle. Le rideau s’ouvre. Et elle apparaît. * * * Sélène « Lot numéro 9, de la marchandise exceptionnelle », annonce le commissaire-priseur. Je me tiens sur la petite plateforme et fixe un océan de lumière blanche. Les projecteurs m’aveuglent avant que je me souvienne de baisser les yeux. Je suis censée être soumise. Un parfait petit animal domestique pour un vampire. « Une louve métamorphe de vingt-deux ans. Elle a été formée aux arts de la soumission, mais… » L’homme s’interrompt et baisse la voix. « Elle n’a jamais été mordue. Ni possédée. Vous avez bien entendu, mes chers vampires… elle est vierge. » Est-ce que j’imagine le murmure excité dans les rangs, au-delà des spots ? Mon entraînement reprend le dessus. Je plaque une expression neutre sur mon visage avant que le dégoût ne retrousse ma lèvre. « Tourne-toi, ma belle, qu’on s’en prenne plein les yeux. » Je pivote avec lenteur, puis m’immobilise de nouveau. Baisse légèrement la tête. « Les enchères commencent à cent mille, reprend le présentateur. Cent mille pour cette vierge pure, jamais touchée. Est-ce que j’ai cent mille… oui, là, dans le fond. Le gentleman avec le nœud papillon rouge. Quelqu’un d’autre souhaite-t-il posséder ce joli spécimen, cette beauté métamorphe ? Quelqu’un misera-t-il deux… » Les enchères montent, encouragées par les commentaires enthousiastes du commissaire-priseur. La lumière m’éblouit. Combien de gens se trouvent dans le public ? Dix ? Vingt ? Une centaine ? Quelque part, sur le balcon peut-être, Xavier observe. Ça n’a pas d’importance. Je suis là pour un vampire, et un seul. Lucius Frangelico. J’ai besoin d’attirer son attention. Je baisse le nez et tente de paraître docile. Comment donner envie au roi vampire d’enchérir sur moi ? J’humecte mes lèvres rouges, mais ne peux me résoudre à prendre une pose sensuelle. Pas alors que j’ai envie de frapper celui qui force des métamorphes à participer à cet événement révoltant. Je meurs d’envie de serrer les poings. J’oblige mes épaules à se détendre. Ce sera bientôt terminé. * * * Lucius Ce n’est pas une soumise. C’est ma première impression sur la belle louve. Elle regarde le sol devant ses pieds nus avec colère. Chaque fois que le commissaire-priseur mentionne sa virginité, le coin de sa bouche tressaille. Ils l’ont vêtue avec presque rien, un habit ressemblant davantage à une nuisette qu’une robe de soirée. Un vêtement en soie qui ne demande qu’à être arraché. Elle a des bleus sur les bras, signe qu’elle a été malmenée ; cependant, elle n’a rien de fragile. Elle est grande et attirante, une Amazone avec une couronne de cheveux d’un blond doré, presque blanc. Elle a quelque chose de familier. Lorsqu’elle lève la tête pour jeter des coups d’œil aux quatre coins du théâtre, j’oublie le souvenir alors que mon corps réagit. Du sang se précipite dans mon bas-ventre. Comment serait-ce de posséder une telle créature ? De la dresser, d’être son maître ? Je prends une expression blasée. La louve me tente, c’est tout. Quelque chose de nouveau et d’amusant pour me divertir un temps. L’immortalité réduit tout à une distraction temporaire, plaisir comme douleur. Mais cette louve pourrait me le faire oublier un court moment. De plus, elle ressemble à quelqu’un que j’ai connu autrefois… Sur la scène, elle lèche ses lèvres peintes en rouge. Je me sens à l’étroit dans mon pantalon et serre les poings. La raquette pour enchérir est posée par terre, à côté de ma chaussure. Dante a dû la laisser là. Je n’enchérirai pas ce soir. Mais c’est si tentant. Assis à un rang devant moi, Theophilus s’éclaircit la gorge. « Vous voyez ce que je veux dire, sire ? » Je me penche pour observer de nouveau la louve. « Oui. En effet. » * * * Sélène « Cinq cents, cinq cents, qui misera cinq cents… », répète le commissaire-priseur pendant que les enchères s’essoufflent. Il s’arrête et se gratte le menton. « Non ? Vous avez peut-être besoin d’une motivation supplémentaire. » Il fait signe à quelqu’un dans les coulisses et trois machinistes baraqués se dirigent droit sur moi. En un souffle, je demande au présentateur : « Quoi ? » Mais il s’appuie d’un coude sur le podium, s’installant pour assister à la scène. Le premier homme parvient à ma hauteur et tire sur la bretelle de ma robe. « Il est temps de te mettre à poil, ma jolie. » Ma main vole avant que je puisse l’en empêcher. Je repousse l’abruti numéro un tandis que ses deux collègues me saisissent les bras, juste sur les bleus que Xavier m’a faits. « Salope », grommelle l’abruti numéro un. De sa grosse main, il saisit les bretelles qui se croisent dans mon dos et les déchire. La robe tombe, révélant mes seins au moment où je libère l’un de mes bras. Mon entraînement me revient. Je me penche sur la gauche et envoie un coup de pied dans l’entrejambe de l’homme à ma droite, qui s’effondre. Je déséquilibre celui à ma gauche d’un mouvement brusque, puis écrase mon poing dans sa figure et le fais rouler sur mon dos. Il percute l’abruti numéro un. Je m’accroupis en une pose de combat au milieu des trois brutes à terre. Le commissaire-priseur s’esclaffe. « Mesdames et messieurs, puis-je avoir un tonnerre d’applaudissements pour le lot numéro 9 ? » Quelques applaudissements timides résonnent dans le théâtre. Mes joues chauffent. Je ne me suis pas défendue pour jouer un p****n de rôle. Mais c’en était un. Autour de moi, les types se réveillent et se relèvent. Sur un signe du présentateur, ils quittent la scène à pas lourds. « Le spectacle est fini, les amis, annonce le présentateur. Qui veut repartir avec elle ce soir ? Les enchères se poursuivent à cinq cent mille. » Ma robe tombe sur mes hanches. Je la baisse et m’en débarrasse. « Celle-ci ne manque pas de tempérament ! Quelle fougue ! Saurez-vous la dominer ? Pour cinq cent mille, vous pourrez le découvrir. » * * * Lucius La louve est nue sur la scène, sa poitrine se soulevant rapidement. Elle a abandonné tout simulacre de soumission. Lorsqu’une mèche de cheveux s’échappe de sa tresse, elle la replace avec impatience. Elle foudroie tout et rien des yeux. Elle est sublime. Si elle m’appartenait, je m’amuserais chaque nuit à l’affronter pour prendre le contrôle. Je ne suis pas le seul à le penser. « Merde », soupire Theophilus. Quand le commissaire-priseur reprend la parole, il lève sa raquette. Je ravale un grondement. « Theophilus. » J’insuffle assez de compulsion à ma voix pour qu’il tourne la tête. Je tends la main, paume vers le ciel. « Donne-moi ça. » Il obéit, mais partout autour de moi, des vampires enchérissent sur la louve. Elle se tient dans une flaque de lumière et n’essaie même pas de dissimuler sa révulsion. Pourquoi a-t-elle accepté d’être vendue aux enchères ? Elle n’a pas l’air d’être ce genre de personne. « Ces métamorphes. Si quelqu’un enchérit sur eux, obtiennent-ils une partie de l’argent ? » Theophilus comprend le sens de ma question. « Non. Ils deviennent votre propriété. Ils n’obtiennent rien, mais leur famille peut recevoir une compensation financière. » Ça correspond à l’information que l’on m’a donnée sur ceux qui réduisent les métamorphes en esclavage. Ces hommes, en général des métamorphes véreux, trouvent des clans vivant cachés et leur proposent d’acheter l’individu le plus soumis de leur groupe. Ils les menacent aussi, sans doute. Cette louve accepterait-elle d’être mêlée à un tel accord ? Peut-être, si sa famille touche de l’argent. Je m’assieds au fond de mon fauteuil tandis que les enchères font rage autour de moi. Un mystère. Je suis plus intrigué chaque seconde. « Un million », déclare quelqu’un. Je me tourne et regarde de l’autre côté de l’allée. Un vampire imposant avec un cache-œil me rend mon regard. Grâce à une existence passée à contrôler mes émotions, je parviens à ne pas laisser transparaître ma surprise. Xavier. Que fait-il ici ? Nos chemins ne se sont pas croisés depuis des décennies. Peut-être même depuis un siècle. Il incline la tête en un salut moqueur. La dernière fois que nous nous sommes vus, nous étions ennemis. Un silence s’installe pendant que le commissaire-priseur et le public digèrent son enchère. Sur scène, la louve tremble, comme si elle se remémorait la raison de sa présence. Et je me souviens soudain à qui elle me fait penser. Son visage en devient un autre, une petite femme frêle avec un nuage de cheveux dorés, presque blancs. Ma première amante vampire. La seule femme, possiblement, que j’ai jamais aimée. Georgianna.
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