Préface

1472 Words
Préfaced’Alfu Après avoir proposé une vision globale de la « guerre de demain » dans un volumineux ouvrage homonyme, Emile Driant, saint-cyrien, officier de carrière, né en 1855 dans l’Aisne, gendre du général Boulanger, démissionnaire de l’armée en 1905, puis député de Nancy — élu, sous l’étiquette Action libérale, en 1910, réélu en 1914, — propose, sous le nom de plume de « capitaine Danrit », des récits de guerre future où, tour à tour, les musulmans envahissent l’Europe (L’Invasion noire, 1895), puis les Asiatiques (L’Invasion jaune, 1905), ou encore l’Angleterre et la France entrent en guerre (La Guerre fatale, 1898). En 1912, inéluctablement, il en vient à rédiger un roman dont le cadre est un conflit entre son pays et l’Allemagne, profitant de l’occasion pour valoriser une arme d’élite : le génie, déjà évoquée dans La Guerre de forteresse (1892) — son premier roman, regroupé ensuite dans La Guerre de demain. Passionné par les progrès de la science, et par contrecoup, de l’armement — par ailleurs auteur de romans de science-fiction : Robinsons des airs (1908), L’Aviateur du Pacifique (1909), etc., — Danrit y expose le principe d’une guerre de sape contre les forteresses dont l’importance stratégique n’est pas encore remise en cause. Ce roman, qui a pour titre Robinsons souterrains et relate l’odyssée d’un groupe de sapeurs au cours de l’attaque d’un fort tenu par l’ennemi, va connaître une destinée surprenante, du fait du déclenchement du premier conflit mondial. Initialement publié, à partir du 20 octobre 1912, dans le Journal des Voyages, grand hebdomadaire consacré à la littérature populaire, créé par Armand Montgrédien en 1877, le roman est reproduit ensuite dans un grand nombre de journaux, essentiellement les quotidiens de province, tel La Dépêche de Brest, en 1913. Ce qui est intéressant pour nous, aujourd’hui, est qu’au cours des premiers mois de la guerre, les rééditions se multiplient. Robinsons souterrains peut être lu dans : Le Télégramme, de Toulouse ; Le Nouvelliste de Bretagne, de Rennes ; L’Eclair, de Montpellier ; La Tribune de l’Aube, de Troyes, ou encore Le Nouvelliste du Morbihan, de Lorient — sous le titre La Prise de Metz. Dès lors, Danrit doit recevoir des commentaires sur ces publications, relatives au contenu idéologique du roman, et, avant tout, à son attaque en règle contre les pacifistes, au premier rang desquels il place les instituteurs. Aussi trouve-t-il le temps, non pas réécrire son roman, mais du moins de lui apporter quelques modifications. Tout d’abord, il met l’action dans son contexte historique du moment. La guerre n’est plus imaginaire et ses causes sont connues. Il ne s’agit donc plus de dire : « […] sous un infime prétexte soulevé par l’Espagne au Maroc, par l’Espagne devenue depuis quelques années provocatrice de conflits, la guerre avait éclaté soudainement par une attaque brusquée de l’Allemagne, prenant parti pour l’Espagne à laquelle la liait un traité secret. » (16) Ensuite, il change quelques noms, à commencer par celui de son héros principal, qui de Teny devient Tribout, mais, surtout, il modifie sérieusement le personnage négatif de l’« Intellectuel », qui devient l’« Ingénieur ». Il s’en explique dans un avant-propos qui met les choses au clair : « J’ai donc refondu mon livre de 1912 et supprimé en 1915 le personnage odieux de l’intellectuel antipatriote, en même temps que, fidèle à l’Union sacrée, j’ai rayé de ma mémoire les douloureuses manifestations de certains instituteurs d’avant-guerre. » (11) En 1912, le personnage s’appelle Raucourt et est maître d’étude dans un collège de l’Yonne : « Fils d’une longue lignée d’ouvriers modestes, il était le premier de sa race qui s’intéressât à d’autres problèmes que ceux de la vie courante, qui s’essayât, en un mot, à la pensée spéculative. Sans tarder, les théories communistes et même anarchiques l’avaient séduit, et il s’en était fait le propagateur v*****t, avec l’ardeur d’un néophyte et l’aveuglement d’un esprit borné, enivré de sa propre ascension. […] Ces autodidactes n’ont pas le sens de la complexité des choses, ni l’art des nuances. Et, défaut plus grave encore, ils abusent de formules qu’ils prennent pour des explications. […] Raucourt était donc convaincu que la société actuelle est irrémédiablement viciée par l’inégale répartition des richesses et que seuls des moyens violents, une crise, une révolution — impliquant nécessairement la disparition de l’Armée — pourraient remettre les choses en état. » (64) Et il fait un émule en la personne d’un autre sapeur, Marquot, ouvrier à l’usine de gaz de La Villette, à Paris : « Il avait dans Marquot, ouvrier syndiqué de la CGT, un admirateur et un disciple fervent qui buvait ses paroles comme celles d’un Messie libérateur, et qui s’exaltait en lisant les articles des pires journaux anarchistes que le maître d’étude lui mettait sous les yeux. » (64) En 1915, Raucourt devient Lehmann et il travaille dans l’industrie : « Les hommes m’appellent l’“Ingénieur”. Ce n’est pas tout à fait exact. Je suis agent de manufactures et je visite constamment, dans le Nord et l’Est de la France, les grosses usines métallurgiques. » (62) Il n’est plus révolutionnaire mais seulement pacifiste car il connaît et admire l’Allemagne et n’admet pas que l’on entre en guerre contre elle pour un prétexte d’une revanche de 1870 dont on pourrait faire remonter les origines aux exactions des armées de Louis XIV : « Quoique toutes mes sympathies aillent à la France, que mes vœux ardents tendent à son prochain triomphe, vous n’en doutez pas, n’est-ce pas, sergent ? j’estime qu’il est déplorable que ces deux grands pays s’ignorent, et que par le fait d’événements survenus il y a quarante-quatre ans, le progrès s’arrête devant les sentiments comme devant une muraille de fer. » (62) Mais, en fait, dans l’une et l’autre version, le nommé Raucourt ou Lehman est un Allemand d’origine, naturalisé français, et vient garnir la longue liste des espions et des traîtres que propose la littérature populaire d’avant-guerre et de guerre. Dans sa version de 1915, le roman prend un autre titre : tout d’abord La Guerre de tranchée pour sa première parution dans le journal parisien La Patrie — celui où est né Rocambole, en 1857 ! — du 25 septembre 1915 au 2 janvier 1916. Puis La Guerre souterraine lorsqu’il est repris dans la presse de province ou des colonies. On peut en effet le lire bientôt, par exemple, dans L’Eclaireur de Nice ou dans L’Echo d’Alger. Il paraît également en volume chez Flammarion en 1916. Rappelons que l’auteur, qui, dès la déclaration de guerre, a demandé à être mobilisé, est commandant des 56e et 59e bataillons de chasseurs, avec le grade de lieutenant-colonel, quand, il est tué au combat, au bois des Caures, devant Verdun, le 22 février 1916 — à l’âge de 60 ans. Même si son dernier roman n’est pas, à proprement parler, un roman de guerre écrit durant le premier conflit mondial par un militaire de carrière, comme le seront ceux d’un Georges de Lys, par exemple, il a bien sa place dans une collection des « Œuvres de la Grande Guerre » car il en contient le thème principal, la guerre, et traduit l’esprit de l’époque, celle de l’Union sacrée face à l’invasion allemande. [Dédicace de 1912]Je dédie ce livre, conçu en Lorraine française, aux annexés qui, depuis quarante-deux ans, n’oublient, ni ne désespèrent ! Commandant Driant, député de Nancy. Château de Pixérécourt (Meurthe-et-Moselle), 1912. Note de l’auteurCe livre a été conçu en 1912, deux ans avant la Grande Guerre. Un congrès d’instituteurs, réuni à Chambéry, venait de formuler des déclarations antimilitaristes et antipatriotiques qu’il est inutile de rappeler ici, mais qui m’étaient apparues comme la pire des, menaces pour la Défense nationale. Pour flétrir et combattre ces théories néfastes, à la veille de l’application de la loi de Trois Ans, théories qui d’ailleurs étaient loin d’être partagées par la majorité du corps enseignant, j’avais donné à un instituteur, au cours de la guerre imaginaire décrite ici, le rôle que je venais de lui voir jouer pendant la paix. J’en avais fait un congressiste de Chambéry, c’est-à-dire un mauvais soldat, un mauvais Français. Aujourd’hui, l’orage qui montait à l’horizon de l’Europe tonne furieusement au-dessus de nos têtes ; dès la première heure, tous les Français sans exception se sont serrés autour du Drapeau. L’Union sacrée a réuni tous les partis en un seul, celui des Patriotes prêts à tous les sacrifices ; elle a éteint les haines politiques, mis fin à la persécution religieuse et fait de la Patrie française, le bloc formidable et admirable de tous les dévouements. Dans ce mouvement magnifique, véritable révélation pour l’ennemi et pour la France, elle-même, les instituteurs se sont taillé, dès le premier jour, une belle et large place. A la clarté fulgurante des événements, ils se sont ressaisis : ils ont compris que, pour effacer le souvenir d’un passé trop récent, ils devaient prêcher d’exemple et la liste de leurs morts, le Tableau d’honneur de leurs citations ont, depuis les premières batailles, fait oublier les déclarations de leurs congrès. J’en ai vu servir et mourir à mes côtés et, avant que cette guerre s’achève, je tiens à leur rendre loyalement le témoignage que je leur dois. J’ai donc refondu mon livre de 1912 et supprimé en 1915 le personnage odieux de l’intellectuel antipatriote, en même temps que, fidèle à l’Union sacrée, j’ai rayé de ma mémoire les douloureuses manifestations de certains instituteurs d’avant-guerre. Une France nouvelle est en train de se forger au feu de l’épreuve : puisse la Tolérance, fille de la Liberté, rapprocher, fondre en une seule toutes les âmes françaises ! Et puisse aussi le souvenir de la lutte en commun dans les tranchées, triompher de l’égoïsme d’en haut, éteindre les haines d’en bas, et inspirer désormais, dans une France régénérée, les éducateurs de nos enfants ! Lt-Colonel Driant, 72e Division Secteur Postal 157. Avertissement pour la lectureLe texte placé entre des crochets est celui de la version de 1915 ; le texte placé entre des accolades est celui de la version de 1912.
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