I
ISaint-Donat, 4 septembre.
J’avais promis, l’année dernière, au père Sautereau le brigadier de gendarmerie, d’écrire un jour ses mémoires. Il y a trois jours, c’est-à-dire vendredi soir, au coucher du soleil, comme nous revenions de faire l’ouverture de la chasse en plaine, le jeune docteur L… et moi, nous avons trouvé le brigadier aux Charmilles.
Jean-Nicolas Sautereau n’est plus gendarme ; il a pris sa retraite et il vient d’être décoré.
Il s’est retiré dans son petit bien de l’autre côté de la Loire, dans le Val ; c’est une maisonnette blanche, entourée d’un côté d’un clos de vigne et de l’autre d’un arpent de prairie.
Ce modeste héritage appartient à sa femme. Il a fait, lui, quelques économies sur son traitement de trente-cinq années et acheté une inscription au grand-livre.
Sautereau et sa femme ont de quinze à dix-huit cents francs de revenu.
Le petit bourg de Saint-Gratien-au-Val, qui touche à la maisonnette, voudrait bien avoir l’ancien brigadier pour maire ; mais il a refusé :
– Non, non, mes enfants, a-t-il répondu à ceux qui sont venus le lui proposer. J’ai été toute ma vie l’incarnation vivante et populaire de la loi, je suis las de l’autorité et je veux me reposer. Si vous avez besoin d’un conseil, venez, mais ne me demandez pas autre, chose.
Or, vendredi soir, l’ancien brigadier est venu me sommer de tenir ma promesse ; il m’a du reste singulièrement abrégé la besogne, en me remettant un gros manuscrit dans lequel, presque jour par jour, il a consigné les évènements importants de sa vie. Et c’est en le suivant au jour le jour, me bornant au rôle de rédacteur et d’arrangeur, que je vais raconter cette singulière existence.