Chapitre 8

2908 Words
8Alcamo, Sicile Trois jours après son agression, Rosetta traversa encore une fois Alcamo. Elle avait passé ces trois journées terrée chez elle, comme un animal blessé. Elle était effrayée. Elle se sentait sale et fragile. Elle se disait qu’elle avait été vaincue, humiliée et qu’elle avait raison d’avoir toujours eu peur des hommes, elle avait honte. Le premier matin, elle était allée dans le champ qu’un incendie criminel avait dévasté quelques mois plus tôt et elle avait brûlé sa robe rouge déchirée et souillée de son sang. La cendre avec la cendre. Mais le feu n’effacerait pas ce qu’on lui avait fait. Les flammes ne pouvaient rien contre la souillure, la douleur, la peur et l’humiliation embusquées en elle comme un cancer. Rentrée chez elle, elle avait ouvert les portes d’un grand placard vermoulu et s’était tapie à l’intérieur deux jours durant, comme elle le faisait, enfant, pour échapper à son père lorsqu’il était ivre. Elle le revoyait lorsqu’il la battait avec sa ceinture en braillant : « Toi, tu ne seras bonne qu’à b****r ! » Il avait été le premier à lui voler son âme et à lui ôter ses forces, et il lui avait fallu des années entières pour les recouvrer. Elle y était arrivée toute seule parce qu’elle ne pouvait compter sur personne, à commencer par sa mère, toujours trop soumise et obnubilée par ses propres malheurs. Mais une fois encore, on lui avait ravi son âme et toutes ses forces. Et maintenant qu’elle parcourait les ruelles d’Alcamo sous un soleil féroce qui brûlait l’air de cette fin septembre avec la même violence qu’en juillet, ses pas avaient perdu de leur assurance. Elle avançait lentement, péniblement. Elle n’allait plus tête haute, avec son air de défi habituel, elle gardait les yeux rivés au sol. Elle portait une robe noire, la seule qu’elle possédait, comme si elle était en deuil. Ses pieds n’étaient plus nus mais prisonniers d’une vieille paire de chaussures aux semelles hors d’usage. Ses jambes étaient dissimulées par sa longue robe et par d’épais bas noirs qui lui arrivaient juste au-dessus des genoux. Ses cheveux serrés dans un chignon strict, comme ceux d’une vieille dame, n’étaient plus comme avant un scandaleux étendard de la liberté, livré aux caresses du vent. Elle tenait à la main un baluchon contenant ses pauvres effets roulés dans un drap, quelques dizaines de lires dans un petit sac de jute et un document prouvant qui elle était – bien qu’au fond d’elle-même, elle ne le sache plus vraiment. Les villageois la regardaient passer, muets, gênés, comme si, dans un éclair de conscience, ils se sentaient soudain coupables de cette affaire qui était allée trop loin. Les hommes désœuvrés éternellement attablés à l’auberge se levèrent en ôtant la coppola de leur tête. Les femmes ravalèrent les insultes qu’elles lui réservaient habituellement. Rosetta, le front couvert de sueur, les épaules brûlées par le soleil, poursuivait sa route, traînant les pieds dans un silence irréel, comme le Christ sur le Chemin de Croix que le bourg mettait en scène chaque année pour le Vendredi Saint. Et tout le monde connaissait la terrible croix que portait Rosetta. Arrivée devant San Francesco d’Assisi, Rosetta ralentit et leva les yeux. Le père Cecè se tenait sur les marches de l’église. Il avait l’air affligé et pourtant, ce dimanche, dans son sermon, il n’avait pas condamné les auteurs de cette agression. Sur terre, même les ministres de Dieu avaient appris à se taire. « Il t’attend ? » lui demanda-t-il, bien qu’il connaisse déjà la réponse. Rosetta acquiesça à peine. Le père Cecè se tut. Au moment où Rosetta reprenait sa route, il ajouta : — Cela n’aurait pas dû finir comme ça. — Non, murmura-t-elle, tête basse. Elle arriva au palais de pierre jaune du baron Rivalta di Neroli, avec ses balcons sculptés de monstres et d’anges qui se faisaient la guerre, symbole de la lutte éternelle du Bien contre le Mal. Elle s’arrêta au milieu de la petite place, écrasée par la chaleur étouffante. « Dans un instant, tout sera fini », se dit-elle. Elle entendit derrière son dos des bruits de pas et de sabots qui faisaient crisser le sable de la chaussée déformée. Elle se retourna et découvrit Saro, le garçon aux cheveux roux, un des cinq jeunes qui, le matin de son agression, s’étaient assis sur la barrière pour se moquer d’elle tandis qu’elle enterrait ses brebis égorgées. Il tenait par la bride son ânesse noire au museau blanchi par l’âge. Rosetta sentit aussitôt la peur la gagner, persuadée qu’il était l’un des trois hommes qui l’avaient violée. Saro ôta sa coppola, l’air gêné. Instinctivement, la jeune femme regarda le cou du garçon, où elle ne vit nulle trace des griffures qu’elle avait infligées à l’un de ses agresseurs, en tentant de se défendre. C’était peut-être l’un des deux autres, qu’elle avait griffé. Elle ne put soutenir son regard et baissa les yeux, honteuse. Ils ne l’avaient pas seulement violée, ils l’avaient souillée de leur fange. Elle fit volte-face pour entrer dans le palais du baron. — C’était pas nous, lâcha alors Saro dans un souffle, c’était personne de chez nous ! Rosetta le regarda à nouveau. Elle sentit des larmes brûlantes lui monter aux yeux. — Qu’est-ce que ça change ? dit-elle, plus amère qu’en colère. Tu disais qu’une bottana comme moi, tu n’en voudrais même pas sur un plateau ! Saro rougit. — C’était pas vrai, répondit-il doucement. La jeune femme eut une sorte de sourire, tellement lointain qu’il semblait venir d’un autre monde. — C’est trop tard, lui dit-elle. Maintenant, je suis une bottana pour de bon. Saro ouvrit la bouche tout en tripotant sa coppola. Il esquissa un vague mouvement de la main et murmura : — Pas pour moi. Elle secoua la tête. — C’est trop tard, répéta-t-elle, d’une voix pleine de mélancolie. Puis elle tourna le dos et regarda le palais du baron, les yeux plissés, éblouie par le soleil. Un serviteur, à l’ombre de la grande porte d’entrée, lui fit signe d’approcher. Quand Rosetta se dirigea vers lui, Saro et son ânesse firent quelques pas à son côté mais elle ne se sentit pas moins seule pour autant. Le serviteur l’accueillit avec un sourire entendu, presque moqueur : tout le monde sait, se dit Rosetta humiliée. Et pour la première fois, elle pénétra dans la luxueuse résidence du seigneur de ces terres. En gravissant un escalier tellement large qu’un carrosse aurait pu y passer, avec des marches en marbre lustrées par des semelles de chaussures depuis trois siècles, elle songea un instant que ce serviteur avait quelque chose d’étrange, avec sa veste boutonnée jusqu’au menton malgré la chaleur. On la fit entrer dans une salle immense et fraîche, maintenue dans la pénombre par d’épais rideaux damassés, avec des tableaux anciens aux murs et un plafond décoré de stucs et de fresques. Mais son cœur était tellement engourdi par la détresse qu’il n’y avait plus de place, ce jour-là, pour l’étonnement. Le baron Rivalta di Neroli était assis derrière un bureau en marbre. Il grignotait paresseusement du chocolat de Modica, comme le faisaient les nobles, les jours de fête. « Laisse-nous seuls ! » ordonna-t-il à son serviteur. Il avait une voix aiguë, presque celle d’un castrat, et un visage gras et mou au teint aussi clair que l’albâtre, à l’exception d’un réseau de vaisseaux sanguins qui empourpraient ses joues et le bout de son nez épaté. Les quelques cheveux qui lui restaient sur le crâne devaient avoir été blonds, mais ils étaient à présent tellement rares et laineux que le baron faisait penser à un poussin géant et répugnant tout juste sorti de son œuf. Il avait bientôt cinquante ans. Rosetta ne l’avait jamais vu d’aussi près, elle éprouva un dégoût immédiat. « Ah, tu t’es enfin décidée ! » lui lança-t-il dès que le serviteur eut fermé la porte. Elle ne répondit rien et resta le regard rivé au sol. Il la scruta de ses petits yeux noyés dans la graisse de son visage. — Je suis au courant pour l’accident, dit-il d’un air malicieux. — Ce n’était pas un accident, rétorqua Rosetta d’une voix faible. L’aristocrate eut un demi-sourire, qui découvrit de petites dents et des gencives roses et anémiques. — Non, ce n’était pas un accident, tu l’as bien cherché ! reprit-il méchamment. C’était dans l’ordre des choses, et cela devait t’arriver tôt ou tard. Du bout du doigt, il caressait distraitement un lourd presse-papier qui représentait un sanglier à l’agonie, une flèche fichée dans le cou et les crocs de deux chiens de chasse plantés dans les flancs. « Tu es une paysanne arrogante qui utilise sa bouche pour parler comme un homme ! » Rosetta ne leva pas les yeux. Non seulement elle avait perdu, mais en plus elle devait reconnaître que ce qui lui était arrivé était juste. Elle ne trouva pas la force de se rebeller. Dans un instant, tout sera fini, se dit-elle encore. Elle allait vendre sa terre, empocher l’argent, et elle tenterait de recommencer une nouvelle vie. — Bien, reprit le baron après un long silence. Tu as décidé de ce que tu feras, après ? — Je chercherai un bout de terrain dont personne ne veut et je le cultiverai. — Mais pas ici ! — Non, pas ici. — Très bien, acquiesça-t-il. Il se leva pour aller jusqu’à un coffre-fort noir orné de décorations dorées très raffinées. Il en ouvrit la lourde porte parfaitement huilée et sortit une boîte en ronce de noyer qui portait les armoiries de sa famille incrustées sur le couvercle. Il revint derrière son bureau et ouvrit la boîte. « Le moment est venu de faire les comptes », annonça-t-il. Il prit des billets de banque, les compta et les déposa sur le plateau de marbre, devant Rosetta. — 1 500 lires. La jeune femme redressa la tête, une expression de stupeur dans les yeux. — Mais ma terre en vaut au moins 3 000 ! protesta-t-elle. — Tu as trouvé quelqu’un qui t’offre 3 000 lires ? lui demanda-t-il alors, un rictus malveillant aux lèvres. Ah non ? Il la dévisagea en silence, content de lui, tout en tripotant les boutons dorés de son gilet de soie orange. « Même pas 2 000 ? » Rosetta ne répondit pas. « Personne ne peut acheter ta terre à part moi ! C’est pour ça que le prix, c’est moi qui le fixe. » Il prit un billet de cent lires dans le tas qu’il avait posé devant elle et le remit dans la boîte. « Maintenant ta terre vaut 1 400 lires, et dépêche-toi d’accepter, parce que bientôt elle va descendre à 1 300 ! » Rosetta comprit qu’elle était dos au mur et qu’elle n’était plus capable de lutter. Elle tendit la main et prit l’argent. Le baron ricana : — On ne dit même pas merci ? — Merci… Votre Excellence… Il se leva, fit le tour du bureau et, sans cesser de la fixer, s’approcha d’elle. — Tu aimerais les récupérer, les 100 lires que je t’ai prises ? proposa-t-il d’un ton mielleux. — Oui, Votre Excellence… balbutia-t-elle en reculant d’un pas. L’homme avait quelque chose d’inquiétant dans la voix et le regard. Il la poussa soudain contre le bureau. — Alors, il va falloir les gagner ! sourit-il. Il tendit la main et commença à défaire le premier bouton de la robe. Elle se sentit mourir, glacée par sa peur de toujours, pétrifiée. Le baron défit le deuxième bouton. « Non… » murmura Rosetta du bout des lèvres, sans réussir à réagir. — 100 lires, c’est une somme rondelette, dit-il en continuant à déboutonner sa robe. Même les bottane de Palerme ne touchent pas autant ! — Non… répéta-t-elle en appuyant une main contre la poitrine grassouillette du baron, pour essayer de le repousser. Il glissa une main sous sa robe avec rudesse et remonta le long de ses cuisses. Sa bague érafla la peau de la jeune femme, puis ses doigts bouffis atteignirent l’entrejambe. « Non… » murmura-t-elle, le souffle coupé. « On m’avait dit que tu avais un buisson bien touffu et bien tendre, là-dessous… » gémit-il. Il la poussa plus fort contre le bureau, tout en défaisant son pantalon. Il saisit la main de Rosetta, qu’il plaqua sur son membre mou. Elle tenta de se rebeller mais ses forces semblaient l’avoir abandonnée. « Non… » répéta-t-elle, les joues striées de larmes. Il frotta la main de la jeune femme sur son membre, qui demeurait inerte. « Tu dis non mais en fait tu as envie, hein ? dit-il, haletant. Il paraît que ça t’a plu, l’autre fois… » Il prit la tête de Rosetta entre ses mains et essaya de la faire agenouiller. « Maintenant, je vais t’apprendre à quoi ça sert, la bouche des femmes ! » Elle tenta de libérer sa tête, mais le baron la maintenait fermement. Tandis que les larmes continuaient à rouler sur ses joues, elle eut l’impression d’entendre la voix de son père qui répétait : « Toi, tu ne seras jamais bonne qu’à b****r ! » Elle se sentit happée dans un tourbillon vaseux pire que la mort. « Non ! » cria-t-elle. Et là, avec l’énergie du désespoir, elle flanqua un coup de genou à l’aristocrate, entre les jambes. Il gémit de douleur, plié en deux, et une expression de fureur se peignit sur son visage. « Bottana ! » hurla-t-il en se jetant sur elle. Il la gifla violemment d’un revers de la main, et sa bague la blessa à la pommette. « Comment oses-tu ? » lui cracha-t-il à la figure, avec une voix de plus en plus aiguë. Il lui asséna un coup de poing avant de serrer les mains autour de son cou. « Bottana ! » brailla-t-il encore en l’écrasant contre le bureau. Rosetta, en proie à la panique, avait l’impression que sa tête allait exploser. Des images incohérentes défilaient devant ses yeux embués : son grand-père qui battait sa grand-mère, les violeurs qui la pénétraient, son père qui levait sa ceinture… Respirant à grand peine sous la pression furibonde du baron, elle se retint au bord du bureau pour essayer de rester debout. Sa main tomba sur le presse-papier au sanglier agonisant. « Bottana ! » beuglait toujours le baron, le visage congestionné par la colère. Rosetta n’entendait pas la voix aiguë du baron mais celle de son père ivre, quand il fouettait son dos jusqu’au sang. Elle serra le poing sur le presse-papier. Tout devint noir. Et dans le noir, elle vit briller la boucle de la ceinture qui s’abattait sur elle. « Non ! » dit-elle, la gorge nouée. Et sa peur ancestrale se transformant en fureur, elle leva le presse-papier à bout de bras et l’abattit sur la tête du baron, de son père, de ses violeurs. Une fois, deux fois, trois fois. Jusqu’à ce que le baron lâche prise et s’effondre par terre avec un bruit sourd. « Que se passe-t-il ? » s’enquit le serviteur en accourant, alarmé par les hurlements. Une épaisse tache de sang dégoulinait de la tête du baron et se répandait sur le marbre jaune. Il ne bougeait plus. Le serviteur se jeta sur Rosetta. Mais dès qu’il fut à sa portée, elle lui asséna à son tour un coup de presse-papier en plein front. L’homme chancela, avec une expression interloquée. Au moment où il tomba à terre, le col de sa veste s’ouvrit, révélant un bandage taché de sang sous son oreille, à l’endroit même où Rosetta avait griffé l’un de ses agresseurs. Rosetta laissa tomber le presse-papier, les yeux exorbités. Dans l’autre main, elle tenait encore les 1 400 lires. Elle demeura un instant immobile, fixant les billets de banque chiffonnés. Puis elle ramassa son baluchon et s’enfuit en toute hâte. À peine eut-elle franchi la porte qu’elle croisa un autre serviteur mais, à son regard distrait, elle comprit aussitôt qu’il n’avait pas entendu le remue-ménage de la lutte. Elle eut la présence d’esprit de se retourner vers la salle et de s’incliner en disant : « Je vous b***e les mains, monsieur le baron », cherchant à donner le plus de calme possible à sa voix. Puis elle referma la porte et s’engagea dans l’escalier d’un pas maîtrisé, résistant à la tentation de se mettre à courir. « Je suis une meurtrière ! » pensait-elle, horrifiée et angoissée, en descendant les marches. « Madonna del Carmine, pardonne-moi ! … Je ne peux pas vivre avec ce poids sur le cœur… Pardonne-moi, je t’en prie… » Elle était presque arrivée en bas lorsque des pas lourds et traînants, accompagnés de gémissements, se firent entendre : « Elle a essayé de me tuer ! » cria le baron de sa voix stridente. Rosetta leva les yeux. Le visage couvert de sang, soutenu par son serviteur, le visage ensanglanté lui aussi, il était penché à la balustrade en granit de l’étage supérieur. « Elle a essayé de me tuer ! hurla-t-il encore. Attrapez-la ! Je veux l’égorger de mes mains ! » Une goutte de sang tournoya dans l’air et vint s’écraser sur une marche, aux pieds de Rosetta. La jeune femme descendit d’un seul bond les dernières marches et, tandis que des voix commençaient à résonner dans le palais, elle gagna la sortie. Saro se tenait encore devant l’entrée avec son ânesse. Sous le regard ébahi des villageois, Rosetta traversa la place en courant, l’air hagard. « Attrapez-la ! » claironna encore le baron, surgissant au balcon du premier étage, la tête toujours dégoulinante de sang. « 300 lires à qui me la ramène ! » « Je suis perdue » pensa Rosetta terrorisée, les larmes aux yeux, en s’engouffrant dans une ruelle. Elle perçut un tumulte de voix et de sabots derrière elle mais ne se retourna pas. Elle se précipita de toutes ses forces vers Porta Palermo, qu’elle dépassa, et se retrouva hors du village. Elle abandonna la route blanche pour s’enfoncer dans le maquis, où elle continua sa course jusqu’à ce qu’elle tombe à terre, épuisée, la robe déchirée par les ronces et de profondes griffures sur les bras. Elle resta un moment affaissée sur le sol, reprenant son souffle. Quand elle put respirer à nouveau, elle s’agenouilla. Elle n’avait qu’une pensée en tête. Elle chercha un rayon de soleil entre les branchages et exposa son visage en pleine lumière : « Merci, Madonna del Carmine ! murmura-t-elle d’abord. Merci, ma petite Madone, merci… » répétait-elle, le cœur gonflé de soulagement. « Je n’ai tué personne ! » finit-elle par s’écrier, et un sourire trouva le chemin de ses lèvres fendues par les coups de poing du baron, montrant ses dents blanches et régulières au soleil. « Je ne suis pas une meurtrière ! » Elle fit un signe de croix, elle pleurait et souriait à la fois. Elle s’aperçut qu’elle tenait toujours en main les 1 400 lires. Elle ouvrit son baluchon et plaça les billets dans le petit sac de jute, avec ses quelques pièces de monnaie. Le soleil continuait de lui chauffer le visage. Le soulagement de ne pas être une meurtrière lui procurait une extraordinaire sensation de légèreté, qui lui faisait oublier tout le reste. « Tant que tu y étais, tu aurais pu prendre les 1 600 lires, elles te revenaient de droit ! » murmura-t-elle en refermant le petit sac. Et brusquement, elle éclata de rire. « Il n’y a pourtant rien de drôle ! » se raisonna-t-elle. Mais c’était tout à fait incontrôlable : à nouveau, un rire de joie et de peur lui monta à la gorge et la secoua tout entière. Elle se dit qu’elle n’avait pas ri depuis beaucoup trop longtemps. « Toi, tu es vraiment une sacrée andouille ! » pensa-t-elle et elle s’abandonna au fou rire le plus absurde qu’elle ait jamais connu.
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