Seiryu entra paisiblement dans la pièce adjacente. Il posa délicatement Aspen sur une table et vint se placer entre ses jambes. Il veilla à ce que son corps soit parfaitement couvert, de sorte à ce qu’ elle n’ attrape pas froid.
Les six servantes étaient revenues.
Au loin, on put entendre des coups d’ épées, suivis des cris étouffés des femmes restées dans l’ autre pièce.
Celle, qu’il avait réprimandée plus tôt, pleurait silencieusement. De grosses larmes roulaient sur ses joues, mouillant le tissu épais en coton bleu de sa tenue. Elle pensait, le coeur serré, que cela aurait pu être elle, que l’on serait en train d’exécuter sur le sol froid à cet instant.
Aspen leva la tête et observait la scène qui se jouait devant elle. Elle ne comprenait pas réellement ce qui se passait mais avait saisi que les femmes étalées sur le dallage marbré de la salle d’ eau avaient toutes été tuées. Elle ne comprenait pas la nécessité de mettre fin à leurs jours. Mais, qui était -elle pour remettre en question les décisions du seigneur de l’ Est ?
Le Dragon d’ Azur fit un mouvement de la main, signifiant qu’il voulait qu’on lui remette une autre serviette.
Les servantes s’inclinèrent :
_ Seigneur de l’ Est, laissez - nous faire. Nous pouvons appeler d’autres domestiques pour prendre soin de la première épouse.
Seiryu soupira et les fixa simplement du regard, la mâchoire serrée.
Les servantes se regardèrent entre elles et s’avancèrent pour lui remettre l’épaisse serviette. Leur seigneur était habituellement calme et impassible, mais la présence de la première épouse semblait troubler sa quiétude habituelle.
_ Seigneur de l’ Est… permettez - nous de vous sécher avant toute chose. Nous ne pouvons nous permettre de laisser notre maître dans cet état, insistèrent - elles.
_ Sortez. Ce fut tout ce que le Dragon d’ Azur jugea nécessaire de dire.
_ Oui, Seigneur de l’ Est, répondirent - elles, le dos courbé dans un angle de quatre - vingt - dix degré. Elles savaient qu’elles ne devaient surtout pas insister davantage où ce serait leurs corps que l’ on retrouverait assassiné au petit matin.
Le Dragon resta sans bouger, attendant que toutes les servantes soient sorties. Une fois seuls, il passa la serviette qu’il avait gardé entre les mains, autour des épaules de sa jeune épouse. Il prit une profonde inspiration.
_ Aspen, écoute - moi bien.
Elle le contempla un instant et, ne pouvant déchiffrer aucune émotion sur son visage, hocha lentement la tête en signe d’approbation.
Satisfait, le seigneur de l’ Est reprit :
_ Si jamais tu ne comprends pas les paroles que je vais te dire, je veux que tu m’arrêtes tout de suite. Je veux être absolument sûr et certain que tu comprennes tout ce que je vais te dire.
Aspen sembla se redresser un instant et croisa les bras autour de sa poitrine, donnant, sans s’en rendre compte, un décolleté plus plongeant à la vue du Dragon.
_ Moi pas encore dire langue Si Shou bien… Dragon savoir langue Tribus. Dragon parler langue Tribus. Aspen tout comprendre.
Le Dragon ne put s’empêcher de sourire. Il se figea l’espace d’un instant. Quand avait-il sourit la dernière fois ? Comment cette créature sauvage, produit des Tribus, était-elle capable de provoquer en lui des émotions humaines ? Il fit non de la tête.
_ Aspen… tu es ma première épouse désormais. Tu es ma dame de l’ Est. Il faut absolument que tu fasses l’effort de comprendre tout ce que je te dis. Il est impératif que tu sois capable de suivre et de tenir une conversation dans ma langue.
Elle resta silencieuse un instant. Elle n’ était pas sûre d’ avoir compris la totalité de ce qu’ il lui demandait. Elle posa ses deux mains sur les épaules du Dragon, le faisant légèrement sursauter au passage.
_ Moi apprendre vite. Moi vouloir toi dire choses importantes dans langue des Tribus. Moi faire efforts.
Il soupira et posa à son tour les deux mains sur les siennes.
_ Аспан… тырысу… (*Aspen, fais un effort) dit-il.
De l’entendre prononcer son prénom correctement, elle ne put réprimer un léger tremblement. Il lui sembla pouvoir sentir des petits papillons voleter au creux de son estomac. Elle acquiesça.
Seiryu passa la serviette sur les cheveux d’Aspen et entreprit de les sécher.
_ Je vais parler et tu me confirmeras ce que tu as compris de ce que j’ai dit dans ta langue. Est - ce que cela te conviens ?
Elle avait vaguement saisi ce qu’il attendait d’elle et hocha à nouveau la tête.
_ Je veux que tu restes en permanence à mes côtés.
Elle réfléchit un instant et dit :
_мен сенің жаныңда қалуым керек пе?
_ C’est cela, Aspen. C’est ce que je souhaite.
Elle posa ses mains sur ses avant-bras, l’interrompant ainsi dans ce moment d’intimité qu’ils partageaient.
- Pourquoi ? Demanda - t - elle.
_ Vois-tu, chaque chose que je fais est réfléchie. Chaque pas, chaque geste est calculé. Ce que tu as fait tout à l’heure, dans le bassin, va à l’encontre de tout ce qui définit mon quotidien.
_ Pas comprendre, trop parler, dit-elle.
_ Tu t’es mise en danger, Aspen, répondit-il en plongeant son regard dans l’ émeraude de ses yeux.
_ Moi pas en danger. Moi nager. Moi première fois dans grande eau. Moi aimer être eau. Ses yeux avaient eu une lueur d’excitation, donnant un éclat particulier au vert de ses iris.
Seiryu se figea. Il la trouvait d’une beauté à couper le souffle à ce moment précis. Il s’avança légèrement, cherchant à savoir si elle le repousserait, mais elle ne bougea pas.
Elle le regardait avec une curiosité animale. Cherchant à déchiffrer le moindre geste d’hostilité qui pourrait tout gâcher entre-eux. Mais étrangement, elle avait une confiance aveugle en lui. Il était diamétralement opposé aux hommes de sa Tribu. Elle savait qu’il ne chercherait pas à lui faire de mal, mais elle savait aussi qu’elle devrait se méfier de lui d’une manière ou d’une autre. Ne régnait pas sur les Terres de l’Est n’importe quel homme.
Il passa délicatement sa main sous le menton d’Aspen. Relevant ainsi légèrement son visage vers le sien.
_ As-tu déjà été proche d’un homme, Aspen ? Demanda - t - il en un souffle.
_ Moi vivre parmi hommes. Moi combattre parmi homme. Moi proche quand bataille, dit-elle avec fierté.
Seiryu recula d’un pas et partit d’un fou rire. Il ne s’attendait pas à cette réponse de sa jeune épouse et encore moi à sa propre réaction.
Il revint se placer entre les jambes de la panthère et lui demanda :
- Сіз біреуді сүйіп көрдіңіз бе? Répéta - t - il dans sa langue.
La peau basanée d’Aspen prit une couleur aux teintes rosées. Elle se figea avant de faire timidement non de la tête.
_ Moi… pas faire ça avec bouche. Avec personne…
Cette réponse apporta une satisfaction extrême au Dragon. Il posa un doigt sur ses lèvres, puis le posa sur celles d’Aspen.
_ Bien, lui dit-il, m’autorises-tu à poser mes lèvres sur les tiennes ?
Elle avait tant écarquillé les yeux en entendant sa question qu’on aurait pu croire qu’ils allaient sortir de leurs orbites.
_ J’attends ta réponse, Aspen…