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2703 Words
Amélia Une pure catastrophe. Je ne suis plus certaine de vouloir poursuivre ce repas, mais il serait inconcevable de le laisser planter là. Et Yaël me taperait sur les doigts. Jeremy est sans doute aussi mal à l'aise que moi, et de ce fait, sa bouche doit laisser échapper des mots blessants. Oui, il doit probablement être maladroit, un peu comme moi, finalement. Les deux mains agrippées au lavabo, je prends une profonde inspiration avant de regagner la table. Jeremy pianote sur son téléphone lorsque je me replace. Je plisse le front en constatant qu'une coupe de glace se trouve face à moi. - Euh... Tu as commandé pour nous ? - Oui, j'espère que tu aimes la glace. À vrai dire, oui, j'aime ça, mais pas en automne. Je me contente de hocher la tête. La glace à la vanille fond sous ma langue en me pétrifiant les dents. Je grimace, ce qui ne manque pas à l'œil de Jeremy. - T'es plus belle quand tu souris. Dois-je en conclure que lorsque je tire la tronche, je suis moche ? Cette soirée est un vrai désastre. Depuis qu'il est venu me chercher, il n'a fait que me mettre en mauvaise posture. C'est bien simple, je n'ose plus engager la conversation et ça doit l'agacer puisqu'il préfère envoyer des messages à un mystérieux interlocuteur. Je regrette presque d'avoir accepté ce dîner. Ça n'a rien de romantique. - Tu as fini ? Demande-t-il en relevant la tête. Parce que je t'emmène chez moi après. Mon sang ne fait qu'un tour tandis que mon cœur se fait la malle. - Comment ça ? Il me regarde comme si j'étais la première des idiotes. - Et bien, pour que tu dormes chez moi ! Tu n'avais pas prévu ? Je n'ai peut-être pas été assez clair, l'autre jour ? - Non, effectivement, dis-je froidement. J'ignore dans quoi je me suis embarquée, mais de toute évidence, Jeremy ne veut pas de relation stable. Il voulait juste me mettre dans son lit et je dois me concentrer un maximum pour ne pas montrer mon mépris. Self-control, Amélia. - Je ne sais pas ce que tu as compris, Amélia, mais je voulais... Enfin... Tu vois quoi. Il passe une main nerveuse à sa nuque, gêné de ce quiproquo. - Je pensais qu'on irait doucement. On ne se connaît que depuis deux semaines ! Mes pommettes doivent devenir rouges écrevisse tant, je me sens mal. J'ai juste envie de m'emmitoufler dans mes draps. - Enfin Amélia, on est jeune et il faut profiter. On n'a pas le temps de faire connaissance. Et puis... Je ne recherche pas de relation sérieuse, m'explique-t-il. Outch. Je serre les dents en retenant les larmes qui me montent aux yeux. Apparemment, notre point de vue est divergent et j'ai l'impression de passer pour la pire des quiches. - Ah, et bien excuse-moi, mais je... Je n'avais pas... Pas envisagé cette hypothèse. - Ouais. Bon du coup, ça te tente ou pas ? - Je passe mon tour, réponds-je en gardant mon calme. Ses traits se durcissent, sans doute de mécontentement, puis il expire longuement en secouant la tête. - Comme tu voudras. Par contre si ça ne t'ennuie pas, je n'ai pas assez d'argent pour te payer le repas. - Mais... Enfin... Tu m'as invité, m'exclamais-je affolée. - Je suis désolé, se contente-t-il d'ajouter en déposant une liasse de billets sur la table. Jeremy se révèle être un enfoiré. Je lui ai répondu négativement, et il n'a pas apprécié. Je parie que si j'avais répondu par l'affirmative, le déroulement de cette soirée serait tout autre. J'ai un haut-le-cœur en sachant combien je dois débourser, qui plus est pour une coupe de glace que je n'ai même pas demandée. Yaël va halluciner demain matin. Je suis de près Jeremy jusqu'à la sortie en remerciant les serveuses. La fraîcheur du mois de novembre m'oblige à fermer mon manteau. Je frissonne. - Bon, et bien à la prochaine. Et si un jour, tu changes d'avis, t'as mon numéro, m'informe-t-il en regagnant sa voiture. Le signal d'alerte rouge s'enclenche dans mon cerveau. Je le regarde, ahurie. - Quoi ? Mais je pensais que tu me ramenais chez moi ! Je m'affole en le voyant ouvrir sa portière. - Désolé, je dois rejoindre quelqu'un et passer part chez toi me ferait faire un grand détour. Je n'en reviens pas, ce type est clairement en train de me laisser sur le trottoir un soir d'automne, seul. - S'il te plaît, je ne sais pas comment rentrer, insistais-je. Je ne pensais pas que ça pourrait être pire, mais apparemment, si. - Je suis désolé, Amélia, appelle ta pote. Je sursaute au claquement de sa portière. Le moteur s'allume et peu de temps après, Jeremy est déjà loin. Cette fois, les larmes que je retenais depuis tout à l'heure s'échappent et me brouillent la vision. Me voilà seule à errer dans la rue. Avec l'argent que j'ai dû dépenser pour le restaurant, il ne me reste pas assez pour me payer le taxi. D'une main tremblante, je sors mon téléphone de mon sac pour joindre Yaël. - Réponds, pitié répond, je supplie en calant mon téléphone contre mon oreille et en mordillant mon pouce. Je lâche un sanglot lorsque la quatrième tentative est également un échec. Je tente avec trois autres amies, mais je tombe aussi sur leur répondeur. Je regarde les alentours et ne suis pas bien soulagée. Le restaurant se trouve être dans des rues fréquentées, aux côtés de bars. Les étudiants sont de sortie. Je m'aventure alors dans le bar le plus proche, à la recherche d'un visage familier. Malheureusement, je ne reconnais personne. Je ressors et aperçois un groupe de trois filles en train de fumer. Je m'avance à leur niveau, mon rythme cardiaque battant à tout rompre. - Excusez-moi, vous n'auriez pas dix euros ? Je demande gênée et consciente que mes chances qu'elles répondent oui avoisinent 0 %. Elles secouent la tête de droite à gauche. Je soupire en regagnant le trottoir d'en face. En même temps, qui serait prêt à me donner un billet ? Personne. Le problème, c'est qu'à pied, le trajet est très long. Et toute seule, il manquerait plus que je tombe sur un psychopathe. C'est bien ma veine, ça. Qu'est-ce que diraient mes parents dans ce genre de situation ? Je n'en ai pas la moindre idée. À croire que la poisse s'acharne sur moi. Pourquoi est-ce que tous les hommes que je rencontre me font des sales coups ? Je vais finir par penser qu'une malédiction plane au-dessus de ma tête. Mais de là, à me laisser planter en pleine rue, il ne faut quand même pas abuser ! Qu'ai-je fait pour mériter ce sort ? Je pensais enfin rencontrer une personne qui s'intéresse à mes passions, à ma personne. Au lieu de ça, j'ai hérité d'un mec qui s'avère être un parfait c*****d. G-e-n-i-a-l. J'essuie mes paupières humides, tout en reniflant. Si je récapitule : personne ne peut venir me chercher, je ne peux pas rentrer à pied, et pour couronner le tout, je n'ai plus assez d'argent pour me payer un moyen de transport. En résumé, je suis f****e. Indéniablement f****e. Je plonge mes mains dans les poches avant de ma veste afin de me réchauffer, quand soudain, une brillante idée illumine mon visage. C'est sans doute risqué et illégal, mais je n'ai pas d'autres options qui s'offrent à moi. D'un pas décidé, je m'éloigne de la foule afin de longer le trottoir. J'examine rapidement les voitures en zieutant les sièges passagers. Souvent, des babioles traînent. Alors qui sait, peut-être que je vais pouvoir trouver un peu d'argent, voire mieux, les clés sur le contact. Ne rêve pas trop ma vieille. J'écarquille les yeux lorsque je trouve la voiture idéale. Je regarde aux alentours, personne. Je me réjouis. Je n'ai jamais fait ça de toute ma vie, mais comme nous dit le dicton : il y a un début à tout. Ne culpabilise pas. C'est une vieille voiture à la carrosserie marron foncé, tellement ancienne que je n'ose pas la toucher par peur qu'elle s'écroule. Je me penche, puis plisse les yeux afin d'examiner l'intérieur. C'est bien ce que je pensais avoir vu puisqu'un portefeuille noir est entreposé sur le siège passager. Bingo. Avec un peu de chance, des billets seront dedans. Il ne me reste plus qu'à déverrouiller la portière, parce que bien évidemment, la voiture est fermée à clé. Regarde le côté positif, elle est si vieille qu'aucune alarme ne se déclenchera. Je fouille dans mon sac à main pour dégoter des pinces, qui me servent de barrettes lorsque je relève ma chevelure en un chignon décoiffé. Toujours utile, finalement. Je respire profondément avant d'insérer les deux petits bouts dans la serrure. Sincèrement, j'ai l'impression de me retrouver dans un vieux film d'action. Le plus étrange ? Avoir espoir que mon plan fonctionne. P-i-t-o-y-a-b-l-e. - Ouvre-toi bon sang, je grogne en serrant les dents. Mon pied-droit s'appuie sur la carrosserie afin de me donner plus de puissance. C'est un pur fiasco. Mes barrettes sont soit trop petites, soit trop grandes. Non, en fin de compte, elles sont tout bonnement inadaptées. Alors comme une fille complètement désespérée, je force sur la poignée en la tirant vers moi. Je me fige dans mon mouvement lorsqu'un rire parvient dans mes oreilles. Je me dégage le plus rapidement possible en signe d'innocence. - C'est ça que tu cherches ? L'homme qui se trouve être devant moi me tend un trousseau de clés sous le nez. C'est officiel, je panique. - Je... Euh... Je, je bégaye. - Oui ma belle, c'est ma voiture que tu essayes de voler, dit-il en rigolant. Tu sais, il y en a des plus belles que la mienne dans les parages. Merde. J'espère qu'il ne va pas appeler la police. Je me mords la lèvre, tout en tenant plus fermement mon sac contre mon flanc. - Ce n'est pas ce que tu crois, parviens-je à articuler. L'homme sourit en secouant la tête. J'avale difficilement ma salive en m'apercevant qu'il va sûrement me causer des ennuis. Ma posture a bien trop l'air de l'amuser. - Ah bon ? Explique-moi alors, parce que j'ai pris des photos et des vidéos de tes actes. Je ne sais pas par quel miracle mes jambes me maintiennent encore debout puisque je crois toucher le fond. Il a des preuves. Joue les idiotes. - Eh bien, tu ne vas pas me croire, mais je me suis trompée de voiture avec la tienne, dis-je en tentant un sourire. Mensonge, mensonge, mensonge. Ma voix est tremblante et les mots que j'emploie ne sont pas convaincants. Et puis, je n'ai même pas de voiture ! - Je vais me pisser dessus si tu continues tes conneries, miss. C'est au moment où il se rapproche de moi que je constate qu'il est grand, très grand, et qu'il doit avoir à peu près le même âge que moi. Il s'adosse à sa voiture, la jambe repliée contre la portière, tout en jouant avec ses clés. Je me recule d'un pas, par sûreté. - Pourquoi t'as pleuré ? Surprise, je plisse le front. - Je te demande pardon ? - Tes yeux, t'as des traces noires sous les yeux. Tu me ferais presque peur, ricanes l'homme. - Je ne crois pas que ça te regarde, dis-je avec un aplomb que je ne me connaissais pas. - Indirectement, si, puisque tu tentais de voler ma bagnole. Un point pour lui. Je baisse les yeux au sol, n'osant plus confronter ses prunelles noisette. Il m'intimide, c'est le cas de le dire. En même temps, il doit au minimum mesurer 1m80. Je tousse et relève le menton lorsqu'un halo de fumée apparaît devant mon visage. - Tu peux arrêter, s'il te plaît ? Je n'aime pas la cigarette. - Et ? Me demande-t-il en continuant. L'arrogance même incarne son corps. - Et ce n'est pas poli, je lui explique. Il se met à rire sous mon air éberlué. - Je crois que tu n'as pas bien compris. Je m'en fous, dit-il en détachant chaque syllabe. Mes dents s'entrechoquent tandis que mon rythme cardiaque s'accélère démesurément. - Écoute, je suis désolée pour ta voiture, mais je suis un peu pressée donc... Bonne soirée. Je commence à tourner les talons quand sa voix grave m'interpelle. - La voleuse, revient par là si tu ne veux pas que je te dénonce aux flics. Je déglutis en faisant volte-face. - Je ne pense pas qu'ils te croiront, même avec des photos. - Détrompe-toi, j'ai des potes qui se feront un plaisir de devenir mes témoins, affirme-t-il en jetant sa clope au sol avant de l'écraser de son pied. Je ne réplique pas, ne sachant pas comment me sortir de ce pétrin. Il se met soudain à me scruter de haut en bas et je me vois dans l'obligation de tirer sur ma jupe pour cacher mes jambes de son regard ardent. - Je ne te permets pas de me reluquer, grommelais-je. Il semble réfléchir. - Tu feras l'affaire, décrète-t-il subitement en relevant le visage. - Excuse-moi ? Mes sourcils se rejoignent sous l'incompréhension. - Pour te faire pardonner, tu m'accompagneras où je veux. Cette fois, c'en est trop. Je ne m'empêche pas de lui rire au nez. - Non mais je ne suis pas ton jouet ! M'exclamais-je. Voyant qu'il ne rigole pas, je cesse mon égarement en me raclant la gorge. - Je ne plaisante pas, affirme-t-il en me dévisageant de nouveau. Je suppose que tu n'as commis aucune bavure avant ce soir. Tu m’as l'air naturelle, pas une peau de peinture, ouais, tu seras parfaite, conclut-il. J'hallucine. En tout honnête, on ne me l'avait jamais faite celle-là. - Tu es obligée poupée, sinon ta petite vie bien tranquille risque de s'écrouler. Papa et maman ne seront pas contents d'apprendre que leur petite fille chérie a emprunté le chemin de la délinquance, dit-il d'un air narquois. Je me pince l'intérieur de la joue pour ne pas monter sur mes chevaux, parce que je sais qu'au fond de moi, ce type a raison. Je suis contrainte d'obtempérer. - On parlera des détails plus tard. En attendant, monte dans ma voiture, poupée, dit-il en ouvrant sa portière. Mes pieds restent cloués au sol, incapables de bouger. Comment ose-t-il me donner des ordres ? Il bat des records. Cinq minutes se sont écoulées et il a déjà réussi à me mettre hors de mes gonds. Même Jeremy ne le surpasse pas. - Je ne monte pas avec des inconnus, sifflais-je. - Comme tu veux. Mais à mon avis, si tu tentais de t'enfuir avec ma bagnole c'est bien parce que tu ne savais pas comment rentrer, s'esclaffe-t-il. Intérieurement, je bouillonne. Cet homme est en train de me faire péter les plombs. Je soupire, agacée. Malheureusement, c'est la seule chance que j'ai d'atteindre mon appartement. - Je ne vais pas te v****r, promis poupée. Je ne sais pas ce qui me retient de ne pas lui mettre une droite. Ah oui, parce que je n'ai aucune force comparée à sa masse musculaire. Même à travers sa veste en cuir, ses biceps se visualisent parfaitement. Je zieute rapidement mes bras, qui me paraissent, gringalets comparés aux siens. D'accord, j'ai une passion extrême pour la gourmandise, et malheureusement pas pour le sport. Je pratique tout de même le yoga, de temps à autre, mais mes parents n'ont jamais vraiment accepté le fait que leur fille unique puisse vouloir s'adonner à un sport. "C'est trop risquer" me répétait ma mère. "Tu risques de te blesser " renchérissait mon père. J'aurais pourtant aimé apprendre à danser ou encore à escalader. Ce n'est pas faute d'avoir essayé ; le médecin me le conseillait également. Mais que voulez-vous, les parents ont toujours le dernier mot. Toujours. Et puis avec le temps, je me suis résignée. J'ai abandonné les longues minutes de confrontation avec eux. J'ouvre à contrecœur la portière pour m'installer sur le siège passager. Inexplicablement, j'ai trouvé le moyen de me mettre dans le pétrin jusqu'au cou. Et tout cela, en une seule soirée. C'est décidé, à partir de demain, je m'achète un chat.
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