II-1

3004 Words
IIUn juge d’instruction est toujours un gros personnage, car c’est lui qui joue le premier rôle dans les affaires criminelles. Il tient entre ses mains le sort des accusés, et il jouit d’une indépendance absolue. Mais quand ce juge est un homme considérable par sa situation personnelle, il prend encore plus d’importance, et ses supérieurs hiérarchiques reconnaissent pleinement son autorité. C’était le cas de M. Hugues de Malverne, issu d’une vieille famille de robe, possesseur de quatre-vingt mille francs de rente, et mari d’une femme charmante dont le salon comptait parmi les mieux fréquentés de Paris. Bien posé dans le meilleur monde, ce magistrat modèle avait toutes les qualités nécessaires pour remplir les délicates fonctions qui lui étaient confiées : une impartialité absolue, un sang-froid à toute épreuve et une sagacité remarquable. Aussi le désignait-on de préférence pour instruire les affaires difficiles et délicates, comme celle des tours de Notre-Dame. Il en avait été saisi immédiatement, et le lendemain du crime, à midi, il était déjà au Palais, dans son cabinet, prêt à interroger l’homme arrêté et à entendre les témoins cités le matin même. En attendant qu’ils comparussent, il s’entretenait avec le commissaire de police qui venait de lui rendre compte des faits, et il ne paraissait pas très satisfait de ce compte rendu. – Il me semble, dit-il froidement, que vous n’auriez pas dit procéder ainsi. Il se peut que vous teniez le coupable, mais il se peut aussi que vous ayez commis une erreur en arrêtant cet homme. Rien ne prouve que ce soit lui, rien ne prouve même qu’il y a eu crime ; et nous sommes peut-être en présence d’un suicide. Il aurait fallu commencer par visiter les tours et les combles de Notre-Dame : vous vous seriez assuré que personne ne s’y était caché, car enfin d’autres que l’inculpé ont pu y monter. – La visite a été faite, monsieur le juge d’instruction, répondit le commissaire ; je l’ai dirigée moi-même, après avoir écroué l’homme, qui refusait de dire son nom. – C’était trop tard. Un autre a eu tout le temps de s’échapper. – Pardon, monsieur, j’avais laissé des agents au bas de l’escalier, et je puis affirmer que personne n’est sorti avant mon arrivée. La fille du gardien en déposera. J’ai inspecté minutieusement toute la partie supérieure de l’église… les tours, les galeries, les toitures, et je n’ai rien trouvé. – Et sur la plate-forme d’où cette femme est tombée, il n’y avait pas de traces d’une lutte ? – Aucune. Du reste, le coup a dû être fait par surprise. D’après le témoignage de ce peintre qui a vu de loin la scène, la femme accoudée sur la balustrade a été empoignée par les jambes, enlevée et basculée dans le vide, avant d’avoir pu se défendre. Tout ce que j’ai découvert de suspect, c’est une porte ouverte… une petite porte située sur une galerie étroite qui circule autour du toit de la nef. Il paraît que cette porte est toujours fermée, mais on ne s’explique pas comment un homme venant des tours aurait pu arriver jusque-là. Il aurait eu des abîmes à franchir. – Bon ! mais, en admettant qu’il l’ait fait, où ce chemin l’aurait-il conduit ? – À un escalier intérieur qui passe sous la charpente de la cathédrale et qui aboutit au pavé, derrière le chœur. – Donc, quelqu’un a pu fuir par là. – C’est tout à fait improbable. – Il suffit que ce soit possible pour que je doute de la culpabilité de votre prisonnier. Et, en somme, jusqu’à présent, il n’y a contre lui que des indices. – Des indices très graves, monsieur le juge d’instruction. Quand ce ne serait que le refus de dire son nom… – De le dire à vous. Il me le dira peut-être à moi. Et il peut avoir des raisons pour ne vouloir parler que devant le juge d’instruction. – Il a bien laissé entendre qu’il était avec sa maîtresse, qui est une femme mariée… On comprendrait encore qu’il refusât de la désigner, mais il aurait pu se nommer, lui, sans la compromettre. – Il est peut-être tellement lié avec le mari qu’en se nommant il attirerait les soupçons sur elle. Assurément, il n’est pas assez naïf pour croire que la justice ne viendra pas à découvrir qui il est… et il me l’apprendra, parce qu’il espère que, si son innocence est reconnue, je garderai le secret sur cette aventure. À la description que vous m’avez faite de sa personne, ce doit être un homme du monde. – Je le crois. Mais il a pris une singulière précaution, avant de sortir de chez lui, hier. On l’a fouillé lorsqu’il est entré au dépôt… c’est réglementaire… et l’on n’a trouvé sur lui ni portefeuille, ni cartes de visite, ni papiers d’aucune sorte… rien qu’une vingtaine de louis dans la poche de son gilet… on dirait qu’il avait prévu qu’on l’arrêterait ce jour-là, et qu’il s’était mis en mesure de garder l’incognito. – En effet, c’est assez bizarre… mais ce n’est pas concluant. Et la femme ne portait rien non plus ?… – Des bijoux d’une assez grande valeur, mais pas un sou et pas le moindre bout d’écrit. Elle est bien habillée, elle a du linge très fin, et sur le boîtier de sa montre il y a une initiale, surmontée d’une couronne de comtesse. Les mains sont blanches et les pieds très petits. Le visage est méconnaissable. – N’importe, vous la ferez exposer à la Morgue. – Elle l’est depuis ce matin. Et l’on dit qu’il y a déjà foule, mais je doute qu’on la reconnaisse. Elle est trop défigurée. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de procéder à l’autopsie. – C’est tout à fait inutile. Il ne s’agit pas ici de déterminer la cause de la mort. Quel âge paraît avoir cette femme ? – Trente ans… peut-être un peu plus. – Et l’homme arrêté ? – Trente-quatre ou trente-cinq ans. – Il y a des chances pour que ce ne soit pas le mari. – C’est l’amant, tout l’indique. – Mais il y a un mari, et ce mari s’apercevra de la disparition de sa femme… Il n’est pas impossible qu’il vienne à la Morgue, car il doit lire les journaux, et il y verra le récit de l’évènement. – Oui, s’il est à Paris. Mais je ne serais pas surpris que la femme fût étrangère. Sa toilette est riche, mais elle n’a pas le chic parisien, et l’initiale gravée sur sa montre est un X. – En effet, je ne vois guère en français que Xavier qui commence par un X, et Xavier est un nom d’homme. Avez-vous pris des renseignements sur les témoins que j’ai fait citer ? – Oui, monsieur le juge d’instruction. L’un est un interne à l’Hôtel-Dieu, très laborieux, très instruit, très estimé de ses chefs et très aimé de ses camarades ; l’autre est une espèce d’original, un noble breton, qui s’est fixé à Paris depuis quelques années. Il mène une vie très régulière, et il jouit dans son quartier d’une excellente réputation. – Ceux-là n’ont vu que le couple traversant le parvis. Mais le troisième, celui qui prétend avoir vu commettre le crime ? – C’est un peintre sans ouvrage, un pauvre diable qui habite un taudis, au cinquième étage d’une vieille maison de la rue de la Huchette. Mais il ne paraît pas qu’il se conduise mal… et je me suis assuré qu’il n’y a rien à son casier judiciaire. – Ce n’est pas assez pour que je croie sur parole à sa déposition, et, en résumé, toute l’accusation repose sur son témoignage ; car, s’il n’avait pas raconté une histoire qu’il a peut-être tirée de son imagination, tout le monde aurait cru au suicide. – C’est vrai, monsieur, mais il paraît de bonne foi… et d’ailleurs quel intérêt a-t-il à inventer ?… – Le désir de faire parler de lui ; et puis, il a pu se tromper… à la distance où il était placé. Enfin, je l’interrogerai, et je verrai bien si l’on peut avoir confiance dans ses affirmations. Mais je vais d’abord entendre l’inculpé, et je pense qu’après l’avoir entendu, je saurai ce qu’il y a au fond de cette affaire. Vous n’avez plus rien à me dire ? – Rien, monsieur, si ce n’est que le gardien des tours fait fort mal son métier. S’il n’eût pas été ivre, il n’aurait pas oublié de fermer la grille de l’escalier, et nous saurions qui est entré, qui est sorti ; si l’instruction n’aboutit pas, ce sera la faute de ce Verdière. – Vous ferez fort bien de signaler sa négligence et de demander sa révocation. J’entendrai aussi sa fille, après les autres témoins. Maintenant, monsieur, je ne vous retiens plus. J’ai fait demander l’inculpé au dépôt. Veuillez, en passant, dire au garde de Paris qui est de planton à la porte de mon cabinet de faire entrer cet homme dès qu’on l’amènera… et de le faire entrer seul… Le soldat chargé de le surveiller restera dans le couloir. Le commissaire s’inclina et sortit, laissant le juge en tête-à-tête avec son greffier, qui bâillait dans un coin, en taillant ses plumes. Ce greffier était un vieux bonhomme, blanchi sous le harnais, qui remplissait machinalement ses modestes fonctions, et qui se préoccupait fort peu des demandes et des réponses qu’il enregistrait. Cependant M. de Malverne crut devoir lui dire : – Vous n’écrirez qu’au moment où je vous ferai signe. Il n’est pas impossible que l’inculpé se justifie immédiatement, et dans ce cas-là il n’y aurait pas d’instruction. Tout se bornerait à un entretien dont il serait inutile de dresser un procès-verbal. – Très bien, monsieur, répondit le greffier, avec une parfaite indifférence. Si M. de Malverne donnait cet ordre, c’est qu’il était tout disposé à reconnaître l’innocence de l’homme arrêté. Il prévoyait que cet homme allait enfin se nommer, s’expliquer, et que l’accusation, mal échafaudée, tomberait d’elle-même. Dans ce cas, à quoi bon consigner par écrit des réponses qui compromettraient une femme mariée ? Il suffirait de s’assurer que cette femme était encore vivante, et que, par conséquent, son amant n’avait sur la conscience d’autre crime que celui de tromper un mari. Il n’y aurait même pas besoin de rendre une ordonnance de non-lieu pour remettre en liberté un galant homme victime d’une méprise. Si, au contraire, l’inculpé persistait à refuser toute explication, ce serait le moment de procéder à un interrogatoire en règle. La lutte s’engagerait, et le juge comptait bien avoir le dessus. À tout évènement, il prit son air de magistrat, un certain air qu’il s’empressait de quitter en sortant du Palais, et qu’on ne lui voyait jamais dans son salon. Il était sous les armes lorsque la porte s’ouvrit. Un monsieur entra seul et s’avança lentement jusqu’à la table derrière laquelle siégeait M. de Malverne, qui s’écria : – Comment, c’est toi, mon vieux Jacques ! quelle mouche te pique de venir me relancer au Palais, à l’heure où je vais interroger un accusé ? Bon ! j’y suis !… tu viens t’excuser de n’avoir pas dîné avec nous hier… Nous t’avons attendu jusqu’à huit heures… ma femme était furieuse contre toi, et je crois bien qu’elle t’en veut encore. Le monsieur que le juge d’instruction venait d’appeler familièrement par son petit nom recula de surprise en reconnaissant M. de Malverne, et ne put que balbutier : – Comment ! c’est toi qui… – Eh ! parbleu, oui, c’est moi… est-ce que tu t’attendais à trouver ma femme dans mon cabinet ? demanda le magistrat, en riant au nez de son ami. Et comme l’autre restait plongé dans une stupéfaction qui lui ôtait l’usage de la parole : – Voyons ! explique-toi. Tu n’es pas venu ici sans motif, et je devine, à ton air, qu’il s’agit d’une chose grave. Je suis prêt à t’entendre, quoique je sois fort occupé en ce moment… je m’étonne même qu’on t’ait laissé entrer ; mais tu as bien fait de forcer la consigne ; l’amitié passe avant les affaires criminelles. Parle donc, mon cher ! À quoi puis-je t’être bon ? Et comme l’ami persistait à se taire : – Je devine… tu comptais me trouver seul… qu’à cela ne tienne !… Laissez-nous, Pilois, dit M. de Malverne ; en s’adressant à son greffier. Je vous ferai appeler quand j’aurai besoin de vous… Ne vous éloignez pas. Le bonhomme s’empressa de sortir, et le juge reprit : – Maintenant, nous sommes seuls. Tu peux me faire, sans inconvénient, les confidences les plus délicates. Et, d’abord, apprends-moi d’où te vient cet air consterné. Que t’est-il arrivé ? – Il est impossible que tu l’ignores, répondit Jacques avec effort. – Et comment, diable ! le saurais-je ? J’ai beaucoup pesté contre toi, hier soir, en ne te voyant pas. Odette a prétendu que tu devais t’être à tout le moins cassé la jambe, car tu es habituellement d’une exactitude exemplaire. Nous attendions un mot d’excuses ce matin, et rien n’est venu ; mais j’ai eu le temps d’oublier cette histoire, et il m’est tombé sur les bras une instruction inattendue. J’ai dû déjeuner au galop et accourir au Palais. Il s’agit d’une affaire très curieuse qui peut devenir très grave. J’attends un monsieur inculpé d’assassinat. Je viens de l’envoyer chercher au Dépôt. La porte s’ouvre, je croyais qu’il allait paraître… et, pas du tout… c’est toi qui entres ! Tu conviendras que j’ai le droit de m’étonner… et de te demander le mot de cette énigme. – L’homme que tu attends… l’homme qu’on a arrêté hier… c’est moi. M. de Malverne changea de visage et dit en regardant fixement son ami : – Est-ce que tu te moques de moi, ou bien est-ce que tu deviens fou ? – Ni l’un ni l’autre. Si tu ne me crois pas, fais appeler le garde de Paris qui est venu me prendre au Dépôt et qui m’a amené ici, les menottes aux mains. – Alors tu as passé la nuit en prison ? Comment n’as-tu pas eu l’idée de te réclamer de moi ? – Elle m’est venue, mais je l’ai rejetée. Je ne doutais pas d’être relâché aujourd’hui, après l’interrogatoire en juge d’instruction, et je préférais te cacher cette sotte aventure… Je ne supposais pas que le juge d’instruction, ce serait toi. – Fort heureusement, car tu pourras tout me confier, à moi, ton ancien camarade et ton meilleur ami, tandis qu’il t’en aurait coûté de dire toute la vérité à un de mes collègues. Je t’approuve, du reste, de ne pas l’avoir dite au commissaire. Dans des cas comme le tien, on ne saurait être trop réservé, puisque l’honneur d’une femme est en jeu… – Tu connais donc déjà les faits ? – Par le menu ; le commissaire vient de me faire son rapport ; je sais que tu as refusé de lui répondre et même de lui dire ton nom. Je n’ai eu aucune peine à deviner pourquoi, même avant de savoir qu’il s’agissait de toi. Maintenant, je suis fixé. La personne qui était avec toi est mariée, et tu as songé avant tout à sauver sa réputation. J’aurais agi comme tu l’as fait, si je m’étais trouvé en pareil cas. Mais ta générosité aurait pu te coûter cher. Se laisser accuser d’assassinat plutôt que de compromettre une femme, c’est héroïque. – Ah çà ! tu as donc une liaison sérieuse ? – Trop sérieuse, tu le vois. – Eh bien ! je ne m’en doutais pas. Je croyais que tu te contentais d’amourettes de passage, comme au temps où nous étions jeunes… Je faisais mon droit, et tu venais de sortir de l’École militaire pour tenir garnison à Paris. Nous avons changé tous les deux… Je me suis marié, et toi tu trompes les maris. Chacun son goût. J’aime ma femme, et ça ne m’irait pas du tout d’être obligé de me cacher pour voir une maîtresse. L’adultère est puni par le Code pénal, mon cher ; on risque quelquefois deux ans de prison, et tu viens de risquer bien pis… la mort ou les travaux forcés… Il est vrai que tu as joué de malheur… Grimper sur les tours de Notre-Dame pour y chanter un duo d’amour, et y arriver juste au moment où l’on en précipite une malheureuse… c’est le comble de la guigne. – Alors, tu ne m’accuses pas de l’avoir assassinée ? – Non, certes. Je te connais trop bien pour admettre que tu as commis un crime quelconque. Il n’est plus question maintenant d’interrogatoire, et je me félicite d’avoir renvoyé mon greffier. Nous allons causer comme deux vieux amis. Assieds-toi donc. Je ne l’offre pas de cigare parce que ce n’est pas l’usage de fumer ici. Je ne vois pas trop ce qu’y perdrait la dignité de la magistrature, mais enfin, c’est comme ça. Le ton de M. de Malverne était bien fait pour rassurer l’ami Jacques, et cependant Jacques restait soucieux et préoccupé. Évidemment, il comprenait que le juge, si favorablement disposé qu’il fût, n’allait pas s’en tenir à ces discours affectueux, et il prévoyait des questions embarrassantes. – Voyons, reprit M. de Malverne, il faut que tu me renseignes sur cette stupide affaire, avant que je te renvoie chez toi. Tu ne seras pas fâché d’y rentrer, après une nuit passée dans une cellule du Dépôt. – Dis donc vingt heures qui m’ont semblé fort longues. – Enfin, du moins, ton nom ne figure pas sur le registre d’écrou, et personne ne saura jamais que Jacques de Saint-Briac, capitaine de cavalerie démissionnaire, a couché au Dépôt de la Préfecture, comme un simple joueur de bonneteau. – Alors tu ne le diras pas à ce commissaire de police qui m’a arrêté ? – Certainement non. Il est sous mes ordres, et je n’ai pas de comptes à lui rendre. D’ailleurs, je suis seul responsable des décisions que je prends. J’ai le droit de jeter au feu le procès-verbal et de te dire : Allez en paix. J’ai même le droit de t’inviter à dîner pour ce soir. – Je n’irais pas, dit vivement Jacques de Saint-Briac. – Pourquoi donc ? Odette sera ravie d’entendre de ta bouche le récit de tes malheurs, et, à moins que tu ne sois engagé ailleurs… Maintenant, explique-moi comment les gens qui t’ont signalé aux agents ont pu te prendre pour un autre, car il y a un coupable, ce n’est pas douteux. – Sur mon honneur, je n’y comprends rien. J’ai été arrêté dans l’escalier de la tour ; on m’a conduit à l’Hôtel-Dieu, et l’on m’a mis en présence du cadavre défiguré d’une femme que je ne connais pas. On m’a dit alors qu’on m’accusait de l’avoir précipitée de là-haut. Que voulais-tu que je répondisse ? Je n’avais pas vu la chute, et je ne voulais pas dire avec qui j’étais monté… – Naturellement. Mais avoue que tu as eu là une idée bizarre de mener ta compagne sur les tours de Notre-Dame. – C’est elle qui l’a voulu. Nous nous étions donné rendez-vous à l’entrée du parvis. – Oui, vous choisissez de préférence des quartiers où vous ne risquez pas d’être rencontrés par des gens de votre monde… car c’est une femme du monde, n’est-ce pas ? – Du meilleur… et elle a tant de ménagements à garder qu’elle tremble sans cesse d’être reconnue quand nous sortons ensemble. – Est-ce que vous n’en êtes encore qu’aux promenades sentimentales ? – À peu près. Elle n’est jamais venue chez moi, et elle est rarement libre. Hier, nous devions aller du parvis au Jardin des Plantes, par les quais déserts. Puis elle a pensé que nous serions encore plus isolés sur les tours… À ce moment-là, on n’y voyait personne… – Peste ! c’est une fantaisiste, ta maîtresse. Et quand tu la reverras, je te conseille d’insister sur le terrible danger que tu as couru par sa faute. Si tu étais tombé sur un autre juge que moi, je ne sais pas trop comment tu te serais tiré de là. Continue ton récit de voyage. Vous êtes montés, et vous n’avez pas rencontré le gardien dans l’escalier ? – Nous n’avons vu qu’une jeune fille qui ne nous a rien dit. Il y avait bien une grille, mais elle était ouverte. Nous sommes arrivés sans autre incident sur la galerie qui domine la rosace du portail. – Et vous vous êtes arrêtés là. Elle était fatiguée. – Ce n’est pas cela. En levant les yeux, j’ai aperçu deux têtes qui dépassaient la balustrade sur le faîte de la tour. – Un homme et une femme ? – Je crois que oui, mais je n’en pourrais pas jurer. Les deux têtes n’ont fait que paraître et disparaître. – Ils vous avaient aperçus, et l’homme avait ses raisons pour se cacher. – C’est probable… J’ai pensé depuis que l’assassin, c’était lui… mais je n’ai songé alors qu’à l’impossibilité de monter plus haut sans nous trouver face à face avec ces gens-là. – Il faut que vous soyez tous les deux de fiers étourneaux pour ne pas avoir prévu, ce contretemps. Vingt personnes par jour montent sur Notre-Dame… surtout quand il fait beau… et hier le temps était superbe. Alors, vous êtes restés sur la galerie ? Ou plutôt, tu es resté, car la dame est partie seule… Pourquoi n’êtes-vous pas descendus en même temps ?
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