CHAPITRE I
ARRIVÉE A LA TERRE PROMISE
C’est dans cette contrée que nous connaissons tant et si peu, où la nature prodigue ses plus étonnantes créations, ses plus étranges contrastes, que nous allons errer une fois encore.
Nous retournons en Afrique pour y rencontrer de nouvelles aventures.
Sur les rives du Simpopo brûlait un feu clair, autour duquel le lecteur pourra contempler trois cercles d’êtres animés.
Le plus grand est composé de chevaux, le second de chiens, et le troisième, le moins nombreux, de jeunes gens. Je n’ai qu’à citer les noms de Hans et Hendrick von Bloom, Groot Willem et Arend van Wyk, pour faire connaître les « jeunes yagers » engagés dans l’expédition que nous allons raconter.
Tous ne sont pas inspirés par les mêmes espérances et les mêmes désirs.
Le tranquille et savant Hans von Bloom, ainsi que beaucoup de jeunes gens des colonies, désire visiter la patrie de ses ancêtres, l’Europe, afin d’utiliser les connaissances qu’il a acquises dans des voyages précédents, et la collection florale qu’il a amassée pendant qu’il était « Bush boy ».
Mais auparavant il a jugé utile d’élargir ses connaissances en histoire naturelle par une excursion dans le sud de l’Afrique, sachant que ce pays présente une singulière variété de plantes rares, surtout entre les rivières Simpopo et Zambosi.
Son désir de faire ce voyage dans les déserts africains n’était pas plus fort que celui de l’enragé chasseur Groot Willem, qui, depuis son retour de sa dernière expédition, avait toujours été tourmenté du désir d’en entreprendre une autre, à la recherche d’un gibier inconnu.
Les deux jeunes cornettes, Hendrick von Bloom et Arend van Wyk, tous les deux s’efforçant de prendre les apparences de vieux guerriers, sont dans le camp.
Bien que passionnément épris de la vie de chasseur, chacun d’eux, pour certaines raisons, s’était abstenu de faire valoir la nécessité ou l’avantage de la présente expédition.
Ils eussent préféré rester chez eux, se contentant du gibier inférieur que l’on peut trouver près de Graaff-Reinet. — Ce n’est pas qu’ils craignissent le danger ou méritassent en aucune façon le surnom de « cockney sportsmen », mais leur patrie avait pour eux un charme que l’amour des aventures ne pouvait contrebalancer.
Aux émotions de la chasse auxquelles il avait, dans ses voyages précédents, pris tant de plaisir, Hendrick von Bloom préférait les sourires de Wilhemina van Wik, la sœur unique de ses amis Groot Willem et Arend.
Ce dernier, de son côté, ne se fût pas éloigné de la société de Trüey von Bloom, s’il avait été laissé à ses propres inclinations ; mais Willem et Hans ayant résolu de pousser une pointe vers le nord, dans des contrées inconnues d’eux, le départ avait été résolu.
La promesse de belles chasses, et surtout la crainte du ridicule s’ils restaient chez eux, avaient décidé Hendrick et Arend à accompagner le grand chasseur et le naturaliste aux rives du Simpopo.
Assis près du feu, sont deux autres individus ; l’un est le gros bushman Swartboy, court de taille et lourd d’esprit, à qui il eût été inutile de vouloir persuader de rester au logis, quand ses jeunes maîtres, Hans et Hendrick, allaient au loin courir le monde.
L’autre personnage est Congo le Cafre.
La rivière Simpopo se trouvait trop loin de Graaff-Reinet pour que les jeunes chasseurs pussent songer à l’atteindre avec des voitures et des vaches.
Le voyage dans ces conditions eût été possible, mais trop long, et ils étaient impatients d’arriver à ce que Groot Willem avait coutume d’appeler « la terre promise ! »
Les jeunes aventuriers avaient donc pris des chevaux et la route la plus courte. Outre leurs montures, ils emmenaient encore six autres chevaux chargés de leurs bagages, de provisions de bouche, et des différents objets utiles et nécessaires.
Le camp où nous les rencontrons ne doit être qu’une halte temporaire. Ils ont réussi à traverser la rivière du Simpopo, et sont maintenant sur les lisières de cette contrée qui leur a été si souvent citée comme le paradis des chasseurs ; ils en ont fini avec les fatigues du voyage, et n’ont plus devant eux que le plaisir, doublement appréciable quand on a fait plusieurs centaines de milles pour en jouir.
Nous avons dit qu’en entreprenant cette expédition les jeunes gens avaient des motifs différents ; cela est vrai, bien qu’ils eussent aussi un but commun, outre celui de simple amusement.
Le consul de Hollande ayant été chargé, par son gouvernement, de lui procurer une paire, mâle et femelle, de girafes, pour être envoyée en Europe, où cet étrange quadrupède n’avait jamais été vu vivant, cinq cents pounds avaient été promis pour les deux animaux amenés sains et saufs soit à Cape-Town, soit à Port-Natal. Plusieurs partis de chasseurs avaient tenté l’aventure et tué des caméléopards par vingtaines, mais sans pouvoir jamais en capturer de vivants.
Nos jeunes gens avaient alors formé la résolution de prendre une paire de jeunes girafes, et de payer, avec le prix dévolu, toutes les dépenses de leur expédition. Ils projetaient aussi de vendre les dents des hippopotames qu’ils tueraient. Cette espérance n’était point déraisonnable. Ils savaient que des fortunes avaient été faites par la vente des défenses des éléphants ; or les dents de l’hippopotame sont d’un ivoire plus fin et se vendent quatre fois plus cher que les premières sur les marchés européens.
L’intérêt cependant n’était pas le principal mobile de nos chercheurs d’aventures. Groot Willem notamment, en chasseur de profession, souhaitait d’abord de réussir dans ce que tant d’autres avaient tenté sans succès ; pour lui, la gloire d’avoir capturé les deux girafes dépassait de beaucoup l’attrait des cinq cents livres sterling de récompense, 12,500 francs, bien que la somme ne fût pas à dédaigner.