CHAPITRE III - Le testament-1

2001 Words
CHAPITRE III Le testament François Germain demeurait boulevard Saint-Denis, n° 11. Nous rappellerons au lecteur, qui l’a sans doute oublié, que madame Mathieu, la courtière en diamants dont nous avons parlé à propos de Morel le lapidaire, logeait dans la même maison que Germain. Pendant le long trajet de la rue du Temple à la rue Saint-Honoré, où demeurait la maîtresse couturière à qui Rigolette avait d’abord voulu rapporter son ouvrage, Rodolphe put apprécier davantage encore l’excellent naturel de la jeune fille. Ainsi que les caractères instinctivement bons et dévoués, elle n’avait pas la conscience de la délicatesse, de la générosité de sa conduite, qui lui semblait fort simple. Rien n’eût été plus facile à Rodolphe que de libéralement assurer le présent et l’avenir de Rigolette, et de la mettre, ainsi à même d’aller charitablement consoler Louise et Germain, sans qu’elle se préoccupât du temps que ses visites dérobaient à son travail, son unique ressource ; mais le prince craignait d’affaiblir le mérite du dévouement de la grisette en le rendant trop facile ; bien décidé à récompenser les qualités rares et charmantes qu’il avait découvertes en elle, il voulait la suivre jusqu’au terme de cette nouvelle et intéressante épreuve. Est-il besoin de dire que, dans le cas où la santé de la jeune fille se fût le moins du monde altérée par le surcroît de travail qu’elle s’imposait vaillamment pour consacrer quelques heures chaque semaine à la fille du lapidaire et au fils du Maître d’école, Rodolphe fût à l’instant venu au secours de sa protégée ? Il étudiait avec autant de bonheur que d’émotion ce caractère si naturellement heureux et si peu habitué au chagrin, que çà et là un éclair de gaîté venait l’illuminer encore. Au bout d’une heure environ, le fiacre, de retour de la rue Saint-Honoré, s’arrêta boulevard Saint-Dénis, n° 11, devant une maison de modeste apparence. Rodolphe aida Rigolette à descendre : celle-ci entra chez le portier, et lui communiqua les intentions de Germain, sans oublier la gratification promise. Grâce à l’aménité de son caractère, le fils du Maître d’école était partout aimé. Le confrère de M. Pipelet fut consterné d’apprendre que la maison perdait un locataire si honnête et si tranquille… Telles furent ses expressions. La grisette, munie d’une Minière, rejoignit son compagnon, le portier ne devant monter que quelque temps après pour recevoir ses dernières instructions. La chambre de Germain était située au quatrième étage. En arrivant devant la porte, Rigolette dit à Rodolphe, en lui donnant la clef : – Tenez, mon voisin… ouvrez ; la main me tremble trop… Vous allez vous moquer de moi ; mais, en pensant que ce pauvre Germain ne reviendra plus jamais ici… il me semble que je vais entrer dans la chambre d’un mort… – Soyez donc raisonnable, ma voisine ; n’ayez pas de ces idées-là ? – J’ai tort, mais c’est plus fort que moi… Et elle essuya une larme. Sans être aussi ému que sa compagne, Rodolphe éprouvait néanmoins une impression pénible en pénétrant dans ce modeste réduit. Sachant de quelles détestables obsessions les complices ; du Maître ; d’école avaient poursuivi et poursuivaient peut-être encore Germain, il pressentait que cet infortuné avait dû passer de bien tristes heures dans cette solitude. Rigolette posa la lumière sur une table. Rien de plus simple que l’ameublement de cette chambre de garçon, composée d’une couchette, d’une commode, d’un secrétaire de noyer, de quatre ; chaises de paille et d’une table ; des rideaux de coton blanc ; drapaient les fenêtres et l’alcôve ; pour tout ornement on voyait sur la cheminée verre. À l’affaissement du lit qui n’était pas défait ; on s’apercevait que Germain avait dû s’y jeter quelques instants tout habillé pendant la nuit qui avait précédé son arrestation. – Pauvre garçon ! – dit tristement Rigolette en examinant avec intérêt l’intérieur de la chambre – on voit bien qu’il ne m’a plus pour voisine… C’est rangé, mais ça n’est pas soigné ; il y a de la poussière partout, les rideaux sont enfumés, les vitres sont ternes, le carreau n’est pas ciré… Ah ! quelle différence !… rue du Temple, ça n’était pas plus beau, mais c’était plus gai, parce que tout brillait de propreté, comme chez moi… – C’est : qu’aussi vous étiez la… pour donner vos avis… – Mais voyez, donc ! s’écria Rigolette en montrant le lit – il ne s’est pas ; couché l’autre nuit tant il était inquiet ! Tenez, ce mouchoir qu’il a laissé là, il a été tout trempé de larmes. Ça se voit bien… – Et elle reprit en ajoutant : – Germain a gardé une petite cravate de soie orange que je lui ai donnée quand nous étions heureux ; moi, je garderai ce mouchoir souvenir de ses malheurs ; je suis sûre qu’il ne s’en fâchera pas… – Au contraire, il sera très heureux de ce témoignage de votre affection. – Maintenant songeons aux choses sérieuses : je ferai tout à l’heure ; un paquet du linge que je trouverai dans la commode, afin de le lui porter en prison ; la mère : Bouvard, que j’enverrai ici demain, s’arrangera du reste… Je vais d’abord ouvrir le secrétaire pour y prendre les papiers et l’argent que Germain me prie ; de lui garder. – Mais j’y songe – dit Rodolphe – Louise Morel m’a remis hier les 1 300 francs en or que Germain lui avait donnés pour acquitter la dette du lapidaire, que j’avais déjà payée ; j’ai cet argent : il appartient à Germain, puisqu’il a remboursé le notaire ; je vais vous le remettre, vous le joindrez à celui dont vous allez être dépositaire. – Comme vous voudrez, monsieur Rodolphe : pourtant j’aimerais presque autant ne pas avoir chez moi une si grosse somme, il y a tant de voleurs maintenant !… Des papiers, à la bonne heure… on n’a rien à craindre, mais de l’argent… c’est dangereux… – Vous avez peut-être raison, ma voisine ; voulez-vous que je me charge de cette somme ? Si Germain a besoin de quelque chose, vous me le ferez savoir tout de suite ; je vous laisserai mon adresse et je vous enverrai ce qu’il vous demandera. – Tenez, mon voisin n’aurais pas osé vous prier de nous rendre ce service ; cela vaut bien mieux ; je vous remettrai aussi ce qui proviendra de la vente des effets… Voyons donc ces papiers – dit la jeune fille en ouvrant le secrétaire et plusieurs tiroirs. – Ah ! c’est probablement cela… Voici une grosse enveloppe. Ah ! mon Dieu ! voyez donc, monsieur Rodolphe comme c’est triste ce qu’il y a d’écrit dessus. Et elle lut d’une voix émue : « Dans le cas où je mourrais de mort violente ou naturelle, je prie la personne qui ouvrira ce secrétaire de porter ces papiers chez mademoiselle Rigolette, couturière, rue du Temple, n° 17. » – Est-ce que je puis décacheter cette enveloppe, monsieur Rodolphe ? – Sans doute. Germain ne vous annonce-t-il pas qu’il y a parmi les papiers qu’elle contient une lettre qui vous est particulièrement adressée ? La jeune fille rompit le cachet : plusieurs écrits s’y trouvaient renfermés ; l’un d’eux, portant cette suscription : À Mademoiselle Rigolette, contenait ces mots : « Mademoiselle, lorsque vous lirez cette lettre, je n’existerai plus… Si, comme je le crains, je meurs de mort violente en tombant dans un guet-apens semblable à celui auquel j’ai dernièrement échappé, quelques renseignements joints ici sous le titre de : Notes sur ma vie, pourront mettre sur la trace de mes assassins… » – Ah ! monsieur Rodolphe – dit Rigolette en s’interrompant – je ne m’étonne plus maintenant de ce qu’il était si triste !… Pauvre Germain ! toujours poursuivi de pareilles idées !… – Qui, il a dû être bien affilé ; mais ses plus mauvais jours sont passés… croyez-moi… – Hélas ! je le désire, monsieur Rodolphe ; mais pourtant être en prison… accusé de vol… – Soyez tranquille : une fois son innocence reconnue, au lieu de retomber dans l’isolement… il retrouvera des amis… vous d’abord, puis une mère bien aimée, dont il a été séparé depuis son enfance. – Sa mère !… il a encore sa mère ? – Oui… Elle le croyait perdu pour elle, jugez de sa joie lorsqu’elle le reverra, mais absous de l’indigne accusation portée contre lui ! J’avais donc raison de vous dire que ses plus mauvais étaient passés. Ne lui parlez pas de sa mère. Je vous confie ce secret, parce que vous vous intéressez si généreusement à Germain qu’il faut au moins qu’a votre dévouement ne se joignent pas de trop cruelles inquiétudes sur son sort à venir. – Je vous remercie, monsieur Rodolphe ; vous pouvez être tranquille, je garderai votre secret… Et Rigolette continua de lire la lettre de Germain. « Si vous voulez, mademoiselle, jeter un coup d’œil sur ces notes, vous verrez que j’ai été toute ma vie bien malheureux… excepté pendant le temps que j’ai passé auprès de vous… Ce que je n’aurais jamais osé vous dire, vous le trouverez écrit dans une espèce de memento intitulé : Mes seuls jours de bonheur Presque chaque soir, en vous quittant, j’épanchais ainsi les consolantes pensées que votre affection m’inspirait, et qui seules adoucissaient l’amertume de ma vie… Ce qui était amitié chez vous était de l’amour chez moi. Je vous ai caché que je vous aimais ainsi jusqu’à ce moment où je, ne suis plus pour vous qu’un triste souvenir… Ma destinée était si malheureuse que je ne vous aurais jamais parlé de ce sentiment ; quoique sincère et profond, il vous eût porté malheur. Il me reste un dernier vœu à former, et j’espère que vous voudrez bien l’accomplir. J’ai vu avec quel courage admirable vous travailliez, et combien il vous fallait d’ordre, de sagesse, pour vivre du modique salaire que vous gagniez si péniblement. Souvent, sans vous le dire, j’ai tremblé en pensant qu’une maladie, causée peut-être par l’excès du labeur, pouvait vous réduire à une position si affreuse que je ne pouvais l’envisager sans frémir… il m’est bien doux de penser que je pourrai du moins vous épargner en grande partie les tourments et peut-être… les misères que votre insouciante jeunesse ne prévoit pas, heureusement. » – Que veut-il dire, monsieur Rodolphe ? – dit Rigolette étonnée. – Continuez… nous allons voir… Rigolette reprit : « Je sais de combien peu vous vivez et de quelle ressource vous serait, en des temps difficiles, la plus modique somme ; je suis bien pauvre : mais, à force d’économie, j’ai mis de côté 1 500 francs, placés chez un banquier ; c’est tout ce que je possède. Par mon testament, que vous trouverez ici, je me permets de vous les léguer ; acceptez cela d’un ami, d’un bon frère… qui n’est plus. – Ah ! monsieur Rodolphe ! – dit Rigolette en fondant en larmes et donnant la lettre au prince – cela me fait trop de mal… Bon Germain, s’occuper ainsi de mon avenir !… Ah ! quel cœur, mon Dieu ! quel cœur excellent ! – Digne et brave jeune homme ! – reprit Rodolphe avec, émotion. – Mais calmez-vous, mon enfant ; Dieu merci, Germain n’est pas mort, ce testament anticipé aura du moins servi à vous apprendre combien il vous aimait… combien il vous aime… – Et dire, monsieur Rodolphe – reprit Rigolette en essuyant ses larmes – que je ne m’en étais jamais doutée ! Dans les commencements de notre voisinage, M. Giraudeau et M. Cabrion me parlaient toujours de leur passion enflammée, comme ils disaient ; mais, voyant que ça ne les menait à rien, ils s’étaient déshabitués de me dire de ces choses-là ; Germain, au contraire, ne m’avait jamais parlé d’amour. Quand je lui ai proposé d’être bons amis, il a franchement accepté, et depuis nous avons vécu en vrais camarades. Mais… tenez… je peux bien vous avouer cela maintenant, monsieur Rodolphe, certainement je n’étais pas fâchée que Germain ne m’eût pas dit, comme les autres, qu’il m’aimait d’amour… – Mais, enfin, vous eh étiez… étonnée ? – Oui, monsieur Rodolphe, je pensais que c’était sa tristesse… qui le rendait ainsi… – Et vous lui en vouliez un peu… de cette tristesse ? – C’était son seul défaut – dit naïvement la grisette ; – mais maintenant je l’excuse… je m’en veux même de la lui avoir reprochée… – D’abord parce que vous savez qu’il avait malheureusement beaucoup de sujets de chagrin, et puis… peut-être parce que vous voilà certaine que, malgré cette tristesse… il vous aimait d’amour ? – ajouta Rodolphe en souriant. – C’est vrai… être aimée d’un si brave jeune homme, ça flatte le cœur… n’est-ce pas, monsieur Rodolphe ? – Et un jour peut-être vous partagerez cet amour. – Dame ! monsieur Rodophe, c’est bien tentant ; ce pauvre Germain est si à plaindre ! Je me mets à sa place… si, au moment où je me croyais abandonnée, méprisée de tout le monde, une personne bien amie, venait à moi encore plus tendre que je ne l’espérais, je serais si heureuse ! – Après un moment de silence, Rigolette reprit avec un soupir : – D’un autre côté… nous sommes si pauvres tous les deux que ça ne serait peut-être pas raisonnable… Tenez, monsieur Rodolphe, je ne veux pas penser à cela, je me trompe peut-être. Ce qu’il y a de sûr, c’est que je ferai pour Germain tout ce que je pourrai tant qu’il restera en prison. Une fois libre, il sera toujours temps de voir si c’est de l’amour ou de l’amitié que j’aurai pour lui ; alors, si c’est de l’amour… que voulez-vous, mon voisin, ça sera de l’amour… Jusque-là ça me, gênerait de savoir à quoi m’en tenir. Mais il se fait tard, monsieur Rodolphe. Voulez-vous rassembler ces papiers pendant que je vais faire un paquet du linge ?… Ah ! j’oubliais le sachet renfermant la petite cravate orange que je lui ai donnée. Il est dans ce tiroir, sans doute. Oui, le voilà… Oh ! voyez donc comme il est joli, ce sachet… et tout brodé !… Pauvre Germain, il l’a gardée comme une relique, cette petite cravate !… Je me rappelle bien la dernière fois où je l’ai mise, et quand je la lui ai donnée. Il a été si content… si content !
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