CHAPITRE II
SUR LE SIMPOPO
Durant la première nuit passée sur le Simpopo, nos chasseurs eurent de bonnes raisons pour supposer qu’ils étaient dans le voisinage du gibier qu’ils étaient venus chercher.
Leur repos fut troublé par un mélange de sons dans lesquels ils distinguèrent les rugissements du lion, de l’éléphant, et des voix d’animaux qu’ils n’avaient pas encore entendues.
Plusieurs heures de la journée s’étaient écoulées à chercher un gué dans la rivière, et ils n’avaient pu le trouver que lorsque le soleil était déjà bas à l’horizon. Tous, à l’exception de Congo, désiraient ne pas aller plus loin avant la nuit.
Le Cafre suggéra qu’ils feraient bien d’avancer au moins encore de la moitié d’un mille en montant ou en descendant la rivière, et Groot Willem appuya la proposition, sans autre raison pour cela qu’une profonde confiance dans le jugement de son compagnon.
L’avis de Congo avait fini par être adopté ; les bruits qui troublaient maintenant nos aventuriers se faisaient entendre à quelque distance d’eux, et semblaient provenir de l’endroit où ils avaient traversé la rivière.
« Maintenant, devinez-vous pourquoi Congo nous a conseillé de venir ici ? demanda Groot Willem, comme ils écoutaient les cris qui les avaient réveillés.
— Non, fut la réplique de ses compagnons.
— Eh bien, c’est parce que l’endroit où nous étions est celui où tous les animaux des environs viennent s’abreuver.
— C’est cela même, dit Congo, confirmant les conjectures de son maître.
— Mais nous ne sommes pas venus ici pour fuir les animaux, à ce qu’il me semble du moins, observa le chasseur Hendrick.
— Non, répondit Willem, mais nos chevaux ont besoin de repos, si nous pouvons nous-mêmes nous en passer. »
Après ces quelques mots échangés, nos chasseurs, s’habituant au concert des animaux sauvages, tombèrent dans un profond sommeil qui dura toute la nuit.
L’aurore éclaira un spectacle d’une splendide beauté.
Les chercheurs d’aventures se trouvaient dans une large vallée, couverte d’arbres magnifiques, de gigantesques baobabs (adansonia digitata), de dattiers croissant par bouquets, sur un tapis floral regardé par Hans avec une satisfaction particulière.
Il avait trouvé un nouveau champ pour ses études, et de brillants rêves peuplaient ses pensées : il se voyait déjà possesseur de découvertes qui lui donnaient rang parmi les savants de l’Europe.
Ses compagnons dormaient encore, que déjà Groot Willem, accompagné de Congo, se mettait en route pour explorer le pays environnant. Ils dirigèrent leur marche vers la rivière.
En atteignant la place où ils l’avaient traversée, ils furent témoins d’une scène que même un vieux chasseur n’eût pu considérer sans une pénible émotion. Dans un espace de cent yards étaient étendues cinq antilopes mortes, d’une espèce inconnue à Willem.
Plusieurs hyènes se nourrissaient de leurs cadavres ; à l’approche des chasseurs, elles se retirèrent lentement, en riant comme des créatures humaines privées de raison, qui viennent de commettre quelque horrible action. Par les fumées laissées sur le rivage, il était évident qu’éléphants et lions avaient visité cet endroit durant la nuit. Pendant qu’il faisait ces reconnaissances, Groot Willem était rejoint par Hans qui, lui aussi, avait déjà commencé ses explorations.
L’attention de Hans se dirigea aussitôt sur les antilopes mutilées, qu’il déclara appartenir à une nouvelle variété de ces animaux ; chacune portait en travers du corps de petites b****s blanches, qui, pour cette raison, les faisaient ressembler à des « koo-doos ».
Après un court examen des traces, Congo assura qu’une troupe d’élans avait déjà visité l’endroit, et que là, quatre gros éléphants aussi à la recherche de l’eau, étaient tombés sur eux. Trois ou quatre lions s’étaient mis de la partie, et dans la lutte, les élans seuls avaient été victimes.
« le pense que nous ferons bien d’établir ici un kraal en règle, et de nous y arrêter quelques jours, dit Willem à son retour au camp. Il y a grandement de quoi nourrir les chevaux, et il n’y a pas à douter que le gué où nous avons traversé ne soit fréquenté par toutes les espèces de gibier.
— C’est aussi mon opinion, dit Hendrick, mais je ne voudrais pas camper si près du gué. Nous ferons mieux de nous établir à quelque distance, afin de ne pas. empêcher le gibier de venir à l’eau, et afin aussi de dormir. Ne pensez-vous point que nous aurons plus d’avantage à nous éloigner un peu de la rivière ?
— Oui, oui, » fut la réponse unanime.
On décida donc que l’on se mettrait à la recherche d’une place propre à l’établissement d’un « kraal » (1).
Après avoir pris leur premier repas sur le Simpopo, Groot Willem, Hans et Hendrick montèrent à cheval et longèrent la rivière suivis de tous les chiens, laissant Arend avec Swartboy et Congo pour prendre soin du camp.
Pendant près de trois milles, les jeunes chasseurs coururent sans trouver aucun endroit favorable ; les rives étaient à pic et arides, et par conséquent peu visitées par les animaux qu’ils désiraient chasser. Enfin, le paysage changea pour prendre un aspect plus en rapport avec leurs vœux.
Du bois léger, tel qu’il le fallait pour leurs besoins, croissait près de la rivière, qui n’était plus inaccessible, bien que ses bords parussent peu fréquentés par les animaux.
« Je pense que cet endroit conviendra admirablement, dit Groot Willem. Nous ne sommes qu’à un demi-mille du courant, et probablement nous trouverons à faire bonne chasse en remontant la rivière.
— Très-probablement, repartit Hendrick, mais avant de prendre trop de peine à nous bâtir un kraal, nous ferons bien de nous assurer du genre de gibier qui peut être trouvé ici.
— Vous avez raison, répondit Willem, il faut nous assurer si ce sont des hippopotames ou des girafes. Nous ne pouvons reparaître devant nos amis sans avoir pris une paire de ces derniers animaux ; quelques-uns, j’en suis persuadé, seraient enchantés de pouvoir se moquer de nous.
— Et vous, entre tous, mériteriez leurs sarcasmes ; rappelez-vous combien vous avez plaisanté les chasseurs qui revenaient bredouille. »
Ayant choisi une place pour le kraal, au cas où ils décideraient de rester quelque temps dans le voisinage, les jeunes chasseurs continuèrent leur exploration le long de la rivière.