Prologue-2

1627 Words
Les jurons étouffés provenant des deux hommes au sol commençaient enfin à s’atténuer. Asim se détendit contre le mur près de la porte et attendit que les hommes reprennent leurs esprits. Scrutant sa sculpture, il souffla afin de retirer les copeaux de bois de la petite créature qu’il taillait avant de poser le couteau et la figurine en bois sur ses genoux. Brogan fut le premier à s’asseoir — si l’on pouvait appeler « s’asseoir » le fait de reculer contre le mur et de s’appuyer dessus pour se redresser. Barrack était toujours allongé par terre et se frottait le torse. Il s’en serait bien mieux sorti que son frère s’il n’avait pas grogné sur Pearl. Dès l’instant où il l’avait fait, elle lui avait envoyé une décharge et l’avait mis au tapis à côté de Brogan. Asim scruta les deux hommes d’un air méfiant afin de voir s’ils s’étaient calmés. Il devait admettre qu’il avait été difficile de ne pas rire quand Pearl avait demandé à Brogan s’il comprenait la règle d’apprendre à la fermer avant qu’il ne soit trop tard. Tandis que les deux hommes étaient allongés par terre, agités de soubresauts, Pearl s’était calmement tournée vers Sara pour lui demander si elle désirait une tasse de thé et une part du gâteau qu’Ariel avait fait et lui avait apporté la veille au soir. La fierté se mêlait à l’exaspération. Il aurait probablement dû mettre Pearl en garde contre les conséquences possibles de la rage des guerriers dragons jumeaux, en particulier ceux qui étaient connus pour avoir mutilé et tué tous ceux qui se mettaient en travers de leur chemin par le passé. — Qu’est-ce que c’était que ça ? interrogea Barrack d’une voix tendue. — Ça, c’était ma compagne qui se montrait gentille, déclara Asim. — Elle… était gentille, là ? répéta Brogan, incrédule. Qu’est-ce qui se passe quand elle n’est pas gentille ? — Tu ne veux pas le savoir, lui assura Asim avec un sourire en coin. — Pourquoi a-t-elle réagit si vivement au commentaire de Brogan ? Est-elle à moitié Curizan ? demanda Barrack, perplexe. — Vivement ?! Elle a failli nous tuer ! Je te jure que je sens encore l’odeur de ma chair qui brûle, rétorqua Brogan. Asim ne put réprimer le petit rire qui lui échappa. Il secoua la tête. Il savait exactement de quoi parlait Brogan. Après tout, il s’était retrouvé à plus d’une occasion dans la position des deux hommes après avoir fini par pousser Pearl à bout. — Non, elle est entièrement humaine, répondit Asim. On lui a demandé de vous aider. Si vous n’écoutez pas, attendez-vous aux conséquences. — Tous les Humains sont comme ça ? Si c’est le cas, il nous faut plus d’informations sur eux, exigea Barrack. — Enfin ! Des informations qui seront plus utiles qu’un tas de règles, rétorqua Brogan entre ses dents. — Eh bien, j’en sais assez pour vous dire qu’il ne faut jamais sous-estimer la force d’un Humain, qu’il soit homme ou femme. Je ne peux parler que de ceux que j’ai rencontrés, pas des autres. Vous en apprendrez plus sur leur compte au cours de votre voyage, répondit-il. — Parle-nous de ceux que tu as rencontrés, insista Barrack. Asim se demanda par où commencer et décida que raconter son histoire aiderait peut-être les deux guerriers. De nombreux changements s’étaient produits au cours des siècles et Pearl était un bon exemple de ce à quoi ils devaient s’attendre, raisonna-t-il. Il avait entendu parler des premiers dragons jumeaux. Les histoires dont il se souvenait racontaient qu’ils étaient morts. Asim avait été choqué lorsque Zoran Reykill, roi de Valdier et dirigeant de tous les seigneurs dragons l’avait contacté pour leur demander, à Pearl et lui, de l’aider avec une affaire urgente. Le lendemain, Jaguin et Sara étaient apparus avec les guerriers légendaires et hautement instables, bien vivants et se portant comme des charmes. Jaguin et Sara leur avaient seulement dit que les hommes devaient apprendre les us et coutumes des Humains et qu’une personne très spéciale dont ils avaient tenu à garder le nom secret — à sa plus grande exaspération — avait demandé à ce que ce soit Pearl qui aide les jumeaux à comprendre. Zoran s’était montré un peu plus communicatif. Il avait dit que la déesse Aikaterina était apparue à Sara et à Jaguin. Inquiet pour Sara après son expérience traumatisante sur Terre avec un groupe d’hommes humains, Zoran avait suggéré de s’adresser à Pearl — après tout, avait-il pensé, elle n’avait eu aucune difficulté à gérer Vox et Viper. Zoran avait estimé que Pearl était la seule à pouvoir préparer les jumeaux à faire la cour à leur compagne humaine dans les meilleurs délais et leur apprendre à faire preuve d’un peu d’humilité par la même occasion. Asim ne savait pas si l’on pouvait considérer que les deux hommes avaient écouté après qu’elle ait fait usage de cet appareil électrisant sur eux, mais cela avait eu l’avantage d’attirer leur attention. Il devait simplement se rappeler de trouver ce maudit appareil et de le cacher à nouveau, à un endroit où Pearl ne pourrait pas le trouver cette fois. — L’histoire que je vais vous raconter va vous paraître incroyable, peut-être pas plus incroyable que votre… deuxième chance… mais cette espèce ne ressemble à aucune autre que nous avons rencontrée auparavant. Quand Jaguin et Sara ont parlé de votre deuxième chance au seigneur Zoran, il a décrété qu’il était important que vous compreniez à quoi vous alliez être confrontés, expliqua Asim. — Ça ne peut pas être si difficile ? demanda Brogan en remuant les doigts. — La ferme, Brogan. J’ai déjà assez mal au torse à cause de ton commentaire. Je préfèrerais que ma tête et mon système nerveux restent en état de fonctionner à partir de maintenant, mon frère, rétorqua Barrack. Asim poussa un soupir en se remémorant sa propre lutte contre la solitude et le désespoir quand il croyait que jamais il ne trouverait d’âme sœur. Il tourna la figurine en bois dans ses mains, essayant de réfléchir à ce qu’il pouvait dire aux hommes pour les aider à comprendre la différence entre une compagne valdier et une humaine. L’oiseau en bois dans sa main était une créature étrangère à leur monde. Il était grand, incapable de voler et intelligent. D’une certaine façon, son histoire avec les émeus lui rappelait les Humains qu’il avait rencontrés. Oh, il ne voyait pas les Humains comme des oiseaux incapables de voler, il pensait simplement qu’il était facile de se tromper sur leur compte, comme cela avait été le cas lorsqu’il avait trouvé les œufs cachés de Jabir. Il était préférable de posséder toutes les connaissances avant d’aller combattre, tout bon guerrier le savait. — Au cours des dernières années, ma vie est devenue très intéressante, plus satisfaisante que je n’aurais jamais pu l’espérer et assurément beaucoup plus compliquée. Comme les vôtres, mon dragon ressentait le vide de ne pas avoir d’âme sœur, mais c’était mon symbiote qui souffrait le plus. Seuls ma promesse faite à notre ancien roi et mes devoirs envers le seigneur Mandra, dame Ariel, et leur jeune fils, Jabir, m’ont donné la force de continuer. Je ne m’attendais pas à recevoir le cadeau de trouver mon âme sœur. Quand j’ai vu Pearl…, Asim secoua la tête et rit. Dire que j’étais choqué serait un euphémisme. Trouver ma compagne après tant d’années… c’était une révélation qui ne ressemblait en rien à ce que j’avais pu imaginer. — Qu’est-ce que tu veux dire ? Ton dragon et ton symbiote devaient savoir. La femelle devait avoir immédiatement compris ce qui se passait. Qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de si surprenant ? demanda Barrack. Asim arqua un sourcil. — Tu présumes que Pearl est comme une femelle valdier, mais ce n’est pas le cas. Son espèce n’établit pas de lien de la même façon que la nôtre. Nos dragons et nos symbiotes reconnaissent notre compagne avant nous mais nous comprenons ce qui se passe. Les Humains n’ont pas la même connexion. Il faut leur faire la cour, expliqua-t-il. Barrack se redressa avec une expression perplexe et demanda : — Leur faire la cour ? Pourquoi devraient-ils être contraints de se présenter devant la cour du Conseil ? Est-ce qu’ils sont condamnés à être avec un autre ? — Non, non. « Faire la cour » est un terme que j’ai appris de dame Ariel. Ça veut dire qu’on doit faire passer sa compagne en premier, lui offrir des cadeaux et passer du temps avec elle pour qu’elle nous accepte et tombe amoureuse de nous, dit Asim. — C’est évident qu’on fera passer notre compagne en premier ! s’exclama Brogan. Pour le reste, dès qu’elle nous verra, elle apprendra à nous apprécier. Comment pourrait-elle résister ? demanda Brogan avec un regard sceptique. — Nos symbiotes la protégeront, même de nous si nécessaire, ajouta Barrack en regardant son frère d’un air sévère. Elle n’aura pas à nous craindre. Nous avons appris de notre expérience passée. Asim secoua la tête. — Vous avez tous les deux beaucoup à apprendre sur l’espèce de votre âme sœur. Ce sont des créatures fragiles et délicates avec une volonté de fer au-delà de tout ce que vous avez déjà pu rencontrer, répondit-il avec exaspération. — Pearl semble effectivement l’être, répondit Brogan en se frottant le torse. Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en désignant la figurine qu’Asim tenait à la main. Ce dernier baissa les yeux et sourit. — Cela fait partie de mon histoire, mais d’abord, il faut que je vous raconte comment j’ai rencontré Pearl, dit-il en tendant l’oiseau étrange à Barrack. Mon histoire commence il y a seulement quelques années au cours d’un rituel de la Terre très bizarre appelé Pâques…
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