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Les Prisonniers de la liberté

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Venus des quatre coins de l'Europe, trois destins brisés se retrouvent dans l'enfer de Buenos Aires en 1912.

Argentine, 1912. Trois destins, trois chemins qui se croisent et se perdent, trois jeunes gens bousculés par la vie rêvant d’un monde nouveau.

Rosetta a été déshonorée à Alcamo, la famille de Raquel est massacrée à Sorochyintsi, Rocco refuse de se soumettre à la loi de Palerme.

Venus vaincus des quatre coins d’Europe, ils n’auraient jamais dû se rencontrer.

Ils se retrouvent dans l’enfer de Buenos Aires.

Découvrez sans plus attendre le nouveau roman historique de l'auteur des best-sellers internationaux Le Gang des rêves, Les Enfants de Venise et Le Soleil des rebelles !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un ouvrage épique aux accents romanesques sur la soif de liberté abordant les thèmes des migrations et de l'injustice notamment celle des femmes et sur leur condition au début du XXe siècle. Un roman dont on savoure la finesse et la justesse [...] Un livre à la fois bouleversant, teinté d'acidité et de tendresse qui tiendra le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. - Icicnancy.fr

Un roman aussi poignant que haletant, qui plonge le lecteur dans les bas-fonds de la condition des migrants. Cent ans plus tard, les obstacles ont sûrement pris des formes différentes. Mais cette dureté a-t-elle vraiment évolué ? - Ouest France

Le Gang des rêves, Les Enfants de Venise, Le Soleil des rebelles. Que l’intrigue se passe au début de la Renaissance en Italie ou dans les années 1920 à New York, chaque roman fait un carton. Sorti en septembre dernier, Les Prisonniers de la liberté, quatrième livre de Luca Di Fulvio, semble bien partie pour emprunter le même chemin. - LeProgrès.fr

Malgré ses sept cent pages qui peuvent effrayer, Les prisonniers de la liberté, le dernier roman de Luca Di Fulvio, nous tient du début à la fin, sans forcer. (...) Une fois plongé dans cette lecture, on ne peut plus la quitter. Luca Di Fulvio a l'art d'accrocher ses lectrices et ses lecteurs. Il nous fait passer de la noirceur de personnages abjects, d'une cruauté sans borne, à la lumière incarnée par ces trois héros qui vivent l'amitié, la solidarité, l'amour. Et puis, il y a ces personnages en demi-teinte avec leur part de faiblesse, mais aussi de courage. Un roman très addictif qui n'arrangera pas la situation des insomniaques... - Félix Boulé, Radio Laser

Avec des personnages extrêmement attachants, une intrigue qui tient en haleine et une réflexion sous-jacente sur la condition féminine et la corruption sous toutes ses formes, Luca Di Fulvio signe là un roman dont on redemande encore, même après 600 pages. Captivant et ébouriffant de bout en bout. Un vrai coup de cœur. - Joalie.donc.je.suis

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Rome où il vit et écrit, Luca Di Fulvio est l’auteur de dix romans dont trois sagas mythiques, parues chez Slatkine & Cie : Le Gang des rêves, Les Enfants de Venise et Le Soleil des rebelles, toutes disponibles chez Pocket. Son nouveau roman, Les Prisonniers de la liberté, est en cours de traduction dans le monde entier.

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Chapitre 1
1Alcamo, Sicile « Bottana ! » Rosetta Tricarico continuait d’avancer sur les sentiers poussiéreux d’Alcamo sans se retourner, la tête haute. « Espèce de sale bottana ! » reprit une autre vieille, vêtue de noir de la tête aux pieds, le visage parcheminé par le soleil féroce de Sicile. Mais Rosetta poursuivit son chemin, droit devant. Elle marchait pieds nus en faisant virevolter les pans de sa robe rouge feu. Un groupe d’hommes, installés autour d’une petite table, sous l’auvent en roseaux de l’auberge, avec la coppola calée sur le front, une chemise blanche au col crasseux, le gilet noir aux poches élimées et la barbe drue, fixaient Rosetta comme une proie. L’un d’eux cracha une sécrétion noire et visqueuse, pleine de tabac. « Mais où tu cours comme ça ? » lança alors l’aubergiste en s’essuyant les mains sur son tablier. Les clients éclatèrent de rire. Rosetta les dépassa. — Y paraît que cette nuit, les loups sont descendus de la montagne… commença l’un des hommes, en sirotant un petit verre de vin doux. Les autres se remirent à ricaner. L’homme continua : — Heureusement, ils n’ont pas touché à mon troupeau… — Les loups, c’est les bottane qu’ils cherchent, pas les braves gens ! commenta l’aubergiste. Toute la compagnie acquiesça. Rosetta s’arrêta net, dos tourné, poings serrés. « T’as quelque chose à nous dire ? » grogna un des hommes, d’un ton provocateur. La jeune femme resta immobile, frémissant de rage. Puis elle reprit son chemin jusqu’à l’église San Francesco d’Assisi. Elle entra dans le presbytère comme une furie et se planta devant le père Cecè. « Comment pouvez-vous permettre ça ? » cria-t-elle. Elle était écarlate, la fureur l’étouffait. Elle avait vingt ans et déjà la force d’une femme accomplie. Ses cheveux, dénoués sur ses épaules, étaient sombres et brillants comme les plumes d’une corneille, ses yeux lançaient des éclairs noirs sous ses sourcils broussailleux. — Comment un homme de Dieu peut-il faire comme si de rien n’était ? — De quoi parles-tu ? demanda le père Cecè, mal à l’aise. — Vous le savez très bien ! — Calme-toi, mon petit… — Cette nuit, ils ont tué dix de mes brebis ! — Ah oui, ça, bredouilla le prêtre, il paraît qu’il y a eu des loups… — Les loups n’égorgent pas les moutons avec des couteaux ! — Mon petit, comment peux-tu dire… — Les loups, ils les mangent, les brebis ! continua Rosetta avec un regard de colère et de désespoir. Oui, ils les mangent, ils ne les laissent pas comme ça, dans le pré ! Elle serra les poings jusqu’à ce que ses doigts deviennent blancs. « Mais… vous le savez très bien… » En prononçant ces derniers mots, sa voix avait pris un ton tragique. Elle secoua la tête. « Comment pouvez-vous ? Comment est-ce possible ? » Le père Cecè soupira, toujours plus mal à l’aise. Il se retourna, incapable de soutenir le regard de Rosetta, et il aperçut sa bonne en train d’écouter à la porte. « Va-t’en ! » s’énerva-t-il. Il alla fermer la porte, puis se rendit à l’autre bout de la pièce et prit deux chaises qu’il posa face à face. Il en indiqua une à Rosetta. Elle s’approcha et dévisagea longuement le prêtre avant de s’asseoir. — Comment pouvez-vous permettre ça ? répéta-t-elle. — Cela fait longtemps que je ne t’ai pas vue à l’église, fit-il remarquer. Rosetta eut un sourire sarcastique. — Et alors ? Si je viens à l’église, vous m’aiderez ? — Notre Seigneur t’aidera. — Et comment ? — En parlant à ton cœur et en te suggérant la bonne décision. Rosetta se leva d’un bond. — Alors comme ça, vous aussi, vous êtes un valet du baron ! cria-t-elle avec mépris. Le curé poussa à nouveau un gros soupir, puis il se pencha vers elle et lui prit la main. Elle la retira aussitôt, agacée. « Assieds-toi », lui dit-il sans aucune agressivité. Rosetta s’exécuta. — Ma fille, voilà plus d’un an, depuis que ton père est mort, que tu te bats, commença-t-il d’un ton las. Il est temps que tu te résignes… — Jamais ! — Regarde ce qui t’arrive, poursuivit-il. Plus personne n’achète tes fruits. Ils restent là, à pourrir. Il y a deux mois, un incendie a brûlé la moitié de ta récolte… Rosetta tourna les yeux vers son avant-bras droit, qui portait la marque d’une grave brûlure. — Plus ce combat entre le baron et toi s’éternise, ajouta le prêtre, plus tu deviens têtue et bizarre. Regarde un peu la robe que tu portes… — Qu’est-ce qu’elle a de bizarre ? interrogea Rosetta avec orgueil. Je ne suis pas veuve, je n’ai pas à m’habiller en noir ! Cette robe m’arrive aux chevilles et ne montre pas du tout mes nichons. — Mais comment tu parles… soupira-t-il. — Comme une bottana, railla Rosetta avant de fixer le prêtre droit dans les yeux. Mais moi, je ne suis pas une bottana, et vous le savez très bien. — Oui oui, je sais… — Je suis une bottana simplement parce que je ne courbe pas l’échine. — Tu ne comprends pas… — Oh si, je comprends très bien, au contraire ! éclata Rosetta en brandissant un poing dans les airs. Le baron possède déjà des centaines d’hectares, et il s’obstine à vouloir aussi mes quatre hectares, parce que la rivière y coule, comme ça, toute l’eau sera à lui. Mais cette terre, elle est à moi ! Ma famille s’y casse les reins depuis trois générations, et moi je veux simplement faire comme eux. Les gens du village devraient m’aider, mais ils ont peur. Ce n’est qu’une b***e de lâches ! — Tu vois que tu ne comprends pas ! s’exclama le père Cecè. Bien sûr, que les gens craignent le baron ! Mais tu crois vraiment que c’est pour ça qu’ils s’acharnent contre toi ? Tu te trompes, tu n’as rien compris. Pour eux, tu es encore plus dangereuse que le baron… et d’une certaine manière, je ne peux pas leur donner tort. Tu es une femme, Rosetta. — Et alors ? — Que se passerait-il si d’autres femmes se comportaient comme toi ? s’enfiévra le père Cecè. C’est contre-nature ! Même Dieu le condamne ! — Moi, je vaux autant qu’un homme. — Mais c’est justement ça, que Dieu condamne ! s’écria-t-il en la saisissant par les épaules. Une femme doit… — Je connais la chanson, interrompit Rosetta. Elle s’emportait et s’écarta de lui. Une femme doit se marier, faire des enfants, et encaisser les coups de son mari sans se rebeller, comme une brave boniche. — Mais comment peux-tu réduire à ça le mariage sanctifié par Dieu ? — Mon grand-père battait sa femme jusqu’au sang, lâcha Rosetta, sombre, les narines dilatées par la rage. Et mon père battait ma mère. Toute sa vie, il lui a reproché de ne lui avoir donné qu’un seul enfant, une fille. Quand il était ivre, il la frappait à coups de ceinture et me battait moi aussi. Il disait que je ne serais jamais bonne qu’à b****r ! À ce souvenir, elle serra les poings, ses yeux s’embuèrent de colère et de douleur. — C’est donc ça, votre mariage sanctifié par Dieu ? Eh bien écoutez-moi : je ne laisserai plus jamais personne me frapper comme si j’étais un animal ! — Alors, vends ! — Non. — Je me fais du souci pour toi… — Faites-vous plutôt du souci pour votre âme, quand vous donnerez l’absolution aux villageois qui ont égorgé mes brebis ! Là, elle se leva et fixa le prêtre : « Vous avez absous mon père aussi, pas vrai ? Il vous a dit qu’il me battait jusqu’au sang avec sa ceinture ? Qu’il m’écrasait sous ses poings ? Vous n’avez jamais remarqué les bleus sur mon visage ? Sur celui de ma mère ? Nos lèvres étaient tellement fendues que nous ne pouvions pas réciter le Je vous salue Marie sans saigner. La peur, la douleur et la tristesse ont tué ma mère. » Elle le regarda avec colère et elle conclut, dans un murmure : — Et vous, vous avez donné l’absolution à mon père. Vous pouvez vous le garder votre Dieu, si c’est ça ses suggestions ! — Ne blasphème pas, Rosetta ! C’est aussi ton Dieu ! — Certainement pas ! Mon Dieu veut la justice ! Elle se jeta sur la porte, l’ouvrit d’un geste brusque et surprit la bonne du curé penchée en avant, à espionner par le trou de la serrure. Elle la bouscula et se précipita hors du presbytère. La domestique se signa à trois reprises, comme si elle venait de voir le démon en personne, et murmura : « Bottana ! » Dehors, un soleil aveuglant faucha Rosetta. Une petite troupe de curieux s’était rassemblée devant l’église. Ils observaient la jeune femme en silence et formaient une sorte de haie qui l’empêchait de passer. Rosetta aurait voulu fuir, mais il n’y avait aucune échappatoire possible. Le cœur battant à tout rompre, elle avança vers le groupe compact. Elle avait du mal à respirer et la fureur lui martelait les tempes. Quand elle fut à moins d’un pas du premier villageois, elle s’arrêta et le dévisagea, lèvres serrées. Un léger souffle de vent balayait ses longs cheveux noirs dénoués. Après un moment, l’homme fit un pas de côté. Alors Rosetta reprit lentement sa marche. Les gens s’écartaient doucement, paresseusement, et l’obligeaient à frôler leurs corps menaçants. Quand elle les eut dépassés, elle sentit que ses jambes ne la portaient plus. Mais elle s’efforça de ne pas accélérer le pas, et de se tenir le plus droit possible. Quand elle s’engagea dans le sentier qui menait à son terrain, elle perdit tout contrôle de ses jambes, et se retrouva soudain à courir comme si elle était pourchassée par mille monstres. Elle traversa le champ, où ses brebis égorgées gisaient sur le dos, elle essaya de ne pas les regarder. Et elle finit par se jeter dans la ferme blanchie à la chaux où elle était née. Elle tira le verrou, resta dos contre la porte, haletante, jusqu’à ce que la nausée la plie en deux. Elle tomba à genoux, les mains sur le sol de briques cuites au soleil. Tous les villageois s’imaginaient qu’elle n’avait peur de rien mais son âme était tourmentée depuis l’enfance. Tous les jours, sans exception, les mêmes cauchemars la harcelaient. Elle éclata en sanglots, elle cherchait à résister aux pleurs qui la secouaient, elle répétait, comme lorsqu’elle était enfant et que son père la battait jusqu’au sang : « Même pas mal… ça ne fait même pas mal… »

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