Le journal libre-2

3008 Words
À quoi auront servi tous ces grands mouvements, et qu’aura-t-on gagné à engager cette lutte insensée ? Malheur à ceux qui se sont plaints ! Malheur à ceux qui les ont écoutés ! Les insurgés en sont aux expédients ; leur trouble est tel que les plus exorbitants projets s’agitent, trouvent crédit, et se discutent sérieusement parmi eux. Nous le prouvons. Une TAUPE aurait proposé d’élever autour de l’armée une enceinte continue de taupinières. – La belle idée ! s’écria le FURET ; ne vous trouvez-vous pas assez enfermée comme cela, ma commère ? – Je me fais fort de filer un pont suspendu sur lequel nous pourrons nous évader à la faveur de la nuit, dit l’ARAIGNÉE. – Merci ! dit la MOUCHE, je refuse. – Et moi j’accepte, dit l’ÉLÉPHANT ; quand on en est où nous en sommes, tous les moyens sont bons. Un rire homérique accueillit cette réponse. Cette miraculeuse naïveté de l’ÉLÉPHANT a inspiré à un de nos amis un couplet de fantaisie que nous donnons ici afin qu’il ne soit pas perdu pour la postérité. Nous regrettons que l’auteur de cette poésie fantastique s’obstine à garder l’anonyme. En récompense de sa belle conduite, le caporal *** a été nommé sergent.Un Éléphant se balançait Sur une toile d’araignée ; Voyant qu’il se divertissait. Une Mouche en fut indignée Etc…AIR : Femmes, voulez-vous éprouver. Un Éléphant se balançait Sur une toile d’Araignée : Voyant qu’il se divertissait. Une Mouche en fut indignée : Comment peux-tu te réjouir, Dit-elle, en voyant ma souffrance ? Ah ! viens plutôt me secourir, Ma main sera ta récompenseAu moment où le triomphe nous paraissait le plus certain, la face des choses a changé complètement, et la fortune s’est déclarée contre nous. Pouvions-nous prévoir un pareil désastre, après avoir vu partir notre belle armée équipée avec tant de soin et si bien disposée ! Quelques MOUCHES savantes, dont les études avaient été dirigées vers l’art de la mécanique, pour lequel on sait que les MOUCHES ont d’étonnantes dispositions, commandaient l’artillerie. Les plus robustes traînaient des munitions de guerre dans des petits caissons faits de gousses de pois secs, et d’autres portaient sur l’épaule de petits mousquets faits avec la centième partie d’un fétu de paille, mais qu’elles tenaient d’un air si martial, que c’était plaisir de voir ces braves petites mouches voler à la gloire, comme s’il se fût agi d’aller à la picorée d’une fleur. Les deux armées se sont rencontrées sur les galeries vitrées qui couvrent les serres chaudes. Dans cette fatale journée, une circonstance fortuite fit perdreau prince Bourdon, général en chef de notre armée ailée, le fruit d’une des plus grandes manœuvres qui aient jamais été essayées. Il avait partagé son armée en trois masses : la droite, commandée par lui-même entouré de son brillant état-major où l’on remarquait, parmi les colonels, des Papillons, le vénérable PRIAM, l’APOLLON, le PAON DE JOUR, le CUPIDON, était forte de sept régiments d’infanterie légère ; les SAUTERELLES, les CRIQUETS, les PERCE-OREILLES, les PSOQUES, les PERLES et les ÉPHÉMÈRES.– Tous pleins d’ardeur. Et la gauche, commandée par l’UROCÈRE GÉANT, se composait des régiments des CAPRICORNES ; des TROGLODYTES, des GRIBOURIS, des TÉNÉBRIONS et des CHARANÇONS. La droite avait à combattre la gauche des ennemis commandée par le chef féroce de la famille des Coléoptères ; le SCARABÉE HERCULE, suivi des phalanges redoutables des GOLIATH, des BOUCLIERS, des HANNETONS, des COUSINS, des BOMBARDIERS et des TAUPINS.– Que pouvaient faire les troupes légères du prince BOURDON contre cette impénétrable infanterie ? Sa gauche était opposée aux sections des ANDRÈNES mineuses, coupeuses et charpentières, et à la corporation des RHINOCÉROS, qui, n’ayant qu’une corne, obéissent naturellement au CERF-VOLANT qui en a deux. Que pouvaient faire les troupes légères du prince Bourdon contre cet impénétrable infanterie.Son contre avait pour adversaire la foule immense des MOUCHERONS, des PUCERONS, des TEIGNES et des insectes à deux cent quarante pattes. Le prince BOURDON avait espéré que le SCARABÉE HERCULE commencerait l’attaque et ferait traverser à ses lourdes troupes la distance qui séparait les deux armées ; mais le SCARABÉE HERCULE, auquel un faux BOURDON déserteur avait dévoilé les projets du prince, défendit aux siens de bouger, et fit serrer les rangs et ployer les ailes, résolu d’attendre le choc sans l’aller chercher. Les enseignes flottaient au vent, le soleil dardait sur les étincelantes armures des insectes rangés en bataille. Des CIGALES, dont on vante avec raison l’aptitude pour la musique, placées sur les limites des deux camps, à l’extrémité des deux paratonnerres, soufflaient de toute la force de leurs poumons dans des petites flûtes à l’oignon, et cette musique guerrière portait à son comble l’ardeur de nos troupes. De temps en temps une graine de balsamine lancée du haut des airs avec beaucoup de précision, par des CERFS-VOLANTS fort adroits dans ce genre d’exercice, venait éclater dans nos rangs et y laissait des traces sanglantes. L’armée ennemie ne bougeait pas. L’impatience gagnait nos braves cohortes. « Dépêchons, nous disaient les ÉPHÉMÈRES qui déjà avaient eu, presque tous, le temps de blanchir sous les armes, la vie est courte. » Bientôt, emportés par leur fougue, et sans écouter les menaces ni les prières du seigneur BOURDON, ils volèrent les premiers à l’ennemi ! ! ! et firent ainsi tourner contre eux-mêmes le plan si bien conçu par leur habile général, car l’armée tout entière les suivit. En effet, chacun ayant quitté son rang pour courir selon ses forces, les nôtres arrivèrent en désordre et tout essoufflés devant le front ennemi, qui s’ouvrit tout à coup et laissa voir les gueules menaçantes d’une double rangée de canons d’une invention nouvelle. Ces canons étaient si petits qu’on les voyait à peine, et nous ne savons comment on avait pu les faire. Ils étaient charmants, mais ils tuaient beaucoup de monde. Pendant plus d’un quart d’heure, ils écrasèrent nos troupes. Bientôt on en vint à combattre à l’arme blanche. On ne saurait croire combien sont terribles et acharnées ces luttes d’INSECTE à INSECTE. Tout devenait un instrument de mort entre les pattes des combattants furieux. Les feuilles de cyprès se changeaient en lances meurtrières, les moindres brins de bois sec étaient autant de massues, et on entendait au loin le choc retentissant des cuirasses contre les cuirasses, des corselets contre les corselets et des écailles fracassées. Des ailes brisées, des membres épars, des petites montagnes de morts et de mourants, du sang partout, tel est l’horrible spectacle que présentait cette scène de c*****e. Et les Fleurs, captives dans leur prison de verre, voyant ce qui se passait au-dessus de leur tête, ne savaient que penser de ces abominables fureurs. L’aile droite plia la première. Le pied ayant glissé au colonel des HANNETONS, un des plus braves officiers de l’armée, dans un effort qu’il faisait pour dégager un peloton qui s’était laissé entourer, il roula dans la gouttière d’une façon si fâcheuse, qu’il tomba sur le dos, ce qui est le plus grand malheur qui puisse arriver à un HANNETON. Une GUÊPE de l’armée ennemie n’eut pas honte d’abuser de la position d’un adversaire sans défense, et elle lui passa son dard au travers du corps. À cette vue, le régiment que commandait le colonel se débanda. Le prince BOURDON essaya, mais en vain, d’arrêter les fuyards. C’était une bataille perdue, le Waterloo de notre cause ! Désespéré, et ne voulant pas survivre à sa défaite, le général en chef se jeta au plus fort de la mêlée et y trouva ce qu’il y cherchait, la mort des braves ! Il tomba percé de vingt-deux coups, après avoir fait des prodiges de valeur. La nouvelle de cette mort se répandit en un instant, et la déroute bientôt fut complète. L’armée victorieuse ne perdit pas de temps ; elle alla bien vite dégager l’armée de terre qui, ne pouvant faire mieux, était toujours restée bloquée dans les cours de l’amphithéâtre. Nous avons la douleur d’annoncer que le prince Léo a été obligé de battre en retraite. L’armée de terre et l’armée d’air des révoltés ont pu opérer leur jonction. Elles marchent sur nous, – le bruit parait se rapprocher, – les cris deviennent plus distincts, – il nous semble même entendre les mugissements du BUFFLE et le bruit des pas de l’ÉLÉPHANT.– Le prince Léo vient d’être tué ; – parmi nos amis, ceux qui ne sont pas morts nous abandonnent. C’est à un gouvernement qui tombe qu’il faut demander ce que valent les dévouements politiques. – Entre les mains de l’esprit de parti, tout devient une arme. – Le bureau des réclamations ne désemplit pas ; le moment est bien choisi ! – L’émeute est là, à nos portes, – sous nos fenêtres, – partout. – L’émeute ! Mais est-ce une émeute ? est-ce une révolution ? Le Bureau des Réclamations ne désemplit pas.Une bonne pluie pourrait encore assurer le triomphe des bons principes.Ces messieurs en étaient là, quand la porte d’en bas vola en éclats… C’était l’Éléphant qui sonnaitC’est au péril de nos jours que nous informons nos lecteurs de ce qui se passe. Hélas ! le temps est superbe. – Le soleil est-il donc l’ennemi de tous les gouvernements légitimes. – Que ne pleut-il à torrents ! Une bonne pluie pourrait encore assurer le triomphe des bons principes. Qui sait à qui nous obéirons demain ? qui sait ?… NOTE DU GARÇON DE BUREAU. – « Sachant combien mes chefs tenaient à ne pas laisser nos lecteurs le bec dans l’eau, je prends la liberté d’écrire à mon tour. Je ne m’arrêterai que quand on m’arrêtera. » – Ces messieurs en étaient là quand la porte d’en bas vola en éclats ; c’était l’ÉLÉPHANT qui sonnait. La plume tomba des mains de M. le PERROQUET, ses yeux se fermèrent comme s’il eût pensé à dormir, mais il n’y pensait pas. M. le SINGE courut à la fenêtre. – Que voyez-vous ? lui dit le COQ. – Je vois trouble sur trouble, rassemblement sur rassemblement, complot sur complot, répondit le SINGE en laissant tomber ses bras en SINGE qui n’espère plus rien, et qui ne serait pas fâché de pouvoir s’en aller. – Mille crêtes ! ne cédons pas à la force ! criait ce brave M. le COQ qui ne tremblait que de colère. – Et à quoi diable céderions-nous, si ce n’est à la force ? repartit le SINGE qui, dans son désespoir, s’arrachait la barbe et se meurtrissait le visage. – Quoi ! s’écria le COQ en lui sautant au collet, vous auriez la lâcheté de donner votre démission ! !… – N’en doutez pas, répondit le SINGE qui devenait pâle comme ce papier : refuser ce que tous demandent, c’est remuer un nid de GUÊPES. Si l’on m’y force, je ferai tout ce qu’on voudra ; je… Il ne put achever. La porte même du cabinet s’ouvrit brusquement. C’était l’ÉLÉPHANT qui l’avait ouverte, ce fut le RENARD qui entra. – Arrêtez ces messieurs, dit ce dernier aux DOGUES qui l’accompagnaient, en indiquant nos trois rédacteurs en chef. Le PERROQUET était dans la cheminée, le SINGE s’était caché sous son fauteuil, M. le COQ était furieux ; sa crête n’avait jamais été si rouge. On les arrêta. Que fais-tu là ? me dit le RENARD. Ce que vous voudrez, Monseigneur, lui répondis-je en tremblant. – Eh bien, drôle ! continue, me dit-il. – Je continue donc. Il était entré beaucoup de monde à la suite du RENARD. En entrant, chacun criait : Vive monseigneur le RENARD ! Et on avait bien raison, car je n’ai vu de ma vie un prince si affable – Mes amis, disait-il, rien n’est changé dans ce cabinet. Il n’y a ici qu’un Animal de plus. Cette belle parole fut couverte d’applaudissements. Le RENARD prit alors une plume, celle-là même qui venait de servir au SINGE. Il la tailla avec le canif du SINGE, s’assit dans le fauteuil du SINGE, devant la table du SINGE, et écrivit les proclamations suivantes, avec l’encre même du SINGE : Première proclamation « Habitants du Jardin des Plantes ! Messieurs le COQ, le SINGE et le PERROQUET ayant donné leur démission, toute cause de désordre a cessé. LE RENARD, Gouverneur et rédacteur en chef provisoire » – Lisez et signez, dit-il au COQ, au SINGE et au PERROQUET. Les deux derniers signèrent, mais M. le COQ refusa. – Je ne me déshonorerai pas, dit-il. – Nous allons voir, dit le RENARD. Il reprit alors la plume et écrivit une nouvelle proclamation de laquelle il espérait davantage, à ce qu’il paraît. Quand elle fut écrite, il m’ordonna d’en faire la lecture à haute voix. Je lus donc : Deuxième proclamation « Habitants du Jardin des Plantes ! Pendant que vous dormiez, on vous trahissait ! ! Mais vos amis veillaient pour vous. Assez longtemps nous avions courbé la tête sans nous plaindre ; le moment était venu de la relever. Ainsi avons-nous fait. Par nos soins, une grande et définitive révolution vient de s’accomplir : les traîtres qui vous gouvernaient et qui vous vendaient ne vous vendront plus, ne vous gouverneront plus. Les fastes de votre histoire apprendront au monde comment se venge la Nation Animale et ce que pèse sa colère. À l’heure qu’il est, justice est faite ! l’œuvre est consommée, et les coupables ont payé de leur vie le mépris qu’ils faisaient du droit sacré des bêtes. Ils sont pendus. N.B. – Par égard pour ces anciens chefs de notre gouvernement, on les a pendus à des potences toutes neuves, avec des cordes qui n’avaient jamais servi. » M. le COQ écouta cette lecture sans sourciller. Il se contenta de croiser ses bras derrière son dos, comme il en avait l’habitude, et parut décidé à ne pas plus bouger que s’il n’avait rien à voir dans ce qui se passait. – Mais, dit le SINGE en prenant une voix caressante que je ne lui connaissais pas, Monseigneur assure que nous sommes pendus, je crois que Monseigneur se trompe. – Est-ce que vous songeriez à nous pendre ? s’écria le PERROQUET en sanglotant. – Mon Dieu non, dit le RENARD, c’est un précédent que je ne tiens point à établir ; mais il faut pourtant que vous ayez l’air d’avoir été pendus. On entendait au dehors les cris de la populace. Une foule innombrable, composée en grande partie de badauds, de badaudes et de petits enfants qui demandaient la tête des tyrans, assiégeait l’entrée du cabinet de rédaction. Tous ceux qui n’avaient pu entrer par la porte voulaient entrer par les fenêtres, qu’on fut même obligé de fermer. – C’est nous qui avons fait la révolution, disaient-ils ; ouvrez-nous. – Patience ! leur répondait de temps en temps le RENARD ; patience ! si vous êtes sages, on vous donnera de petites médailles. Ne rien refuser, mais ne rien donner, c’est avec cela qu’on gouverne. Les cris : « Mort aux tyrans ! mort aux rédacteurs, » redoublaient. – Vous l’entendez, messieurs, dit le RENARD, il faut bien faire quelque chose pour le peuple. – Cependant, ajouta-t-il, si vous trouvez le moyen de contenter cette multitude en gardant vos têtes, vous les garderez. – Le moyen ? s’écria le SINGE, je l’ai trouvé ! Et, dans sa joie, il sauta trois fois jusqu’au plafond. M. le SINGE s’était jadis emparé, dans l’intention sans doute de lui rendre les derniers honneurs, du corps empaillé d’un Singe de sa race, dans lequel il croyait avoir reconnu un de ses grands-oncles en ligne maternelle. Il l’alla chercher, et il fut décidé que le grand-oncle figurerait au haut de la potence… à la place de son coquin de neveu ! Avant d’envoyer au martyre la précieuse momie, et pour mieux tromper la multitude, M. le SINGE dut la parer de sa demi-blouse et de son bonnet bien connu, ce qu’il fit non sans verser des larmes abondantes. – Et maintenant, mon cher monsieur, lui dit le RENARD, si vous voulez m’en croire, vous vous cacherez, et si bien, que pendant quinze jours au moins on ne puisse pas plus vous apercevoir que si vous étiez réellement trépassé ; après quoi vous serez libre, je pense, de reparaître sans danger. Il n’est pas de mort, dans notre beau pays de France, qui n’ait le droit, au bout de quinze jours, de ressusciter impunément ; le peuple est le plus magnanime des ennemis, il oublie tout. – Il est aussi le plus infidèle des amis, murmura le SINGE. Puis, jetant un dernier, un triste regard sur ces cartons ! sur ce bureau ! sur ce cabinet ! il disparut. Oh ! destinée ! M. le PERROQUET trouva le moyen d’endoctriner une vieille PERRUCHE qui l’adorait, et qui consentit à se faire pendre à la place de son bien-aimé. Le PERROQUET protesta qu’il n’oublierait de sa vie un si beau dévouement, et la pauvre vieille marcha au supplice le cœur content et d’un pas ferme. Un quart d’heure après, l’ingrat, rentré incognito dans la vie privée, était déjà dans l’appartement des jeunes PERRUCHES. Quant au COQ, il répondit que la vie ne méritait pas qu’on fit une lâcheté pour la conserver. Il refusa obstinément de souscrire à toutes les propositions qui lui furent faites, et comme il tenait à être pendu en personne… il le fut. (N.B. – Le jour même on apprit qu’une belle petite Poule blanche, que chacun aimait et respectait à cause de sa douceur et de ses vertus, était morte subitement en apprenant la mort de celui qu’elle aimait.) La foule, qu’avait attirée le désir bien naturel de voir de près de si grands personnages en l’air, avait eu son spectacle. – Quelques anciens admirateurs des rédacteurs pendus ne revenaient pas de leur étonnement. – « Est-il possible, se disaient-ils, que des Animaux de cette importance puissent être pendus comme le premier venu ! Que va devenir le monde, qui semblait ne se mouvoir que par eux seuls ? » Un Oiseau, dont le nom est resté inconnu, publia à ce sujet un pamphlet dans lequel il développa cette proposition : « Il est bon que celui qui gouverne ne soit pas tout l’État ; car, s’il lui arrivait malheur, c’en serait fait de l’État. » Après l’exécution, M. le RENARD jugea à propos de rendre publiques les deux proclamations qu’on vient de lire, et, se trouvant en veine de proclamer, il joignit à ces deux premières proclamations, la troisième que voici : Troisième proclamation « Habitants du Jardin des Plantes ! Investi par votre confiance d’un mandat aussi important que celui de diriger la seconde et dernière partie de notre histoire nationale, choisi par votre libre vœu, je crois inutile d’exposer ici des principes qui m’ont valu vos suffrages. C’est à l’œuvre que vous me jugerez ; je ne vous ferai point de promesses, quoique les promesses ne coûtent rien. Je ne vous dirai point que l’âge d’or va commencer pour vous. Qu’est-ce que l’âge d’or ? Mais je puis vous assurer que quand vous ne trouverez à mon bureau ni plume, ni encre, ni papier, c’est qu’il n’y aura pas eu moyen de s’en procurer. Ma devise est justice pour tous, et sincérité. Rappelez-vous que si ces mots étaient rayés du dictionnaire, vous les retrouveriez gravés en caractères ineffaçables dans le cœur d’un Renard. Votre frère et directeur, LE RENARD. » Ces trois proclamations remplacèrent avantageusement sur les murs celles du gouvernement déchu. Le dévouement bien connu de l’afficheur Bertrand à l’ancienne rédaction le rendait justement suspect à Monseigneur, et l’affichage fut confié à Pyrame, ex-employé de Bertrand, qui promit au gouvernement nouveau des colles encore plus fortes que celles de son maître. Après une révolution, il est juste que les derniers deviennent les premiers. Les révolutions n’ont peut-être pas d’autre but. Ces proclamations furent, en outre, lues, criées, chantées, aboyées, sifflées partout, – et leur effet a été immense. – L’espoir est rentré dans tous les cœurs. Tout le monde s’embrasse ; le moins qu’on puisse faire, c’est de se serrer tendrement les pattes. – Quand on aura jeté un peu de terre sur les morts, qui pourra dire qu’une révolution a passé par là ? Quelques-uns de ces Animaux qui veulent se rendre compte de tout, qui fouillent partout, qui trouvent tout mal, ne pouvant nier que Monseigneur le RENARD soit rédacteur en chef, se demandent par qui il a été nommé. Eh ! mon Dieu, que vous importe, pourvu qu’il l’ait été. On se nomme soi-même et on n’en est pas moins nommé pour cela.
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