Chapitre 3-2

1809 Words
— Environ cinq ans. — Vous avez terminé votre travail à quelle heure hier soir ? — Dix-huit heures. — Et vous n’êtes pas revenue au cabinet vers vingt heures ? — Qu’est-ce que vous croyez commissaire ? Où voulez-vous en venir ? Vous pensez que j’ai tué monsieur Marotan ? Mais vous déraisonnez… — Laissez ma raison tranquille, je vous pose des questions c’est tout. Répondez ! — Non je ne suis pas revenue. — Vous avez un alibi ? — Heu… non, j’étais seule chez moi. — Comment était monsieur Marotan avec vous ? — Vous avez vu sa femme ce matin, je crois ? Vous venez d’interroger mademoiselle Mareski, donc vous n’êtes pas sans savoir que mon patron cherchait à séduire toute jeune femme raisonnablement jolie qui pouvait graviter autour de lui. Oui, il a cherché à coucher avec moi si c’est ce que vous voulez savoir. Et pourquoi suis-je encore là après cinq ans ? C’est parce que je n’ai pas cédé, c’était le seul moyen de conserver ma place. Il aimait qu’on lui résiste. Il s’est lassé et nos relations sont devenues des relations normales, de patron à employée, avec quelques allusions de temps en temps sur mon physique, mais ça devenait de plus en plus rare. Elle s’enfonça dans son siège. Voilà, Monsieur le Commissaire, on ne tue pas un homme pour ça. Elle avait répondu d’une voix sereine. — Quelqu’un aurait-il pu lui en vouloir ? — Non je ne vois pas. — Pourtant il a été assassiné ! Pas de réponse. Le commissaire en avait marre… personne ne lui en voulait à Marotan… il était beau Marotan… il était gentil Marotan… il avait fait cocu la moitié de la ville de Rennes… mais tout était bien… Il avait pourtant reçu un club de golf dans la gueule, Marotan. — Bien, restons-en là mademoiselle, vous pouvez disposer. Nous allons prendre le fichier clients de votre patron, merci de nous le donner. Il ouvrit la porte de la salle d’attente ; Mahir et Lerouyer l’attendaient. La secrétaire alla chercher le fichier dans son bureau et revint avec quelques CD. — C’est tout, dit le commissaire. — Oui, tout est informatisé, dit-elle en souriant. Ah, j’oubliais ! Le code pour ouvrir le fichier, c’est « Viviane », le prénom de sa femme. La secrétaire quitta le cabinet. Leila Mahir fit un rapport succinct à Workan. Elle avait vu trois médecins et la kiné : « Ils avaient quitté leur cabinet respectif entre dix-neuf et vingt heures la veille au soir, n’avaient rien vu de spécial, ni entendu aucun bruit. Aucun d’entre eux n’en voulait à Marotan… Et oui, il était sympa. Il ne faisait chier personne… Et que c’était Lerouyer qui l’avait envoyée n’interroger que des médecins femmes… dont l’une était au premier étage et la dernière au septième… et qu’il aurait été plus simple de procéder étage par étage… et que c’était fait en dépit du bon sens ». Leila boudait. — Qu’est-ce que je vous disais commissaire, je ne peux pas lui donner un ordre, elle gueule tout le temps. J’ai organisé ça à cause de la complicité féminine, elle aurait pu avoir des confidences, que moi, je n’aurai pas eues… — Pauvre con ! dit Leila entre ses dents. — Dis donc, je suis ton supérieur, ne me parle pas comme ça. T’as de la chance d’être une femme, sinon… N’importe comment, vous, les nanas flics, vous êtes devenues intouchables dans les commissariats. — OK, ça suffit tous les deux, vous êtes des gamins ou quoi ? Lieutenant Mahir, je vous interdis de parler au capitaine Lerouyer de cette façon. Vous obéissez à ses ordres, gueula Workan en regardant Leila, mais il vit dans son regard autre chose que la crainte qu’il voulait lui inspirer… Maintenant, à vous capitaine : vos commentaires. — Comme le lieutenant Mahir, j’ai vu également quatre médecins… — Eh bien dites donc, vous travaillez tous les deux au même rythme… — Oui, sauf que les siens étaient tous les quatre sur deux étages, le troisième et le quatrième, intervint Leila. — Vous n’allez pas recommencer, tonna le commissaire. Continuez capitaine. — Donc j’ai vu quatre médecins et, pareil que Mahir… Mêmes heures, rien vu ni entendu ! — Et c’est tout… Vous vous foutez de ma gueule, ce n’est plus un rapport, c’est une carte de visite ! — C’est à cause de l’autre… Elle me gonfle ! vitupéra Lerouyer en fusillant du regard le lieutenant Mahir. — Bien, je vois que vous n’irez pas faire un tour de manège ensemble. Résumons, quatre plus quatre ça fait huit… — Aux dernières nouvelles, oui ! persifla Leila. — Vous allez finir à la circulation lieutenant ! Donc huit médecins, plus le mort ça fait neuf. Il regarda Leila qui se mordillait les lèvres, ça la démangeait. Il le sentait. Néanmoins il poursuivit : — Il nous en reste cinq à visiter. J’en prends trois et vous capitaine, les deux derniers. — Belle leçon de mathématiques, commissaire ! La belle lieutenant avait les yeux moqueurs. — Quant à vous lieutenant, vous allez nous débarrasser le plancher le plus vite possible. Prenez le fichier et emmenez-le à Frémont… — Le syndicaliste ? Il nous emmerde… Il nous fait signer des pétitions tout le temps, au lieu d’agir contre le harcèlement… — Ça n’a rien à voir, il est d’abord flic ! Il va décrypter le fichier, vous allez lui donner un coup de main, je n’ai plus besoin de vous ici pour aujourd’hui, gueula Lucien. — OK, j’y vais, donnez-moi les clefs ! — Les clefs de quoi ? — Il me faut une bagnole, je vais pas y aller à pinces ! — Je garde ma charrette, se précipita Lerouyer, j’ai rendez-vous chez le dentiste à dix-huit heures. — T’y es déjà, eh banane ! Viens, je vais te passer la roulette. — J’en ai marre ! intervint Workan. Mais bon Dieu, vous allez arrêter tous les deux. Mahir, venez voir à la fenêtre, vous voyez là, en face, il y a un arrêt de bus, vous y allez et vous prenez le premier car qui passe, maintenant disparaissez. — Ah bravo ! Elle est belle l’organisation de la police. Qui va payer le ticket ? brailla-t-elle. Workan passa derrière Leila, la prit par les épaules, la mit sur le palier, referma la porte en s’adossant derrière et poussa un profond soupir. — Tenez la porte commissaire ! Elle est capable de revenir, l’avertit le rouquin. C’est la chieuse de chezchieuse.com. Au début quand elle est arrivée au commissariat, tous les mecs voulaient faire équipe avec elle, vu comme elle est roulée. Maintenant faudrait que l’administration nous file une prime de risque : une vraie poissonnière. J’avais ma grand-mère qui vendait des maquereaux et des huîtres à Cancale, c’était une douce communiante à côté d’elle et pourtant les Cancalaises… Je vous dis pas ! Rappelez-vous du coup de genou dans les valseuses de l’autre con, il devait les avoir en forme de coquille Saint-Jacques, c’est une calamité cette gonzesse. — Avouez, Lerouyer, que la distribution des rôles dans les étages était, pour le moins, aléatoire, non ? Quoique… avec l’ascenseur ça ne change pas grand-chose. — Vous vous trompez commissaire, pour m’emmerder, elle les montait à pied les étages. On s’est croisé deux ou trois fois, elle me traitait de tortionnaire… disait qu’elle était claustro… C’est faux ! Je l’ai vue monter une planque toute une nuit dans une poubelle avec le couvercle fermé… C’est une emmerdeuse, je vous dis ! Vous allez voir, Leila et Frémont, tous les deux enfermés dans un bureau avec le fichier du dentiste, ça va réveiller les volcans d’Auvergne. Ils vont se foutre sur la gueule. Workan s’était éloigné de la porte, il s’approcha de la fenêtre. Il vit la magnifique silhouette du Lieutenant Mahir, près de l’arrêt de bus. — Mais p****n qu’est-ce qu’elle fait ! s’écria le commissaire. Elle prend le car qui va dans l’autre sens… Elle est conne ou quoi ! — Elle suit les ordres commissaire ! Vous lui avez dit de prendre le premier bus qui passe, elle prend le premier bus qui passe, elle s’en fout du sens. Vous voyez on a les mêmes problèmes, moi et mon ascenseur et vous avec votre bus, bava Lerouyer. Workan sortit son portable de la poche intérieure de sa veste, il était furieux. Elle dépassait les limites, la Berbère. — Allô Mahir ! Qu’est-ce que vous foutez dans ce bus ? — Vous m’espionnez commissaire ? dit-elle d’une voix mielleuse. Sous l’emprise de la colère je me suis trompée, c’est tout, et puis un bus ça finit toujours par revenir à son point de départ. — Vous descendez à la prochaine station et repartez en sens inverse, compris ? Une fraction de seconde, il songea à autre chose. — Et puis non, puisque vous êtes sur la bonne ligne, vous allez filer jusque chez la veuve Marotan. Qu’elle vous donne les noms, disons… des cinq femmes ou maîtresses qui ont le plus compté pour son mari. Elle est intelligente et son intuition féminine doit le savoir. Apparemment, elle n’ignorait rien des identités des conquêtes de son époux… Ensuite, dès demain matin, vous partez en chasse, vérifiez les emplois du temps de ces dames et de leurs éventuels maris ou compagnons. — Je vais avoir l’air maligne d’arriver en bus pour enquêter. — Vous faites ce que je vous dis et ne discutez pas, demain matin vous aurez une voiture pour faire la tournée de ces bourgeoises. — Bien, Monsieur le Commissaire, il en sera fait selon vos désirs, minauda-t-elle. Il referma le clapet de son téléphone. « Elle se fout de ma gueule, se dit-il, faudrait pas qu’elle pousse le bouchon trop loin. » Il s’adressa à Lerouyer : — J’ai presque envie de la sanctionner. À sa grande surprise, le capitaine se transforma en avocat de Leila. — Ce ne serait pas une bonne idée commissaire, elle va dire que j’ai cafté et je n’aime pas ça. Je préfère les explications d’homme à homme, ou plutôt, en ce qui la concerne d’homme à femme. C’est une chieuse, d’accord, mais elle marne dur et elle a le cœur sur la main. Quand je l’ai envoyée ce midi chercher les sandwichs, elle est revenue avec quatre pâtisseries. Elle a dit que c’était cadeau de sa part, elle sait que j’adore les éclairs au chocolat. — Bravo Lerouyer, vous vous faites acheter avec un éclair au chocolat, vous n’êtes pas cher… tentative de corruption… elle aggrave son cas. — Allez commissaire, soyez bon prince, ne la saquez pas. — On verra. Bon, expliquez-moi le topo. Quelqu’un a vu Sylvain Chabrier ? — Non ! C’est l’ORL du cinquième. — Bien, je vais lui rendre visite, c’était le compagnon de golf de Marotan. Vous avez interrogé le proctologue ? — Non plus ! C’est le docteur Marc Leguénidec, il est au sixième. Lerouyer consultait ses fiches où les sept étages étaient reconstitués. — Je le prends aussi. J’ai vu qu’il y avait un psy, il a été fait ? — Non plus ! Attendez, c’est le docteur Michel Avril… Il est au deuxième. — Allez, dans le package. Le compte est bon pour moi, qu’est-ce qu’il vous reste ? — Alors… attendez… le rumatho du septième, le docteur Alain Le Goff… — Le septième ? Je croyais que c’était Leila qui l’avait fait ? — Uniquement la kiné ; c’est une femme alors… Le commissaire leva les yeux au ciel. — Et votre dernier médecin à interviewer, il n’est pas au sous-sol par hasard ? — Non ! C’est le docteur Ousmane Diallo, il est allergologue au… il consulta ses fiches… cinquième. — Qu’étaient les spécialités des quatre médecins femmes que Leila a rencontrées ? — Alors… un instant, je regarde mes fiches. Il y avait la kiné, une gynéco, une ophtalmo et une pédiatre. — Comment s’appelle l’ophtalmo ? — Un moment… Guylaine Courbet. — Voilà, c’est cela. Je savais que j’étais venu consulter dans cet immeuble, c’était avec l’ophtalmo. Attristé, Workan vit le paquet de fiches s’échapper des mains de son adjoint et se répandre sur le sol malgré les acrobaties désespérées de ce dernier pour les récupérer en vol. Il masqua son sourire et demanda au capitaine rougissant : — Je suppose qu’il y a une équipe de nettoyage à officier ici, vous avez interrogé les praticiens là-dessus ? — Bien sûr, c’est une société de nettoyage de Saint-Grégoire, les employés commencent vers quatre heures du matin et terminent à neuf heures pour l’ouverture des cabinets, ils ont des passes. — Merci Lerouyer ! La sonnerie du portable de Workan se fit entendre. C’était Prigent qui lui confirmait que Madame le Procureur l’attendrait à dix-neuf heures précises, à son bureau du commissariat. Workan maugréa quelque chose et raccrocha. — Maintenant, allons-y, commençons l’ascension du Golgotha des fils d’Hippocrate. 2. Rennes Etudiants Club.
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