CHAPITRE VI
SPOOR’EM
Le dernier rayon du soleil couchant avait déserté la vallée du Simpopo, quand Willem et Hendrick, munis d’une torche et accompagnés du Cafre et du chien Spoor’em, se remirent à la recherche de leur compagnon perdu.
L’animal répondant au nom de Spoor’em, né dans les établissements portugais et acheté par Groot Willem, avait eu Congo pour parrain. Les privations et les fatigues d’un voyage semblèrent alors fort antipathiques à Spoor’em, qui, plus d’une fois, parut disposé à abandonner ses maîtres. On l’avait néanmoins emmené dans la présente expédition, avec l’espoir qu’il rendrait quelque service en compensation des peines jusqu’alors prises pour lui.
On suivit la lisière de la forêt qui conduisait sur les traces laissées par Arend au moment où il s’était mis à la poursuite du cheval égaré. La piste des deux animaux se continuait dans la forêt, le long d’un chemin bien battu, évidemment par les buffles et autres animaux.
Ce chemin, embarrassé par des branchages épineux, rendait inutile l’aide du chien.
Congo conduisit donc la marche.
« Êtes-vous sûr que les deux chevaux ont passé par ici ? demanda Willem en s’adressant au Cafre.
— Oui, baas Willem, » répondit Congo.
Willem, se tournant vers Hendrick, ajouta :
« Je voudrais qu’Arend eût laissé le cheval aller au diable ; il ne valait pas qu’il se risquât dans un endroit comme celui-ci. »
Après avoir continué de marcher dans ce fouillis de buissons pendant près d’un demi-mille, ils atteignirent une étendue de plaine, où il n’y avait plus de voie tracée, mais des empreintes allant dans différentes directions.
Les marques des pieds du cheval d’Arend s’y retrouvèrent encore, et le limier fut lancé sur elles.
Contrairement aux autres limiers, Spoor’em ne laissait pas loin derrière lui ceux qui le suivaient. Il parut penser qu’il serait prudent pour tous qu’ils restassent les uns près des autres. Ses maîtres n’eurent donc aucune difficulté à se maintenir au niveau de son allure.
Dans l’espérance d’apprendre bientôt quelque chose de leur compagnon, ils continuèrent de marcher, tandis que de la voix ils encourageaient le limier à une course plus rapide.
Les bruits d’une querelle entre quelques-uns des sauvages habitants de cette forêt furent tout à coup entendus à peu de yards en avant.
C’étaient des bruits familiers aux chasseurs, et qu’ils pouvaient aisément interpréter.
Un lion et une compagnie d’hyènes se querellaient sur le corps d’un gros animal. Il n’y avait pas de combat, car, bien entendu, le roi des animaux était en possession non disputée de l’épave, et les hyènes ne faisaient que se plaindre à leur manière.
Aux rayons de la lune, les chasseurs aperçurent une douzaine d’hyènes rassemblées autour d’une masse sombre.
« On dirait le cadavre d’un cheval, murmura Hendrick.
— Oui, j’en suis certain, répliqua à voix basse aussi Willem, car je puis distinguer le harnais. Mon Dieu ! c’est le cheval d’Arend. »
Spoor’em, qui s’était avancé à une quinzaine de pas de l’endroit où le lion était étendu, lança un aboiement de menace, comme une provocation au lion.
Un grognement furieux fut la seule réponse qu’obtint Spoor’em, et le lion resta tranquille.
« Nous pouvons ou le tuer, ou le chasser, dit Willem ; lequel des deux ferons-nous ?
— Tuons-le, répondit Hendrick : c’est le mieux. »
Se glissant en bas de leurs selles, Willem et Hendrick remirent le soin de leurs chevaux au Cafre. Ils avancèrent doucement, leurs fusils bien chargés et Spoor’em sur leurs talons, jusqu’à cinq pas du lion qui restait toujours à la même place.
Le seul respect qu’il montra pour leur présence fut de cesser de manger, et de s’accroupir, comme s’il s’apprêtait à s’élancer sur eux.
« Maintenant, murmura Hendrick, ferons-nous feu ?
— Oui, oui. »
Tous deux pressèrent la détente, et les deux coups ne produisirent qu’une seule détonation.
Instinctivement chacun se jeta hors de la ligne où l’animal devait bondir. Lui, poussant un terrible rugissement, s’élança lourdement au-devant d’eux ; mais ce fut pour tomber à leurs pieds, ayant franchi d’un bond une distance d’environ vingt pieds.
Sans se préoccuper plus longtemps de l’animal, les deux chasseurs tournèrent immédiatement leur attention sur le cheval. C’était bien celui d’Arend, mais il n’y avait pas la plus petite trace du cavalier. Quel que fût son sort, rien n’indiquait qu’il eût été tué.
Une espérance restait donc, qu’il avait pu s’échapper.
« Essayons de savoir si le cheval a été tué à l’endroit où il est étendu maintenant, ou s’il a été amené ici par le lion ; c’est la meilleure manière pour asseoir nos conjectures et commencer nos recherches sur un terrain un peu solide. »
Après avoir examiné la terre, Congo déclara que le cheval avait été tué sur la place même, et par le lion.
Cela parut assez étrange.
Après un plus minutieux examen, on découvrit qu’une des jambes du cheval était embarrassée dans l’une des brides ; cela expliquait, jusqu’à un certain point, le fait. Autrement il eût été difficile d’établir qu’un animal aussi léger et aussi vif qu’un cheval eût pu se laisser atteindre en rase campagne.
« Tant mieux, si les choses sont ainsi, dit Groot Willem ; jamais Arend n’est venu jusqu’ici sur son cheval.
— C’est vrai, reprit Hendrick, et notre premier soin doit être de découvrir où il s’est séparé de sa monture. »
Durant cette conversation, les chasseurs avaient rechargé leurs rifles, et étaient remontés à cheval dans l’intention de retourner sur leurs pas.
« Baas Willem, suggéra Congo, laissez Spoor’em chercher encore un peu par ici. »
Cet avis fut adopté, et Congo, partant devant le limier, commença à décrire un long cercle autour de l’endroit.
Après avoir atteint un côté de la plaine, où ils n’avaient pas encore pénétré, le Cafre appela ses compagnons.
Ils galopèrent vers le Cafre, qui leur montra les empreintes du cheval d’Arend, s’éloignant de l’endroit où son corps était étendu, et dans une direction opposée au camp.
Évidemment le cheval était allé plus loin que la place où ses restes se trouvaient maintenant. Ayant perdu son cavalier, il retournait au camp, quand il avait fait la dangereuse rencontre du li on.
De nouveau, Spoor’em s’élança sur la piste, Congo marchant derrière lui, et les deux cavaliers galopant consciencieusement à la suite.
Mais il nous faut retourner au camp, et chercher d’une façon plus sûre, les traces du chasseur absent.