CHAPITRE QUATRE

1372 Words
CHAPITRE QUATRE Gwendolyn se tenait sur un pont doré. Agrippée à la rambarde, elle se penchait par-dessus bord pour apercevoir les bouillons furieux de la rivière sous ses pieds. Les rapides grondaient et les vagues s’élevaient de plus en plus haut. Elle sentait déjà les gouttes mouiller ses jambes. — Gwendolyn, mon amour. Gwen se retourna et vit Thorgrin debout sur la rive, environ six mètres plus loin. Il souriait et tendait la main vers elle. — Viens à moi, supplia-t-il. Traverse la rivière. Soulagée de le voir, Gwen commença à marcher vers lui, mais une petite voix douce l’arrêta : — Mère… Gwen fit volte-face. De l’autre côté, sur l’autre rive, se trouvait un petit garçon d’environ dix ans, aux yeux gris, grand pour son âge, fier, large d’épaules, la mâchoire volontaire. À l’image de son père. Il portait une magnifique armure dorée, faite d’un métal qu’elle ne reconnut pas, et des armes de guerrier à la ceinture. Une aura de pouvoir émanait de lui. Un pouvoir que rien ne pourrait arrêter. — Mère, j’ai besoin de toi, dit-il. Le garçon tendit la main vers elle et Gwen fit instinctivement un pas vers lui, avant de s’arrêter net. Elle fit courir son regard entre Thor et son fils, comme tous deux tendaient les bras vers elle, déchirée par le choix. Où aller ? Soudain, le pont s’écroula sous elle. Elle poussa un cri strident en plongeant dans les rapides. La température glacée de l’eau la transperça comme un coup de couteau et elle se débattit pour échapper au courant, la bouche ouverte à la recherche de l’air. Elle leva les yeux vers son fils et son mari, chacun debout sur une rive de la rivière. Ils lui tendaient la main. Ils avaient besoin d’elle. — Thorgrin ! hurla-t-elle avant d’ajouter : Mon fils ! Elle tenta d’agripper leurs deux mains mais, bientôt, le courant la fit basculer dans une cascade. Elle poussa un cri en perdant de vue ses êtres chers et en dégringolant vers les récifs acérés. Gwen s’éveilla en hurlant. Couverte d’une pellicule de sueur froide, elle balaya la pièce du regard, en se demandant où elle se trouvait. Elle était étendue dans un lit, au milieu d’une chambre de château faiblement éclairée par des torches. Elle cligna des yeux plusieurs fois, en tâchant de comprendre, le souffle court. Lentement, elle réalisait que tout ceci n’avait été qu’un rêve. Un horrible cauchemar. Ses yeux s’ajustèrent à l’obscurité et elle remarqua les domestiques. Illepra et Selese étaient à son chevet et faisaient courir des compresses froides sur ses bras et ses jambes. Selese épongeait tendrement son front. — Chut…, souffla-t-elle. Ce n’était qu’un rêve, Madame. Gwendolyn sentit une main serrer la sienne et son cœur déborda de joie quand elle aperçut Thorgrin à genoux près d’elle, visiblement heureux de la voir réveillée. — Mon amour, dit-il. Tu vas bien. Gwendolyn cligna des yeux. Que faisait-elle ici ? Pourquoi était-elle alitée ? Que faisaient tous ces gens ici ? Soudain, quand elle essaya de bouger, une douleur terrible transperça son ventre et elle se souvint. — Mon bébé ! s’écria-t-elle d’une voix enfiévrée. Où est-il ? Il est en vie ? Désespérée, Gwen fouilla du regard les visages. Thor serra sa main pour la réconforter et lui adressa un large sourire. Elle sut alors que tout allait bien, comme si toute sa vie se réchauffait devant la chaleur de son sourire. — Il est en vie, répondit Thor. Grâce à Dieu. Et grâce à Ralibar. Il vous a ramenés jusqu’ici en volant, juste à temps. — Il va très bien, ajouta Selese. Soudain, un cri retentit et Gwendolyn leva les yeux vers Illepra qui s’avançait en tenant un bébé emmailloté dans les bras. Une vague de soulagement la submergea et elle éclata en sanglots hystériques. Des chaudes larmes de joie se mirent à couler le long de ses joues. Le bébé était en vie. Elle était en vie. Ils avaient tous les deux survécu. D’une manière ou d’une autre, ils étaient sortis de ce cauchemar. Elle n’avait jamais ressenti une telle gratitude de toute sa vie. Illepra se pencha et plaça le bébé sur la poitrine de Gwen. Celle-ci s’assit sur son séant pour l’examiner. En le touchant, elle eut l’impression de renaître. Son poids entre ses bras, son odeur, son visage… Elle le berça, tout en le serrant contre elle, tout emmailloté dans ses couvertures. Des vagues d’amour et de reconnaissance la traversaient. Elle pouvait à peine y croire : elle avait un enfant. Déposé entre ses bras, le bébé cessa soudain de pleurer et demeura silencieux. Lentement, il ouvrit ses paupières et leva les yeux vers sa mère. Un éclair d’émotion transperça Gwen quand leurs regards se croisèrent. Le bébé avait les yeux de Thor : des yeux gris brillants qui semblaient venir d’un autre monde. Ils se plantèrent au plus profond d’elle. Gwendolyn eut soudain l’impression qu’elle le connaissait depuis longtemps. Depuis toujours. Elle sentit un lien puissant se nouer entre eux, plus puissant que tout ce qu’elle connaissait. Elle le serra fort et se promit de ne jamais l’abandonner. Pour lui, elle marcherait sur des charbons ardents s’il le fallait. — Il te ressemble, mon amour, lui dit Thor en souriant et en se penchant vers son fils. Gwen sourit à son tour, le visage mouillé de larmes d’émotion. Elle n’avait jamais été aussi heureuse. Voilà tout ce qu’elle avait toujours voulu : Thorgrin, leur enfant et elle-même, tous trois réunis. — Il a tes yeux, répondit-elle. — Mais il n’a pas encore de nom…, dit Thor. — Peut-être que nous devrions lui donner le tien, proposa Gwen. Thor secoua la tête, inflexible. — Non. C’est le fils de sa mère. Il a tes traits. Un véritable guerrier devrait toujours garder avec lui l’esprit de sa mère et le talent de son père. Il a besoin des deux. Il aura mon talent militaire, mais il devrait avoir un nom semblable au tien. — Que proposes-tu ? Thor y réfléchit. — Un nom qui sonne comme le tien. Le fils de Gwendolyn devrait s’appeler… Guwayne. Gwen sourit. Le nom lui plut immédiatement. — Guwayne, répéta-t-il. Cela me plait. Elle adressa un large sourire au bébé qu’elle serrait contre elle. — Guwayne, lui souffla-t-elle. Guwayne ouvrit à nouveau les yeux et planta son regard dans le sien. Gwen aurait pu jurer qu’elle l’avait vu sourire. Il était bien trop jeune pour cela, mais il lui semblait bien avoir vu une lueur de quelque chose… Elle fut soudain convaincue qu’il aimait son nom. Selese appliqua un baume sur les lèvres de Gwen et lui donna à boire un liquide épais et sombre. La souveraine se redressa immédiatement, comme régénérée. — Combien de temps suis-je restée là ? demanda-t-elle. — Vous dormez depuis presque deux jours, Madame, dit Illepra. Depuis la grande éclipse. Gwen ferma les yeux et tous ses souvenirs lui revinrent. L’éclipse, la grêle, le tremblement de terre… Elle n’avait jamais rien vu de pareil. — Des présages puissants se sont fait entendre pendant la naissance de notre enfant, dit Thor. Le royaume tout entier en est témoin. On parle déjà de lui partout. Gwen serra un peu plus fort le bébé contre elle et sentit une vague de chaleur la recouvrir. Il était vraiment unique… Tout son corps chantait quand elle le tenait dans ses bras. Ce n’était pas un enfant ordinaire. Quels pouvoirs couraient dans ses veines ? Elle leva des yeux interrogateurs vers Thor. L’enfant était-il un druide, lui aussi ? — Es-tu resté là pendant tout ce temps ? lui demanda-t-elle. Elle ressentit un élan de gratitude à son égard. — Bien sûr, Madame. Je suis venu dès que j’ai su. Sauf la nuit dernière : je suis allé au Lac des Chagrins. J’ai prié pour que tu recouvres la santé. Gwen éclata encore une fois en sanglots, incapable de contrôler ses émotions. Elle n’avait jamais été si heureuse : son enfant dans ses bras, elle se sentait plus entière que jamais auparavant. Bien malgré elle, elle pensa à ce moment fatidique, dans les Limbes, et au choix qu’elle avait été forcée de faire. Elle serra la main de Thor et le bébé. Elle aurait voulu les garder tous les deux près d’elle jusqu’à la fin des temps. Cependant, l’un d’eux serait un jour contraint de mourir. Elle le savait et cette pensée la fit pleurer. — Qu’y a-t-il, mon amour ? demanda enfin Thor. Gwen secoua la tête, incapable de lui avouer la vérité. — Ne t’inquiète pas, dit-il. Ta mère vit encore. Si c’est bien pour cela que tu pleures. Gwen se rappela soudain l’état de sa mère. — Elle est très malade, ajouta Thor, mais tu as encore le temps de la voir. Gwen sut alors ce qu’elle devait faire. — Je dois la voir, dit-elle. Emmène-moi tout de suite. — Vous êtes sûre, Madame ? demanda Selese. — Dans votre état, vous ne devriez pas bouger, ajouta Illepra. Votre accouchement n’était pas facile et vous devriez vous reposer. Vous avez de la chance d’être en vie. Gwen secoua la tête, inflexible. — Je verrai ma mère avant sa mort. Conduisez-moi à elle. Tout de suite.
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