Chapitre 1

698 Words
Chapitre 1 L’homme de la vie de ma maman, il a eu une drôle d’idée ce matin. Au début, il a beaucoup crié pour que ma maman fasse comme il voulait. Il crie souvent. C’est sa manière de parler. Quand il crie, c’est rigolo… enfin pas trop, mais on dirait la tête et la voix d’un oiseau de nuit. Une chouette ou un truc comme ça. Non, pas une chouette. Les chouettes, elles ont un visage tout rond quand elles gonflent leurs plumes. Une effraie peut-être. Je sais pas. J’en ai jamais vu d’effraies en vrai. Il a dit à ma maman : « C’est le bordel dans cette maison ! On se marche dessus ! Entre la vieille qui a la maladie de sa mère et ton fils qui fait exprès du boucan quand je suis là, c’est devenu in-gé-rable ! Comment veux-tu que je fasse les comptes si je n’ai même pas d’endroit à moi ! » C’est pas vrai. Je fais même pas du boucan quand il est à la maison. J’ai trop les trouilles ! Ma maman, elle a encore beaucoup pleuré en se massant les mains. J’aime pas quand ma maman pleure. Mais elle a un puits de larmes méga-géant dans la tête. C’est comme ça. « Il faut que je réfléchisse à ton idée… » qu’elle a répondu. « Peut-être, si on arrive à rendre cet endroit accueillant, je ne dis pas non… Mais il faudra l’assainir. Et le soupirail donne si peu de lumière… » « Donc, c’est d’accord », qu’il a dit aussitôt. « Va me chercher une bière au frigo. J’ai besoin de me détendre un peu. Et puis, va aussi prévenir ta grand-mère et ton rejeton qu’ils emménagent aujourd’hui même dans la cave. Il faut battre le fer quand il est chaud ! Non, il n’y a pas de mais qui tienne ! T’as vu comment tu es ? On décide ensemble d’une chose et, après ça, c’est chichis et compagnie ! Je te préviens ! Soit ils descendent à la cave et je récupère la chambre pour faire un bureau, soit c’est moi qui fous le camp ! » Moi j’ai tout vu par le trou de la serrure de notre chambre, à mémé et à moi. Ma maman s’est accrochée à la chemise de l’homme de sa vie. Sa figure était blanche comme la fleur de sel. Alors, elle l’a supplié avec des grelots dans la voix. « Non ! Tu ne peux pas me faire ça ! Qu’est-ce que je deviendrais sans toi ? Tu es l’homme de ma vie ! Je n’ai que toi au monde ! Reste ! On fera comme tu voudras, mais ne m’abandonne pas ! » Et puis après, elle lui a fait des petits bisous partout, même sur les bras, même sur les jambes ! Lui, il restait tout droit devant elle, comme un os mort. En même temps, il se regardait dans la glace. Moi, j’adore quand ma maman me fait des bisous partout, quand on joue à l’abeille qui butine… Mais elle le fait pas trop souvent, enfin, jamais quand il est à la maison. Après, j’ai plus rien vu parce que mémé m’a tiré du trou de la serrure. Elle voulait que je la coiffe. Mémé est comme ça. Des fois, elle parle beaucoup. Elle pose plein de questions. Des fois, elle veut quelque chose tout de suite. Mais le plus souvent, elle reste assise sur la chaise ou sur le bord de son lit et elle dit rien du tout. Je la connais pas encore très bien, mémé, mais je commence à m’habituer. Ça fait pas longtemps qu’on habite dans sa maison. On est venus ici pour la soigner. Et puis, l’homme de sa vie a dit à ma maman que c’était l’occasion ou jamais de quitter cet immeuble de merde dans cette ville de merde où il ne trouvait pas de travail à sa valeur. Moi, j’aimais bien ma vie d’avant parce que j’avais plein de copains ! Et puis, j’allais à l’école… Maintenant c’est plus pareil. Mon seul copain, c’est mémé. Et il paraît qu’on n’est pas obligé d’aller à l’école avant l’âge de sept ans. C’est lui qu’a dit ça à ma maman. Au début, elle voulait m’inscrire mais il a refusé. « Laisse-le vivre sa jeunesse à ce gosse ! » qu’il lui a expliqué. « Il a tout le temps devant lui avant qu’on ne l’assomme avec ces conneries. Regarde-moi ! Tu crois que je suis allé à l’école si tôt ? Eh non, ma chère ! Ça ne m’a pas empêché de devenir ce que je suis et j’en suis fier ! Je ne dois de comptes à personne, sinon à la force de mes poignets. Il fera comme moi, ton môme ! » Moi, plus tard, quand je serai grand, j’aimerais bien être pâtissier-cascadeur, et puis aussi l’homme de sa vie de ma maman…
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