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Les Mésaventures de mademoiselle Thérèse

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Extrait : "— Bonne mademoiselle Thérèse, dans quelle agitation je vous trouve ! — Cela vous étonne ? vous pensez sans doute que quand on a vécu comme moi cinquante ans, on devrait être plus calme ? Eh bien, mon cher monsieur Ervéoux, telle que vous me voyez, je suis furieuse ! — Je connais vos fureurs. Le cœur luttant contre le caractère, contre les nerfs, contre les habitudes. N'est-ce pas cela ? — Vous devinez tout. — Presque tout ; c'est le privilège des cheveux blancs..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I - Mon lutin-1
I Mon lutin – Bonne mademoiselle Thérèse, dans quelle agitation je vous trouve ! – Cela vous étonne ? vous pensez sans doute que quand on a vécu comme moi cinquante ans, on devrait être plus calme ? Eh bien, mon cher monsieur Ervéoux, telle que vous me voyez, je suis furieuse ! – Je connais vos fureurs. Le cœur luttant contre le caractère, contre les nerfs, contre les habitudes. N’est-ce pas cela ? – Vous devinez tout. – Presque tout ; c’est le privilège des cheveux blancs ; mais vous allez me dire le reste ? – Le reste ? Je vous le donne en mille ! – Je me garde de chercher. – Eh bien, moi qui n’aime que le silence, vivre seule et faire mes quatre volontés, je vais être obligée de recevoir chez moi, tout à l’heure, une petite fille insupportable, bruyante, remuante, agaçante, un vrai garçon ! Comprenez-vous ! Elle va vivre ici, sous mon toit, pendant deux, trois, quatre mois ! J’en deviendrai folle ! Vous pouvez y compter. – Mais pourquoi acceptez-vous un pareil embarras ? – Accepter ! C’est moi qui l’ai demandé, ce terrible lutin ! – Ah ! voilà le cœur. C’est probablement pour obliger une amie ? – Mais sans doute, c’est pour rétablir la santé de l’enfant, car je l’aime, et voilà ce qui précisément m’est insupportable ; voilà ce qui fait que je vais me gêner pour elle, bien que mon intention formelle ait toujours été de ne me gêner pour personne. Mais que voulez-vous ? Camille est la fille de ma plus intime amie, Mme Castelnau, qui habite Paris. Cette petite a eu la rougeole et par suite un état de malaise qui inquiète sa mère. On ordonne un air vif ; mon amie est retenue chez elle par l’éducation de sa fille aînée ; je lui ai écrit : « Envoie-moi ton lutin. » Et tout a été dit. Voilà son lutin devenu mon lutin à moi ! C’est affreux ! C’est inimaginable ! Elle va me faire maigrir, dessécher sur place !… Tenez, entendez-vous ? Une voiture qui s’arrête, c’est Camille ! Ah ! qu’est-ce que j’ai fait là ! Je me suis mis la corde au cou ! – Ne vous exagérez rien, bonne mademoiselle ; l’enfance a ses charmes. – Oui, quand elle dort. Y pensez-vous ? Des charmes ! Une petite fille de huit ans si pétulante et si diable qu’il a fallu la mettre en pension il y a dix-huit mois ! Elle me tuera !… Bonjour ma petite Camille, te voilà donc ? » M. Ervéoux croyait rêver, car la porte s’étant ouverte brusquement, une enfant brune, vive, agitée, s’était jetée dans les bras de Mlle Thérèse et celle-ci la serrait, l’embrassait de tout son cœur. L’aimable vieillard aimait à philosopher en riant. Il se disait donc, tout en regardant la scène : « Quelle nature bizarre est celle de Mlle Delorme ! » Par l’égoïsme de son caractère et de ses habitudes, elle veut échapper à la moindre gêne ; par la bonté de son cœur, elle est digne de connaître et de pratiquer le dévouement. Singulier assemblage ! « Mon cher ami, je vous présente ma petite Camille, qui vient ici pour reprendre des forces et des couleurs. – Je vois qu’elle y est la bienvenue, » répondit le bon M. Ervéoux d’un ton si aimable que la pétulante Camille alla d’un bond lui présenter son front. Ainsi, en une seconde, la connaissance fut faite. Mlle Delorme avait à peine eu le temps de se retourner deux fois que le lutin allait et venait dans le salon, comme pour prendre possession de toutes choses, culbutant sur les tabourets, se frappant aux fauteuils et entraînant après elle le tapis qui couvrait le guéridon. « Prends garde ! criait Mlle Thérèse à chaque évolution nouvelle, tu vas te faire du mal, tu vas casser quelque chose ! » Le lutin semblait descendre d’une région tout autre, et obéir à la loi du mouvement perpétuel. Ses petites jambes ne tenaient pas en place ; ses mains voltigeaient d’un objet à l’autre, ses yeux interrogeaient, sa bouche parlait, tout ce petit être se remuait incessamment à la grande stupéfaction de son hôte. – Allons, mon enfant, ôte tes gants d’abord, puis ton chapeau ; ensuite tu monteras avec la femme de chambre au premier étage, car nous allons être tout près l’une de l’autre, et je veux que tu connaisses ta chambre. Camille n’avait jamais compris les d’abord, les puis, les ensuite ; elle faisait tout en même temps ; c’est pourquoi elle se trouva tout à coup au premier étage, sans gants, ni chapeau, pendant que Mlle Delorme courait après elle. « Me voyez-vous, s’écria Mlle Thérèse en tombant dans un fauteuil, me voyez-vous attelée à ce lutin ? – Elle est vive et gentille, d’une physionomie piquante. – Piquante ! je voudrais vous y voir ! Une petite espiègle qui a tout l’air de se porter fort bien. On me parlait d’un état de prostration ? où donc la prostration ? je pouvais espérer du moins quelques semaines de bon temps, mais pas du tout ; il faudra subir ces bonds, ces courses au clocher, ce tapage ; et encore j’aurai la bonté de faire tout mon possible pour doubler les forces et augmenter le tapage ! Mon cher, c’est un vrai métier de dupe ! – À qui vous en prendre ? – À moi-même. Aussi, je m’en veux ! Oh ! je m’en veux !… Et pourtant cette pauvre petite ? Puisqu’elle a besoin d’air ? – Allons, convenez donc que, au fond, vous êtes enchantée. – Enchantée de quoi ? De m’être affublée d’un lutin pour le rendre plus lutin encore ? Non, mon cher ami, cette enfant me causera contrariété sur contrariété ; or, je vous l’ai dit cent fois, les contrariétés me rendent malade. – Pourquoi se contrarier de tout ? Pourquoi prendre toujours les choses par le mauvais côté ? – C’est ma nature, et je suis trop vieille pour me refondre. J’entends vivre tranquille, sans bruit, sans obstacle, sans contradictions, c’est là ce qui convient à mon tempérament. – Le mien s’en arrangerait aussi ; mais soixante-dix années d’existence m’ont soixante-dix fois prouvé que la vie est un tissu de petites misères. – Un tissu, un tissu, je n’aime point ces tissus-là ! J’entends faire tout au monde pour échapper à la gêne et j’y parviendrai ! – J’en doute. – Vous en doutez ? Eh bien, vous me verrez changer de place, courir d’un lieu à un autre, comme je l’ai toujours fait, jusqu’à ce que j’arrive à vivre à mon aise. – Il faut pourtant prendre son parti de ce qu’on ne peut éviter. – Prendre mon parti ? Moi ? jamais ! – Hélas ! on a beau faire, on ne change pas grand-chose au programme de son existence. – Pourquoi donc ? – Parce que ce sont les autres qui le font en grande partie. – J’entends faire le mien moi-même et n’y mettre rien d’ennuyeux. Je lutterai jusqu’à la mort contre les tracas, les localités, les voisinages importuns, les domestiques. – Permettez une question ? jusqu’ici vos efforts ont-ils amené un résultat satisfaisant, même sur un seul point ? par exemple, les domestiques ? » – Non. Depuis vingt ans que je vis seule j’ai eu treize cuisinières et seize femmes de chambre. – Vingt-neuf commotions ! Vingt-neuf figures nouvelles ! – Qu’importe ! Je changerai de domestiques à toutes les Saint-Jean possibles ! Il me faut deux femmes soigneuses, intelligentes, respectueuses, attentives, adroites, laborieuses, sobres, douces, fortes… – Et cætera ! vous avez bon goût ! – Mais certainement. – Échapper aux ennuis de ce monde, c’est votre rêve ; mais le remède à nos ennuis est-il réellement hors de nous ? Ne serait-il pas plutôt en nous ? – Toujours votre métaphysique ! Peine inutile mon cher voisin ; ce qui m’ennuie, je le déteste, et ne veux point le supporter. » On en était là de cette discussion tout amicale lorsque arriva comme un ouragan le lutin. La figure de Mlle Delorme, tout à l’heure contractée, se dérida à l’instant. « Te voilà, ma petite ? Eh bien, comment trouves-tu ta chambre ? – Très gentille. – Et la vue, te plaît-elle ? – Oh oui, bonne amie, beaucoup. Il y a un grand tuyau, long, long, long, d’où sort une grande flamme : c’est très amusant. » La figure de Mlle Delorme s’allongea. « Hélas ! dit-elle, cette malheureuse forge ! C’est précisément ce qui fait que je ne puis plus souffrir ce pays ! Voyons, parle-moi de ta maman, de ta sœur. – Maman va bien, et Henriette aussi. » Ce fut tout ce qu’on put tirer de Camille en fait de renseignements, et, se levant aussitôt du siège sur lequel Mlle Thérèse l’avait fait asseoir, elle se mit à feuilleter des albums de photographie, d’une main si leste que la propriétaire n’eut que le temps de sauter dessus et de les enfermer dans une armoire. « Mais, ma petite, tu n’as pas l’air bien malade ? – Oh non ! Je me porte bien ; seulement je ne dors pas, et je remue toujours. » Mlle Thérèse baissa les yeux : ce bulletin de santé lui paraissait déconcertant. Cependant Camille était venue tout gentiment s’asseoir sur ses genoux, pour le plaisir de tourner et retourner sa chaîne de montre. Elle semblait avoir la fièvre dans les doigts. « Allons, va demander un petit goûter ; tu dois avoir faim. – Moi, j’ai faim quand on me donne des confitures, mais je n’ai pas faim quand on me donne de la viande. » Le lutin s’en alla manger des confitures, et Mlle Thérèse resta abasourdie de ce qu’elle venait d’entendre. « Une enfant qui ne dort pas et qui remue toujours ! Me voilà dans une jolie situation ! – Vous lui ferez du bien ; vous lui rendrez le sommeil, l’appétit, et par suite le calme. C’est possible ; mais moi ? moi ? Ah ! j’ai fait une folie, on en fait à tout âge. Sa mère est une si intime amie, pourtant ! Allons, il faut subir mon sort. Et encore, si cette petite fille ne se trouvait pas mieux de son séjour, quel chagrin j’en éprouverais ! Pauvre enfant ! – Ah ! voilà le cœur ! Toujours la lutte ! – La lutte, il y a longtemps qu’elle dure ! Depuis mon enfance je me vois poursuivie par une sorte de fatalité. Les ennuis qui m’arrivent n’arrivent à personne. Aussi mes nerfs sont-ils irrités au dernier degré. – Peut-être avez-vous éprouvé, toute jeune, quelque malheur subit ? – Aucun malheur. Je suis, hélas ! devenue orpheline à un âge où l’on est encore insensible. Une tante, bonne comme une mère, m’a élevée avec soin, et j’ai eu le bonheur de la conserver jusqu’à trente ans. – Eh bien, vous n’avez eu qu’à bénir la Providence. – Oui, sans doute, la Providence a tracé d’une main miséricordieuse les grandes lignes de mon existence ; et pourtant, je vous l’affirme, chez ma tante, en pension, partout, j’ai toujours énormément souffert de ce dont les autres souffraient fort peu. – Vous êtes une de ces natures nerveuses que blesserait le pli d’une feuille de rose. On aurait dû vous fortifier autrefois par l’exercice, le grand air, le gymnase. – Ah ! vous me rappelez tous les ennuis de ma jeunesse. Je vois que si j’eusse été votre nièce, j’eusse trouvé en vous un oncle impitoyable. – Impitoyable ! » Sur ce, le lutin rentra dans le salon en sautant, et Mlle Thérèse, bien décidée à rendre service à Mme Castelnau, se montra aimable et indulgente ; mais quelle dose de patience ne lui faudrait-il pas ! Il pleuvait, malheureusement, ce qui ôtait l’immense ressource du jardin. Elle offrit donc à la petite captive quelques jeux tranquilles : un casse-tête, un baguenaudier, un solitaire. Camille s’empara des trois ensemble, pour voir le parti qu’elle en pourrait tirer, et sembla d’abord se concentrer tout entière dans des combinaisons plus ou moins savantes. Les vieux amis, pendant ce temps-là continuaient leur conversation. « Ah ! vous auriez été un oncle impitoyable ? – Oui. J’aurais cherché, par tous les moyens possibles, à développer vos forces physiques, à vous donner ce qu’on appelle du ton, et par conséquent à diminuer en vous l’impressionnabilité nerveuse. – Toutes les idées de ma tante ! Mêmes principes, même système ; mais, comme elle, vous auriez eu une adversaire avec qui il aurait fallu compter. – Une adversaire de quinze ans n’est pas bien redoutable. – Détrompez-vous. – Eh quoi ? Vous n’étiez donc pas obéissante ? – Je ne l’étais pas du tout. – C’est pourquoi vous avez pris l’habitude de vivre sur vous-même et selon vos caprices. – Vous employez les mêmes expressions que ma tante. Pauvre tante ! Nous nous aimions bien, et pourtant la petite guerre ne cessait pas. Elle attaquait, je résistais, et c’est ainsi que j’ai gagné cet âge, où le caractère est fait, où l’on est forcé de vous laisser une certaine indépendance. – Parvenue à cet âge, chère mademoiselle, je m’étonne que vous ne vous soyez pas décidée à planter votre tente en quelque coin du monde, à faire enfin le bonheur d’une famille ? Douée comme vous l’avez été, vous n’aviez qu’un mot à dire assurément. – Toutes ces métaphores polies signifient : Pourquoi ne vous êtes-vous pas mariée, entre vingt et trente ans, comme cela est assez ordinaire ? Pourquoi ? Parce que j’étais, et suis encore, convaincue qu’il faut préférer ses ennuis à ceux des autres. J’ai vu mes cousines et mes amies passer sous le joug, et j’ai juré qu’on ne m’y prendrait pas ! – Mais pourtant… – Non, vraiment, en dépit de la courtoisie française, une femme n’en est pas moins, de par la Bible, soumise à son mari, chargée de tenir la maison, d’élever les enfants, et certes cela n’équivaut pas à une sinécure ! – Si j’entends bien, c’est pour éviter les embarras des mères de famille que vous ne vous êtes pas mariée ? – Tout simplement. Que de soucis les enfants ne donnent-ils pas ! Quelle série de petits tracas, sans parler des grands ! Les faiblesses du jeune âge, les difficultés d’éducation ; plus tard, les carrières des garçons, puis les dots des filles, et puis enfin les maris à trouver ! C’est le moment où l’on en perd la tête ! Vous le voyez, on ne vit que pour les autres.

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