CHAPITRE PREMIER-3

1800 Words
Quand Ceres repéra le Prince Thanos parmi eux, elle fut consternée par l'air renfrogné de ce garçon de dix-neuf ans. De temps à autre, quand elle livrait des épées pour son père, elle l'avait vu parler avec les seigneurs de guerre au palais et il avait toujours eu cet air acerbe de supériorité. Physiquement, il avait tout ce que pouvait désirer un guerrier et aurait même pu passer pour l'un d'eux avec son bras gonflé par les muscles, sa taille mince et musclée et ses jambes aussi raides que des troncs d'arbre. Cependant, Ceres était furieuse quand elle voyait qu'il semblait n'avoir ni respect ni intérêt pour la position qu'il occupait. Quand les membres de la famille royale montèrent solennellement vers leur place au podium, les trompettes résonnèrent fortement une fois de plus pour signaler que les Tueries étaient sur le point de commencer. La foule rugit quand tous les seigneurs de guerre sauf deux repartirent par les portes en fer. Ceres reconnut l'un d'eux comme étant Stefanus mais ne put identifier l'autre brute qui ne portait qu'un casque à visière et un pagne attaché par une ceinture en cuir. Peut-être avait-il fait un long voyage pour participer aux Tueries. Sa peau bien huilée était de la couleur des terres fertiles et ses cheveux étaient aussi noirs que la nuit la plus sombre qui soit. Par les fentes du casque, Ceres voyait son air résolu et il ne lui fallut pas plus d'un instant pour comprendre que Stefanus serait mort dans une heure. “Ne t'inquiète pas”, dit Ceres en jetant un coup d’œil à Nesos. “Je te permettrai de garder ton épée.” “Il n'est pas encore vaincu”, répondit Nesos avec un sourire satisfait. “Stefanus ne serait pas le favori de tout le monde s'il n'était pas supérieur.” Quand Stefanus souleva son trident et son bouclier, la foule se tut. “Stefanus !” cria un des jeunes hommes riches depuis sa cabine en levant un poing serré. “Puissance et bravoure !” Le public rugit son approbation. Stefanus hocha la tête en direction du jeune homme puis s'attaqua à l'étranger de toutes ses forces. L'étranger l'évita à la vitesse de l'éclair, se retourna et envoya un coup d'épée à Stefanus, qu'il manqua d'un pur centimètre. Ceres grimaça. Avec des réflexes comme ceux-là, Stefanus n'allait pas durer longtemps. L'étranger rugit en donnant des coups répétés au bouclier de Stefanus pendant que ce dernier battait en retraite. Désespéré, Stefanus finit par lancer le tranchant de son bouclier au visage de son adversaire, qui tomba en envoyant en l'air une fine giclée de sang. Ceres trouva que c'était plutôt bien vu de sa part. Peut-être Stefanus avait-il amélioré sa technique depuis la dernière fois où elle l'avait vu s'entraîner. “Stefanus ! Stefanus ! Stefanus !” scandèrent les spectateurs. Stefanus se tenait aux pieds du guerrier blessé mais, juste au moment où il allait le poignarder de son trident, l'étranger souleva les jambes et donna un coup de pied à Stefanus, qui recula en trébuchant et atterrit sur le derrière. Les deux guerriers se relevèrent d'un bond, aussi rapides que des chats, et se repositionnèrent face à face. Sans se quitter du regard, ils commencèrent à tourner l'un autour de l'autre. Ceres avait l'impression de sentir la tension dans l'air. L'étranger grogna, souleva son épée haut en l'air et courut vers Stefanus. Stefanus se décala rapidement et le piqua à la cuisse. L'étranger réagit en faisant virevolter son épée et en frappant Stefanus au bras. Les deux guerriers grognèrent de douleur mais c'était comme si les blessures nourrissaient leur furie au lieu de les ralentir. L'étranger retira son casque et le jeta par terre. Son menton noir et barbu était en sang, son œil droit gonflé, mais, quand elle vit son expression, Ceres se dit qu'il avait fini de s'amuser avec Stefanus et qu'il allait faire tout son possible pour le tuer. Serait-il capable de le tuer rapidement ? Stefanus chargea en direction de l'étranger et Ceres eut le souffle coupé quand le trident de Stefanus entra en collision avec l'épée de son adversaire. Se regardant dans le blanc des yeux, les guerriers luttèrent l'un contre l'autre, grognant, haletant, poussant, les vaisseaux sanguins du front saillants et les muscles gonflés sous leur peau transpirante. L'étranger se baissa rapidement et s'arracha à leur étreinte mortelle. A la grande surprise de Ceres, il se retourna comme une tornade, fendit l'air de son épée et décapita Stefanus. Quelques halètements plus tard, l'étranger leva le bras en l'air d'un air triomphant. Une seconde, la foule fut complètement silencieuse. Ceres aussi. Elle leva les yeux vers l'adolescent qui était propriétaire de Stefanus. Il était bouche bée, les sourcils froncés, furieux. L'adolescent jeta sa coupe en argent dans l'arène et quitta furieusement sa cabine. La mort nous rend tous égaux, se dit Ceres en réprimant un sourire. “August !” hurla un homme dans la foule. “August ! August !” L'un après l'autre, les spectateurs se joignirent à cet homme jusqu'à ce que le stade tout entier soit en train de scander le nom du vainqueur. L'étranger fit sa révérence au Roi Claudius puis trois autres guerriers arrivèrent par les portes en fer au pas de course pour le remplacer. Les combats se succédèrent et la journée passa. Ceres regardait les combats les yeux bien ouverts. Elle n'arrivait pas vraiment à décider si elle détestait les Tueries ou si elle les aimait. D'un côté, elle aimait observer la stratégie, l'habileté et la bravoure des participants mais, d'un autre côté, elle détestait que les guerriers ne soient que des pions pour les riches. Quand arriva le dernier combat du premier tour, Brennius et un autre guerrier se battirent juste à côté de l'endroit où Ceres, Rexus et ses frères étaient assis. Les deux guerriers ne cessaient de se rapprocher d'eux. Leurs épées cliquetaient en faisant voler des étincelles. C'était palpitant. Ceres regarda Sartes se pencher par-dessus la balustrade, les yeux rivés sur les combattants. “Recule-toi !” lui hurla-t-elle. Cependant, avant qu'il ait pu réagir, soudain, un omnichat bondit d'une trappe située au sol de l'autre côté du stade. L'énorme animal se pourlécha les babines et plongea ses griffes dans la terre rouge en se dirigeant vers les guerriers. Les seigneurs de guerre n'avaient pas encore vu l'animal et le stade retenait son souffle. “Brennius est mort”, marmonna Nesos. “Sartes !” hurla encore Ceres. “Je t'ai dit de te reculer —” Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase. Juste à ce moment, la pierre que Sartes serrait des mains se détacha et, avant que quiconque ait pu réagir, il chuta par-dessus la balustrade et tomba dans l'arène, où il atterrit avec un bruit sourd. “Sartes !” hurla Ceres en se levant brusquement, horrifiée. Ceres regarda vers le bas et vit Sartes, trois mètres en dessous, se redresser et s'adosser contre le mur. Sa lèvre inférieure tremblait mais il ne pleurait pas. Il ne disait rien. Se tenant le bras, il regarda vers le haut, le visage tordu de douleur. Ceres ne pouvait supporter de le voir là-dessous. Sans réfléchir, elle tira l'épée de Nesos, bondit par-dessus la balustrade, entra dans l'arène d'un bond et atterrit juste devant son frère cadet. “Ceres !” hurla Rexus. Elle jeta un coup d’œil en arrière et vers le haut et vit des gardes emmener de force Rexus et Nesos avant qu'ils ne puissent la suivre. Ceres se tenait dans l'arène, accablée par la sensation surréaliste de s'y retrouver avec les combattants. Elle voulait sortir Sartes de cet endroit mais, comme elle n'en avait pas le temps, elle se plaça devant lui, résolue à le protéger. L'omnichat lui rugit dessus. Il était accroupi, ses yeux jaunes cruels rivés sur Ceres, qui sentait le danger. Elle brandit brusquement l'épée de Nesos des deux mains et la serra fermement. “Fuis, gamine !” hurla Brennius. Il était pourtant trop tard. L'omnichat lui fonçait dessus et, maintenant, il n'était plus qu'à quelques mètres. Elle se rapprocha de Sartes et, juste avant que l'animal de l'attaque, Brennius arriva par le côté et trancha l'oreille à l'animal. L'omnichat se dressa sur ses pattes arrière et rugit, arrachant de ses griffes une partie du mur qui se dressait derrière Ceres, la fourrure tachée de sang. La foule rugit. Le second seigneur de guerre approcha mais, avant qu'il n'ait pu faire le moindre mal à l'animal, l'omnichat souleva une patte et coupa la gorge à l'homme avec ses griffes. Serrant les mains autour du cou, le guerrier s'effondra par terre alors que le sang lui coulait entre les doigts. Assoiffée de sang, la foule acclama le spectacle. Avec un grognement, l'omnichat frappa Ceres si violemment qu'elle s'envola en l'air et s'écrasa par terre. Lors de l'impact, l'épée lui échappa et atterrit à plusieurs mètres. Ceres resta allongée sur place, les poumons bloqués. Elle étouffait et avait la tête qui tournait. Elle essaya de se mettre à quatre pattes mais retomba rapidement. A bout de souffle, le visage contre le sable râpeux, elle vit l'omnichat se diriger vers Sartes. Quand elle vit son frère dans un tel dénuement, elle sentit ses tripes prendre feu. Elle se força à inspirer et comprit avec une clarté sans défaut ce qu'il fallait qu'elle fasse pour sauver son frère. L'énergie l'inonda et lui donna immédiatement de la force. Elle se releva, ramassa l'épée et se précipita si vite vers l'animal qu'elle fut convaincue d'être en train de voler. Maintenant, l'animal était à trois mètres d'elle. Deux et demi. Deux. Un et demi. Ceres serra les dents et se jeta sur le dos de l'animal, plongeant les doigts dans sa fourrure aux poils raides avec insistance dans une tentative désespérée de lui détourner l'attention de son frère. L'omnichat se redressa sur ses pattes arrière et secoua le haut de son corps en faisant gigoter Ceres dans tous les sens. Cependant, la fermeté de son emprise et sa détermination étaient plus fortes que les tentatives de l'animal de se débarrasser d'elle. Quand la créature se remit à quatre pattes, Ceres saisit l'occasion. Elle leva son épée haut en l'air et frappa l'animal au cou. L'animal poussa un cri strident et se leva sur ses pattes arrière. La foule rugit. Tendant une patte vers Ceres, la créature lui perça le dos de ses griffes et Ceres poussa un cri de douleur car les griffes la perforaient comme des poignards. L'omnichat la saisit et la jeta contre le mur. Elle atterrit à plusieurs mètres de Sartes. “Ceres !” hurla Sartes. Ceres avait les oreilles qui sifflaient. Elle s'efforça de se redresser. Elle sentait palpiter l'arrière de sa tête et un liquide chaud lui coulait le long du cou. Elle n'avait pas le temps d'évaluer la gravité de la blessure. L'omnichat lui fonçait à nouveau dessus. L'animal se ruait vers elle et Ceres ne savait plus quoi faire. Sans même réfléchir, elle leva instinctivement une paume et la tendit devant elle. C'était la dernière chose qu'elle pensait qu'elle verrait jamais. Juste au moment où l'omnichat se jetait sur elle, Ceres eut l'impression qu'une boule de feu s'allumait dans sa poitrine et, soudain, elle sentit une boule d'énergie lui jaillir de la main. A mi-course, l'animal se ramollit soudain. Il s'effondra par terre et s'arrêta en dérapant sur ses pattes. S'attendant à moitié à ce que l'animal reprenne vie et vienne l'achever, Ceres retint son souffle en le regardant là où il était allongé. Cependant, la créature ne bougea pas. Déroutée, Ceres regarda sa paume. N'ayant pas vu ce qui s'était passé, la foule pensait probablement que l'animal était mort parce qu'elle l'avait frappé avant avec son épée. Cependant, elle savait que tel n'était pas le cas. Une force mystérieuse avait jailli de sa main et avait tué l'animal en un instant. Quelle force était-ce ? Rien de semblable ne s'était jamais produit et elle ne savait pas vraiment de quoi il s'agissait. Qui était-elle pour détenir un tel pouvoir ? Inquiète, elle laissa retomber sa main par terre. Elle leva les yeux avec hésitation et constata que le stade s'était tu. De plus, elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger. Avaient-ils vu eux aussi ce qui s'était vraiment passé ?
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