I
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Je suis une poupée moderne, qui se fait gloire d’être née à la fin de ce superbe dix-neuvième siècle, que l’on peut appeler le siècle des merveilles, et aussi celui des triomphes de la mécanique. Évidemment c’est aux progrès de la science mécanique que je dois la souplesse de mes membres, ma parole incertaine, mes mouvements pleins d’une grâce inconnue de mes devancières.
Ce que j’ai entendu dire de mal des poupées qui m’ont précédée dans la vie est inouï. Et je crois bien qu’il y a quelque vérité là-dedans, sans cela, nous autres poupées, nous serions plutôt tombées dans le travers commun aux hommes, qui, généralement, trouvent tout admirable dans le passé, les choses et les gens, et qui ne s’accordent guère que pour gémir sur les inconvénients du présent. Or, il est avéré que les poupées modernes sont des merveilles de mécanisme, de beauté, d’intelligence et de grâce auprès de toutes les poupées des siècles précédents.
J’ai bien entendu quelques esprits chagrins, il y en a même chez les poupées, contester cette vérité ; mais ces opinions individuelles ne sauraient entrer en ligne de compte avec les témoignages sérieux.
Quant à moi, je ne saurais me plaindre d’un siècle qui a vu une poupée penser, aimer, souffrir. Car, ces dons étranges et magnifiques, je les ai reçus. Qui me les a octroyés ? Je serais fort embarrassée de le dire. J’ai beau me creuser la cervelle pour essayer de deviner comment, les fées n’existant plus, un personnage de ma sorte a pu être jeté parmi les stupides personnages en carton peint qui emplissent les magasins des marchands de jouets ; l’énigme reste indéchiffrable. Mais je puis et je dois, au commencement de ces pages, raconter comment il me vint à moi, poupée, cette lueur d’intelligence que je n’ai jamais vue briller parmi mes semblables qui sont réputées fort sottes et qui n’ont pas volé leur réputation.
Je sais bien que l’on a toujours accordé de l’esprit à Polichinelle, ce malin bossu, qui est, hélas ! de notre race ; mais il en fait parfois un si déplorable usage, qu’une poupée un peu comme il faut le tient volontiers pour un étranger.
Donc, nous étions arrivées plusieurs chez Giroux, la semaine précédant les fêtes de Noël. Tout le monde connaît, au moins de réputation, les magasins de Giroux. Ils sont situés en plein boulevard, là où la foule est toujours compacte, là où les maisons sont des palais et servent à loger des industries de grand luxe. Paris entier défile là sous nos yeux, c’est un va-et-vient étourdissant de piétons et de voitures. Les petits de ce monde n’y paraissent guère, ou, du moins, ils s’arrangent à se montrer élégants. La marchande de journaux est coiffée savamment, la débitante de tabac est étincelante de bijoux, les femmes de théâtre y posent en reines, et ce monde est plein d’insolence, d’une insolence particulière. Ah ! il y aurait de singulières réflexions à faire sur cette foule affairée et si brillante à la surface.
Toutes ces réflexions, un peu oiseuses peut-être, je ne les fis qu’après coup. Chez le fabricant, je n’étais probablement qu’un composé inerte de carton et de peinture. Là on me façonna le joli visage et la taille parfaite qui furent la cause de tant de succès et aussi de tant de douleurs.
Il n’en est pas de même de mes dons particuliers ; j’ai toujours présent à la mémoire le moment précis où je m’éveillai à la vie intelligente.
Une nuit, c’est toujours la nuit que se font les métamorphoses, je me trouvai, je ne sais comment, sous un vitrage sur lequel frappa soudain la lumière de la lune. Un large rayon le traversa et m’enveloppa tout entière. Quand ce rayon m’éclaira le front, ô merveille ! je me sentis penser.
Quel moment ! quelle solennelle impression ! Mes yeux voyaient, mes oreilles entendaient, mon cerveau s’échauffait et se remplissait d’idées. Malheureusement, en ce même instant, par l’action du même rayon, quelque chose tressaillit au côté gauche de ma poitrine. Non seulement l’intelligence m’était donnée, mais encore le sentiment. Hélas ! j’avais un cœur qui battait.
Effrayée en même temps qu’étonnée, ne sachant comment m’expliquer ces étranges phénomènes, je me tournai vers une belle poupée costumée en Alsacienne placée à ma gauche.
« Madame, lui dis-je, répondez-moi, de grâce, vous sentez-vous penser ? »
L’Alsacienne demeura muette, parfaitement muette et immobile.
« Elle dort peut-être ? » pensai-je.
Et, me tournant vers un gros poupard dont les yeux bleus grands ouverts étincelaient dans l’ombre :
Ô merveille ! je me sentis penser.
« Mon enfant, lui dis-je, vous, du moins, vous ne dormez pas. Voulez-vous causer un peu avec moi ? »
Le gros poupard ne fit pas un mouvement et continua de me regarder avec ses yeux énormes.
Dans ma détresse, je me redressai, et avisant Polichinelle qui, sous le rayon de lune, avait un petit air rêveur assez comique :
« Polichinelle, lui dis-je, les poupées ne vous tiennent pas en grande estime ; mais j’ai trop de jugement pour embrasser à l’aveugle les idées des autres. Je vous parle donc en amie, et vous supplie de me tirer d’embarras. Dites-moi, m’entendez-vous parler ? me voyez-vous ? »
Et comme il ne répondit pas, j’ajoutai :
« Je suis la poupée blonde en robe loutre garnie de galon vieil or, placée entre la grande Alsacienne endormie et le gros poupard qui dort les yeux ouverts. Un mot, je vous en prie, un seul mot, que je sache bien que je ne suis pas seule de mon espèce. Faites un signe, même un simple signe, cher Polichinelle, et je me tiendrai pour satisfaite. »
Il me sembla voir s’agiter le superbe claque de Polichinelle ; son menton en galoche eut un mouvement, mais nulle voix ne se fit entendre.
« Ils sont tous sourds ou idiots, pensai-je ; me voilà bien entourée, en vérité. Faisons comme eux, dormons, nous verrons ce qui arrivera demain au réveil. »
Pour me mettre à mon aise je poussai le poupard, qui roula comme une masse sur le plancher, ce dont je ne m’inquiétai guère, et j’étalai ma robe loutre jusque sur les épaules de l’Alsacienne, qui ne réclama pas.
J’étais bien éveillée à la vie humaine ; ces petits actes d’égoïsme en étaient peut-être la meilleure preuve.
Je ne repris possession de moi-même que le lendemain matin assez tard.
Une main peu légère passait un plumeau sur notre rayon, et, bien qu’insensible en apparence comme les autres, je sentis le froissement de cette main qui me poussait contre mes compagnes. Celles-ci étaient dans la position où je les avais laissées la veille. Pour moi, je me retrouvais vivante par cette étrange puissance qui meublait mon cerveau de pensées et même de souvenirs. Comme je me rappelais parfaitement l’incident de la nuit, je compris le charme profond attaché à la mémoire, cette faculté non moins étonnante que les autres, dont les hommes se servent sans songer à l’admirer.
Il faut croire que rien ne transpirait au dehors du phénomène intérieur qui s’était produit en moi, car personne ne m’honora ce jour-là d’une attention particulière. Je fus époussetée, étiquetée, puis placée, comme mes compagnes, sur le rayon des poupées de luxe, tout près de l’Alsacienne et du gros poupard, qu’une petite fille très distinguée et d’un cœur très sensible acheta sous mes yeux.
Malgré ses dix ans, elle nous regardait toutes le plus tendrement du monde, et une jeune pimbêche qui l’accompagnait disait bien haut qu’il était étrange qu’elle aimât tant les poupées à son âge.
« Je ne vois pas pourquoi elle ne les aimerait pas, dit la maman, qui était une belle dame, très gracieuse ; vous ne jouez donc plus à la poupée, Hélène ?
– Madame, j’ai douze ans, répondit Hélène, en se mirant dans le tout petit cadre ovale d’une toilette qui faisait partie d’un mobilier de poupée.
– Eh bien, mon enfant, à douze ans, on peut encore s’amuser avec une poupée, et surtout travailler pour elle. Je suis sûre que vous ne cousez jamais.
– Oh ! jamais, répondit Hélène avec une moue dédaigneuse qui lui donnait une vague ressemblance avec le Polichinelle d’en face. D’abord cela grossit les doigts, et puis je n’en ai pas le temps.
– Et que faites-vous donc quand vous restez à tenir compagnie à votre pauvre grand-mère paralysée ?
– J’étudie le piano, madame, ou je lis.
– Mais ce n’est pas ce qui s’appelle tenir compagnie à quelqu’un, mon enfant. Le piano peut être fatigant pour votre grand-mère, et, quand vous lisez, la lecture vous absorbe, sans doute ?
– Cela m’amuse, répondit la pimbêche.
– Peut-être ; mais cela amuse-t-il votre grand-mère ? C’est une autre question. À moins, toutefois, que vous ne lui fassiez la lecture tout haut.
– Non, madame, lire haut me fait mal à la gorge, et cela nuirait à ma voix.
– Évidemment. Eh bien, Simonne est bien plus gentille pour son grand-père. Quand elle est appelée à lui tenir compagnie, elle prend son nécessaire à ouvrage, et je vous assure que la conversation ne languit pas entre eux, pendant qu’elle coud pour sa poupée.
– Simonne, que tu es enfant ! dit la jeune sotte en soulevant la belle chevelure ondée de sa petite amie.
– Pas si enfant, répondit la maman. Simonne, qui sait coudre pour sa poupée, sait coudre aussi pour les pauvres. Et c’est justement parce qu’elle a fait une robe à une pauvre petite fille dont son grand-père secourt la famille, qu’il lui donne aujourd’hui une poupée nouvelle. Allons, ma fille, fais ton choix. Voilà de bien belles poupées. En voici une qui est fort gracieuse, d’une physionomie toute vivante et habillée avec beaucoup de goût, ce qui devient rare, même pour les poupées. Que dis-tu de celle-ci ? »
Et elle me saisit par la taille. Si mes yeux d’émail avaient pu rencontrer les yeux bleus de Simonne, je l’aurais conjurée de me choisir ; mais toute l’éloquence de mon regard ne parvint pas à vaincre son indifférence ; elle me regarda à peine, hocha la tête et répondit :
« Je n’aime pas ces belles dames de poupées, maman, j’aime mieux ce gros bébé que voilà. »
Elle alla prendre le poupard aux yeux bêtes, et il me fallut entendre les mille tendresses qu’elle se mit à lui prodiguer.
Le marché fait, elles s’en allèrent, me laissant fort dépitée. Le premier battement de mon cœur avait été, je puis le dire, pour la jolie enfant aux cheveux ondés qui cousait pour les pauvres et pour ses poupées, tout en tenant compagnie à son grand-père.
On pourrait s’étonner de me voir comprendre aussi parfaitement la première accusation qui eût frappé mes oreilles ; mais, dans le merveilleux, il faut s’attendre à tout. Ce n’était pas une intelligence neuve, inculte, une intelligence de bébé qui m’avait été donnée ; c’était une bonne et belle intelligence, tout d’une pièce, qui, née dans un rayon de lune, se dégourdissait singulièrement dans le rayon de soleil qui m’arrivait en plein midi. Une véritable tempête d’idées grondait dans ma pauvre petite tête de carton, à la faire éclater. J’avais d’autant plus de regret de n’avoir pas été choisie par la petite Simonne que je devinais de quel ennui je souffrirais si je restais longtemps avec mes pareilles qui, franchement, n’étaient pas les plus amusantes gens du monde.
Dans l’après-midi, les visiteurs vinrent en foule dans les magasins, et cela me fut, je l’avoue, une grande distraction.
Plusieurs personnes firent sur moi les remarques les plus flatteuses ; mais les uns me trouvaient d’un prix trop élevé, les autres critiquaient mon élégance. Ce fut le petit nombre, je l’avoue, et cette critique ne me causait aucune irritation.
Elle flattait même, je dois le dire, ma vanité. Du moment que je comptais parmi les poupées grandes personnes, j’étais bien aise d’avoir été classée de par l’émail de mes yeux et de mes dents, ma robe loutre, ma superbe chevelure et l’ingénieux mécanisme de mes membres, dans la phalange aristocratique.
Elle n’était pas nombreuse. Nous étions au plus une demi-douzaine qui étions parfaitement distinguées de physionomie et de toilette. Sur le rayon d’en face il y avait bien des poupées à toilette tapageuse et à physionomie hardie, qui se seraient crues volontiers de notre société. Mais non, mais non, il n’y avait pas à s’y méprendre. C’était nous qui formions l’aristocratie, la vraie ; nos modes et nos coiffures n’étaient pas celles de ces personnes éventées que beaucoup de mères sensées refusaient de donner à leur fille.
Pour moi, j’aurais préféré le voisinage des honnêtes paysannes que j’apercevais dans un rayon à droite, que celui de ces dames en coiffure à la chien.
Au moment où je disais adieu à un changement de situation, pour ce jour-là, du moins, je vis arriver du fond du magasin un vieux monsieur bossu comme mon voisin Polichinelle, ayant, comme lui, un nez recourbé, un menton qui voisinait avec le nez, mais non point la physionomie moqueuse ni méchante.
Il arpentait les salons les mains derrière le dos, regardant tous les jouets, et disant à la demoiselle de magasin qui l’accompagnait :
« Le prix m’importe peu, je veux quelque chose de très joli, quelque chose de charmant. »
Non loin de moi il admira longtemps un joli petit hussard, à la fine moustache brune, à l’air martial ; il dit que l’uniforme était très exactement reproduit, il tira le petit sabre du fourreau, et sa vieille figure prenait je ne sais quel reflet guerrier.
« Monsieur prend-il le hussard ? demanda la demoiselle.
– Je le voudrais bien, mais… mais, – il le remit à sa place, – mais c’est à une petite fille que je veux faire un cadeau. »
La demoiselle, se tournant de mon côté, dit :
« Voici précisément le rayon des poupées, de nos poupées les plus distinguées. »
Le vieux monsieur sourit, et se mit à nous passer lentement en revue. Malgré sa bosse et sa laideur, je le trouvais fort sympathique, et je ne détournai pas la tête comme je le faisais malicieusement quand il prenait fantaisie à certaines personnes, qui me déplaisaient, de m’honorer de leur attention.
Mais lui aussi contemplait les poupons et les paysannes, et il allait entrer en marché pour une lourdaude de Suissesse, dont je n’aurais pas donné cinq francs, quand une voix aigrelette, mais agréable, s’écria :
« Mon Dieu, mon cher monsieur, depuis quand vous égarez-vous dans le royaume des poupées ? »
Il se détourna vivement et salua profondément l’arrivante, une petite dame âgée, très âgée et encore jolie, très jolie avec ses cheveux de neige appliqués en frisure légère autour de son front, avec sa bouche souriante, avec sa tournure leste, ses toutes petites mains et ses tout petits pieds.
« Madame la marquise, je fais tous les ans ma visite chez Giroux, répondit-il un peu confus.
– Cependant, voyons… un savant, un célibataire, un homme terrible qui fait tout passer par ses éprouvettes, un homme qui…
– Qui aime à donner des étrennes, madame la marquise.
– Mais à qui ? à qui ?
– Eh ! vous ne le devinez pas ?
– J’y suis, c’est à cette petite friponne de Simonne de Gardeval. »
Le vieux monsieur sourit et s’inclina.
« Comment, votre passion va jusque-là ?
– Hélas ! oui, madame la marquise.
– Elle vous fait tout de bon perdre la tête.
– Elle me fait faire des choses inouïes.
– On me l’avait bien dit. “Ne vous fiez pas à ces écorces rugueuses de vieux savants, m’a confié un jour un mien ami, ils ont des abîmes de tendresse dans le cœur. Voyez M. Lancrette. Il n’a ni enfants, ni petits-enfants, ni chien, ni chat, ni perruche ; mais voilà qu’il lui pousse une affection immense pour la petite de Gardeval. Ce chimiste trouve le temps d’aller acheter des sucreries qui, je vous en réponds, ne sont pas teintes en vert. ” Voyons, c’est donc bien vrai, que Simonne vous a tout à fait pris le cœur ?
– C’est bien vrai, madame. Je n’aimais pas les enfants ; cela ne convient pas, en effet, à un homme qui s’est adonné à la science, et, d’ailleurs, j’aurai le courage de le dire, je les ai toujours effarouchés par ma laideur. Je crois que je ne les ai bien connus que par leurs terribles naïvetés ; mais je vous avoue que la petite-fille de mon ami de Gardeval a conquis mon affection. Je le trouve le plus heureux des hommes d’avoir cette perle d’enfant. Toute petite, elle avait pour son vieux savant d’exquises délicatesses. Je n’ai pas à vous apprendre que le nom de Polichinelle est une des plus anciennes injures dont les enfants m’ont gratifié. La Fontaine l’a dit : “Cet âge est sans pitié. ” Jamais un Polichinelle n’a paru chez mon ami de Gardeval sans que Simonne l’ait fait immédiatement disparaître. Vous savez aussi que j’ai l’effroyable habitude de priser et d’éternuer beaucoup, et comme je m’en excusais près d’elle, elle me répondit gentiment :
Mais cela me fait grand plaisir, de vous dire : “Dieu vous bénisse. ”
– Cela, c’est héroïque, monsieur.
– N’est-ce pas. Aussi que de lâchetés je commets tous les jours en son honneur. Que de berceaux arrangés par mes mains si maladroites pour y installer des poupards ! Que de ruses employées pour avoir la mesure exacte de son petit doigt, afin qu’elle trouvât, tout à fait à son insu, un dé d’or dans son nécessaire. Un jour ou l’autre je lui commencerai, c’est sûr, un cours de chimie.
– Et, en attendant, vous lui achetez une poupée ?
– Oui ; mais mon embarras est grand, elle les aime, elle en a plusieurs, c’est une armée.
– Les poupées s’usent comme le reste, monsieur, et l’enfant n’est pas plus sage que l’homme en fait de convoitise, il ne dit pas non plus : “C’est assez. ”
– Alors vous croyez qu’une poupée lui fera plaisir ?
– Certainement, puisqu’elle aime les poupées.
– En ce cas, daignez me conseiller, madame la marquise.
– À quel genre vous arrêtez-vous ?
– Le genre m’importe peu, je veux quelque chose de charmant. C’est mon premier cadeau un peu considérable de ce genre, et le dernier sans doute, car voilà qu’elle touche à ses douze ans, et que le goût des poupées va s’éteindre. Jadis je m’en tenais au bébé, ou au classique bâton de sucre de pomme.
– Oui, mais c’était un bâton de maréchal, on me l’a montré, il était gigantesque.
– Oui, oui, et rien n’était plus commode à choisir. Aujourd’hui, mon embarras est d’une autre nature. Laquelle de ces poupées choisiriez-vous pour votre petite-fille, madame la marquise ? »
Le doigt ganté de la vieille dame me toucha la main gauche.
« Cette jolie personne qui a la bouche en cœur, dit-elle, est une œuvre d’art. Il n’y en a point de mieux réussie.
– Donnez, donnez, dit précipitamment le vieux monsieur à la demoiselle de magasin, atteignez cette Bouche-en-Cœur, mademoiselle, elle est véritablement charmante. »
Des mains de la demoiselle je passai dans celles de M. Lancrette, qui me prit très gauchement par un bras.
« Pas comme cela, dit la marquise, vous allez chiffonner sa toilette. Relevez d’abord la queue de sa robe, appuyez-lui la tête, ou plutôt faites-la mettre dans un carton. Avez-vous demandé si elle a un trousseau complet ?
– Non, dit-il ; mais je suppose qu’à ce prix rien ne lui manque.
– Voici, madame, » dit la vendeuse en atteignant deux grandes boîtes de carton.
Elle s’empressa d’ouvrir celle qui était fermée.
« Oh ! parfait, dit la marquise, des peignoirs roses, du linge garni de dentelles, Bouche-en-Cœur est de la dernière élégance. Je vous engage à… »