Chapter 2

2002 Words
Mais cet observateur qui manquait aux galeries intérieures du Louvre, continuait dans la rue à regarder de ses yeux flamboyants et à gronder de sa voix menaçante: cet observateur c›était le peuple, qui, avec son instinct merveilleusement aiguisé par la haine, suivait de loin les ombres de ses ennemis implacables et traduisait leurs impressions aussi nettement que peut le faire le curieux devant les fenêtres d›une salle de bal hermétiquement fermée. La musique enivre et règle le danseur, tandis que le curieux voit le mouvement seul et rit de ce pantin qui s›agite sans raison, car le curieux, lui, n›entend pas la musique. La musique qui enivrait les huguenots, c›était la voix de leur orgueil. Ces lueurs qui passaient aux yeux des Parisiens au milieu de la nuit, c›étaient les éclairs de leur haine qui illuminaient l›avenir. Et cependant tout continuait d›être riant à l›intérieur, et même un murmure plus doux et plus flatteur que jamais courait en ce moment par tout le Louvre: c›est que la jeune fiancée, après être allée déposer sa toilette d›apparat, son manteau traînant et son long voile, venait de rentrer dans la salle de bal, accompagnée de la belle duchesse de Nevers, sa meilleure amie, et menée par son frère Charles IX, qui la présentait aux principaux de ses hôtes. Cette fiancée, c›était la fille de Henri II, c›était la perle de la couronne de France, c›était Marguerite de Valois, que, dans sa familière tendresse pour elle, le roi Charles IX n›appelait jamais que ma soeur Margot. Certes jamais accueil, si flatteur qu›il fût, n›avait été mieux mérité que celui qu›on faisait en ce moment à la nouvelle reine de Navarre. Marguerite à cette époque avait vingt ans à peine, et déjà elle était l›objet des louanges de tous les poètes, qui la comparaient les uns à l›Aurore, les autres à Cythérée. C›était en effet la beauté sans rivale de cette cour où Catherine de Médicis avait réuni, pour en faire ses sirènes, les plus belles femmes qu›elle avait pu trouver. Elle avait les cheveux noirs, le teint brillant, l›oeil voluptueux et voilé de longs cils, la bouche vermeille et fine, le cou élégant, la taille riche et souple, et, perdu dans une mule de satin, un pied d›enfant. Les Français, qui la possédaient, étaient fiers de voir éclore sur leur sol une si magnifique fleur, et les étrangers qui passaient par la France s›en retournaient éblouis de sa beauté s›ils l›avaient vue seulement, étourdis de sa science s›ils avaient causé avec elle. C›est que Marguerite était non seulement la plus belle, mais encore la plus lettrée des femmes de son temps, et l›on citait le mot d›un savant italien qui lui avait été présenté, et qui, après avoir causé avec elle une heure en italien, en espagnol, en latin et en grec, l›avait quittée en disant dans son enthousiasme: «Voir la cour sans voir Marguerite de Valois, c›est ne voir ni la France ni la cour.» Aussi les harangues ne manquaient pas au roi Charles IX et à la reine de Navarre; on sait combien les huguenots étaient harangueurs. Force allusions au passé, force demandes pour l›avenir furent adroitement glissées au roi au milieu de ces harangues; mais à toutes ces allusions, il répondait avec ses lèvres pâles et son sourire rusé: — En donnant ma soeur Margot à Henri de Navarre, je donne mon coeur à tous les protestants du royaume. Mot qui rassurait les uns et faisait sourire les autres, car il avait réellement deux sens: l›un paternel, et dont en bonne conscience Charles IX ne voulait pas surcharger sa pensée; l›autre injurieux pour l›épousée, pour son mari et pour celui-là même qui le disait, car il rappelait quelques sourds scandales dont la chronique de la cour avait déjà trouvé moyen de souiller la robe nuptiale de Marguerite de Valois. Cependant M. de Guise causait, comme nous l›avons dit, avec Téligny; mais il ne donnait pas à l›entretien une attention si soutenue qu›il ne se détournât parfois pour lancer un regard sur le groupe de dames au centre duquel resplendissait la reine de Navarre. Si le regard de la princesse rencontrait alors celui du jeune duc, un nuage semblait obscurcir ce front charmant autour duquel des étoiles de diamants formaient une tremblante auréole, et quelque vague dessein perçait dans son attitude impatiente et agitée. La princesse Claude, soeur aînée de Marguerite, qui depuis quelques années déjà avait épousé le duc de Lorraine, avait remarqué cette inquiétude, et elle s›approchait d›elle pour lui en demander la cause, lorsque chacun s›écartant devant la reine mère, qui s›avançait appuyée au bras du jeune prince de Condé, la princesse se trouva refoulée loin de sa soeur. Il y eut alors un mouvement général dont le duc de Guise profita pour se rapprocher de madame de Nevers, sa belle-soeur, et par conséquent de Marguerite. Madame de Lorraine, qui n›avait pas perdu la jeune reine des yeux, vit alors, au lieu de ce nuage qu›elle avait remarqué sur son front, une flamme ardente passer sur ses joues. Cependant le duc s›approchait toujours, et quand il ne fut plus qu›à deux pas de Marguerite, celle-ci, qui semblait plutôt le sentir que le voir, se retourna en faisant un effort v*****t pour donner à son visage le calme et l›insouciance; alors le duc salua respectueusement, et, tout en s›inclinant devant elle, murmura à demi-voix: — Ipse attuli. Ce qui voulait dire: «Je l’ai_ apporté_, ou apporté moi-même.» Marguerite rendit sa révérence au jeune duc, et, en se relevant, laissa tomber cette réponse: — _Noctu pro more. _Ce qui signifiait: «Cette nuit comme d›habitude.» Ces douces paroles, absorbées par l›énorme collet goudronné de la princesse comme par l›enroulement d›un porte-voix, ne furent entendues que de la personne à laquelle on les adressait; mais si court qu›eût été le dialogue, sans doute il embrassait tout ce que les deux jeunes gens avaient à se dire, car après cet échange de deux mots contre trois, ils se séparèrent, Marguerite le front plus rêveur, et le duc le front plus radieux qu›avant qu›ils se fussent rapprochés. Cette petite scène avait eu lieu sans que l›homme le plus intéressé à la remarquer eût paru y faire la moindre attention, car, de son côté, le roi de Navarre n›avait d›yeux que pour une seule personne qui rassemblait autour d›elle une cour presque aussi nombreuse que Marguerite de Valois, cette personne était la belle madame de Sauve. Charlotte de Beaune-Semblançay, petite-fille du malheureux Semblançay et femme de Simon de Fizes, baron de Sauve, était une des dames d›atours de Catherine de Médicis, et l›une des plus redoutables auxiliaires de cette reine, qui versait à ses ennemis le philtre de l›amour quand elle n›osait leur verser le poison florentin; petite, blonde, tour à tour pétillante de vivacité ou languissante de mélancolie, toujours prête à l›amour et à l›intrigue, les deux grandes affaires qui, depuis cinquante ans, occupaient la cour des trois rois qui s›étaient succédé; femme dans toute l›acception du mot et dans tout le charme de la chose, depuis l›oeil bleu languissant ou brillant de flammes jusqu›aux petits pieds mutins et cambrés dans leurs mules de velours, madame de Sauve s›était, depuis quelques mois déjà, emparée de toutes les facultés du roi de Navarre, qui débutait alors dans la carrière amoureuse comme dans la carrière politique; si bien que Marguerite de Navarre, beauté magnifique et royale, n›avait même plus trouvé l›admiration au fond du coeur de son époux; et, chose étrange et qui étonnait tout le monde, même de la part de cette âme pleine de ténèbres et de mystères, c›est que Catherine de Médicis, tout en poursuivant son projet d›union entre sa fille et le roi de Navarre, n›avait pas discontinué de favoriser presque ouvertement les amours de celui-ci avec madame de Sauve. Mais malgré cette aide puissante et en dépit des moeurs faciles de l›époque, la belle Charlotte avait résisté jusque-là; et de cette résistance inconnue, incroyable, inouïe, plus encore que de la beauté et de l›esprit de celle qui résistait, était née dans le coeur du Béarnais une passion qui, ne pouvant se satisfaire, s›était repliée sur elle-même et avait dévoré dans le coeur du jeune roi la timidité, l›orgueil et jusqu›à cette insouciance, moitié philosophique, moitié paresseuse, qui faisait le fond de son caractère. Madame de Sauve venait d›entrer depuis quelques minutes seulement dans la salle de bal: soit dépit, soit douleur, elle avait résolu d›abord de ne point assister au triomphe de sa rivale, et, sous le prétexte d›une indisposition, elle avait laissé son mari, secrétaire d›État depuis cinq ans, venir seul au Louvre. Mais en apercevant le baron de Sauve sans sa femme, Catherine de Médicis s›était informée des causes qui tenaient sa bien-aimée Charlotte éloignée; et, apprenant que ce n›était qu›une légère indisposition, elle lui avait écrit quelques mots d›appel, auxquels la jeune femme s›était empressée d›obéir. Henri, tout attristé qu›il avait été d›abord de son absence, avait cependant respiré plus librement lorsqu›il avait vu M. de Sauve entrer seul; mais au moment où, ne s›attendant aucunement à cette apparition, il allait en soupirant se rapprocher de l›aimable créature qu›il était condamné, sinon à aimer, du moins à traiter en épouse, il avait vu au bout de la galerie surgir madame de Sauve; alors il était demeuré cloué à sa place, les yeux fixés sur cette Circé qui l›enchaînait à elle comme un lien magique, et, au lieu de continuer sa marche vers sa femme, par un mouvement d›hésitation qui tenait bien plus à l›étonnement qu›à la crainte, il s›avança vers madame de Sauve. De leur côté les courtisans, voyant que le roi de Navarre, dont on connaissait déjà le coeur inflammable, se rapprochait de la belle Charlotte, n›eurent point le courage de s›opposer à leur réunion; ils s›éloignèrent complaisamment, de sorte qu›au même instant où Marguerite de Valois et M. de Guise échangeaient les quelques mots latins que nous avons rapportés, Henri, arrivé près de madame de Sauve, entamait avec elle en français fort intelligible, quoique saupoudré d›accent gascon, une conversation beaucoup moins mystérieuse. — Ah! ma mie! lui dit-il, vous voilà donc revenue au moment où l›on m›avait dit que vous étiez malade et où j›avais perdu l›espérance de vous voir? — Votre Majesté, répondit madame de Sauve, aurait-elle la prétention de me faire croire que cette espérance lui avait beaucoup coûté à perdre? — Sang-diou! je crois bien, reprit le Béarnais; ne savez-vous point que vous êtes mon soleil pendant le jour et mon étoile pendant la nuit? En vérité je me croyais dans l›obscurité la plus profonde, lorsque vous avez paru tout à l›heure et avez soudain tout éclairé.
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