CHAPITRE V - Le pirate d’eau douce-2

2746 Words
– Nicolas n’est pas volé ! – s’écria Calebasse en déroulant une pièce de mousseline de laine. – Non – répondit le brigand en déployant à son tour un paquet de foulards – j’ai fait mes frais… – De la levantine… case vendra comme du pain… – dit la veuve en puisant à son tour dans la caisse : – La receleuse de Bras-Rouge, qui demeure rue du Temple, achètera les étoffes – ajouta Nicolas ; et le père Micou, le logeur en garni du quartier Saint-Honoré, s’arrangera du rouget. – Amandine – dit tout bas François à sa petite sœur – comme ça ferait une jolie cravate, un de ces beaux mouchoirs de soie… que, Nicolas tient à la main !… – Ça ferait aussi une bien jolie marmotte – répondit l’enfant avec admiration. – Faut avouer que tu as eu de la chance de monter sur cette galiote. Nicolas dit Calebasse. – Tiens, fameux !… maintenant, voilà des châles… il y en a trois… vraie bourre de soie… Vois donc, ma mère !… – La mère Burette donnera au moins ; 500 francs du tout – dit la veuve après un mûr examen. – Alors ça doit valoir au moins 1 500 francs – dit Nicolas ; – mais, comme on dit, tout receleur… tout voleur. Bah ! tant pis… je ne sais pas chicaner… je serai encore assez colas cette fois-ci pour passer par là où la mère Burette voudra et le père Micou aussi ; mais lui c’est un ami. – C’est égal, il est voleur comme les autres, le vieux revendeur de ferraille ; mais ces canailles de recéleurs, savent qu’on a besoin d’eux – Calebasse en se drapant dans un des châles – et ils en abusent ! – Il n’y-à Nicolas en arrivant au fond de la caisse. – Moi, je garde ce châle-là – reprit Calebasse. – Tu gardes… tu gardes… – s’écria brusquement Nicolas – tu le garderas… si je te le donne… Tu prends toujours… toi… madame Pas-Gênée. – Tiens !… et toi donc, tu t’en prives… de prendre ! – Moi… je grinchis en risquant ma peau : c’est pas toi qui aurais été enflaquée si on m’avait pincé sur la galiote… – Eh bien ! le voilà, ton châle, je m’en moque pas mal ! dit aigrement Calebasse en le rejetant dans la caisse. – C’est pas à cause du châle… que je parle ; je ne suis pas assez chiche pour lésiner sur un châle un de plus ou un de moins, la mère Burette ne changera pas son prix ; elle achète en bloc – reprit Nicolas. – Mais, au lieu de dire que tu prends ce châle ; tu peux me demander que je te le donne… Allons, voyons, garde-le… Garde-le, je te dis… ou je l’envoie au feu pour luire bouillir la marmite ! Ces paroles calmèrent la mauvaise humeur de Calebasse ; elle prit le châle sans rancune. Nicolas était sans doute en veine de générosité ; car, déchirant, avec ses dents le chef d’une des pièces ; de soierie, il en détacha deux foulards et les jeta à Amandine et à François, qui n’avaient pas cessé de contempler cette étoffe avec envie. Voilà pour vous, gamins ! cette bouchée-là vous mettra en goût de grinchir… L’appétit vient en mangeant… Maintenant allez vous coucher… j’ai, à jaser avec la mère ; on vous portera à souper là-haut. Les deux enfants battirent joyeusement des mains, et agitèrent triomphalement les foulards volés qu’on venait de leur donner. – Eh bien ! petits bêtas – dit Calebasse – écouterez-vous encore Martial ? est-ce qu’il vous a jamais donné des beaux foulards comme ça, lui ? François et Amandine se regardèrent, puis ils baissèrent la tête sans répondre. – Parlez donc ! – reprit durement Calebasse ; – est-ce qu’il vous a jamais fait des cadeaux, Martial ? – Dame !… non… il ne nous en a jamais fait – dit François en regardant son mouchoir de soie rouge avec bonheur. Amandine ajouta bien bas : – Notre frère Martial ne nous fait pas de cadeaux… parce qu’il, n’a pas de quoi… – S’il volait, il-aurait, de quoi durement Nicolas ; – n’est-ce pas, François ? – Oui, mon frère – répondit François ; puis il ajouta : – Oh ! le beau foulard !… quelle jolie cravate pour le dimanche ! – Et moi, quelle belle marmotte ! – reprit Amandine. – Sans compter que les enfants du chaufournier du four à plâtre rageront joliment en vous voyant passer – dit Calebasse : et elle examina les traits des enfants pour voir s’ils comprendraient la méchante portée de ces paroles. L’abominable créature appelait la vanité à son aide pour étouffer les derniers scrupules de ces malheureux. – Les enfants du chaufournier – reprit-elle – auront l’air de mendiants, ils en crèveront de jalousie ; car vous autres… avec vos beaux mouchoirs de soie, vous aurez l’air de petits bourgeois ! – Tiens ! c’est vrai – reprit François ; – alors je suis bien plus content de ma belle cravate, puisque les petits chaufourniers rageront de ne pas en avoir une pareille… n’est-ce pas, Amandine ? – Moi, je suis contente d’avoir ma belle marmotte… voilà tout… – Aussi, toi, tu ne seras jamais qu’une colasse ! – dit dédaigneusement Calebasse ; puis, prenant sur la table du pain et un morceau de fromage, elle le donna aux enfants, et leur dit : – Montez ; vous coucher… Voilà, une lanterne, prenez garde au feu, et éteignez-la avant de vous endormir. – Ah çà – ajouta Nicolas – rappelez-vous bien que si vous avez le malheur de parler à Martial de la caisse, des saumons de cuivre et des bardes, vous aurez une danse ; que le feu y prendra ; sans compter que je vous retirerai les foulards. Après le départ des enfants Nicolas et sa sœur enfouirent les hardes, la caisse d’étoffes et les saumons de cuivre au fond d’un petit caveau surbaisse de quelques marches, qui s’ouvrait dans la cuisine, non loin de la cheminée. – Ah çà, la mère ! à boire, et du chenu !… – s’écria le bandit ; – du cacheté, de l’eau-de-vie !… J’ai bien gagné ma journée… ; Sers le souper Calebasse ; Martial rongera nos os, c’est bon pour lui… Jasons maintenant du bourgeois du ; quai de Billy, car demain ou après-demain il faut que ça chauffe si je veux empocher l’argent qu’il a promis… Je vas te conter ça, la mère… Mais à boire, tonnerre !… à boire… c’est moi qui régale ! Et Nicolas fit de nouveau bruire les pièces de cent sous qu’il avait dans sa poche ; puis, jetant au loin sa peau de bouc, son bonnet de laine noire, il s’assit à table devant un énorme plat de ragoût de mouton, un morceau de veau froid et une salade. Lorsque Calebasse eut apporté du vin et de l’eau-de-vie, la veuve, toujours impassible et sombre, s’assit d’un côté de la table, ayant Nicolas à sa droite, sa fille à sa gauche ; en face d’elle étaient les places inoccupées de Martial et des deux enfants. Le bandit tira de sa poche un large et long couteau catalan à manche de corne, à lame aiguë. Contemplant cette arme meurtrière avec une sorte de satisfaction féroce, il dit à la veuve : – Coupe-sifflet tranche toujours bien !… Passez-moi le pain, la mère ! – À propos de couteau – dit Calebasse – François s’est aperçu de la chose… dans le bûcher. – De quoi ? – dit Nicolas sans la ; comprendre. – Il a vu un des pieds… – De l’homme ? – s’écria Nicolas. – Oui – dit la veuve en mettant une tranche de viande dans l’assiette de son fils. – C’est drôle !… la fosse était pourtant bien profonde – dit le brigand – mais depuis le temps… la terre aura tassé… – Il faudra cette nuit jeter tout à la rivière – dit la veuve. – C’est plus sûr – répondit Nicolas. – On y attachera un pavé avec un brin de vieille chaîne de bateau – dit Calebasse. – Pas si bête !… – répondit Nicolas en se versant à boire ; – puis, s’adressant à la veuve, tenant la bouteille haute : – Voyons, trinquez avec nous, ça vous égaiera, la mère ! La veuve secoua la tête, recula son verre, et dit à son fils : – Et l’homme du quai de Billy ? – Voilà la chose…– dit Nicolas, sans s’interrompre de manger et de boire… – En arrivant à la gare, j’ai attaché mon bachot et j’ai monté au quai ; sept heures sonnaient à la boulangerie militaire de Chaillot ; on ne s’y voyait pas à quatre pas. Je me promenais le long du parapet depuis un quart d’heure, lorsque j’entends marcher doucement derrière moi ; je ralentis ; un homme embaluchonné dans un manteau s’approche de moi en toussotant ; je m’arrête, il s’arrête… Tout ce que je sais de sa figure, c’est que son manteau lui cachait le nez, et son chapeau les yeux. (Nous rappellerons au lecteur que ce personnage mystérieux était Jacques Ferrand le notaire, qui, voulant se défaire de Fleur-de-Marie, avait, le matin même, dépêché madame Séraphin chez les Martial, dont il espérait faire les instruments de ce nouveau crime.) – Bradamanti, me dit le bourgeois – reprit Nicolas – c’était le mot de passe convenu avec la vieille, pour me reconnaître avec le particulier. – Ravageur, que je lui réponds, comme c’était encore convenu. – Vous vous appelez Martial ? – me dit-il. – Oui, bourgeois. – Il est venu ce matin une femme à votre île ; que vous a-f-elle dit ? – Que vous aviez à me parler de la part de M. Bradamanti. – Voulez-vous gagner de l’argent ? – Oui, bourgeois… beaucoup. – Vous avez un bateau ? – Nous en avons quatre, bourgeois, c’est notre partie : bachoteurs et ravageurs de père en fils, à votre service. – Voilà ce qu’il faudrait faire… si vous n’avez pas peur… – Peur… de quoi, bourgeois ? – De voir quelqu’un se noyer par accident… seulement il s’agirait d’aider à l’accident… comprenez-vous ? – Ah çà ! bourgeois, faut donc faire boire un particulier à même la Seine, Corinne par hasard ?… ça me va… mais comme c’est un fricot délicat, ça coûte cher d’assaisonnement… – Combien… pour deux ?… – Pour deux… il y aura deux personnes à mettre au court-bouillon dans la rivière ? – Oui… – Cinq cents francs par-tête… bourgeois… c’est pas cher – Va pour mille francs… – Payés d’avance, bourgeois ? – Deux cents francs d’avance, le reste après… – Vous vous défiez de moi, bourgeois ? – Non ; vous pouvez empocher mes deux cents francs sains remplir nos conventions. – Et vous, bourgeois, une fois le coup fait, quand je vous demanderai les huit cents francs, vous pouvez me répondre : Merci, je sors d’en prendre ! – C’est une chance ; ça vous convient-il, oui ou non ? deux cents francs comptant, et après-demain soir, ici à neuf heures, je vous remettrai huit cents francs. – Et qui vous dira que j’aurai fait boire les deux personnes ? – Je le saurai… came regarde… Est-ce dit ? – C’est dit, bourgeois. – Voilà deux-cents francs… Maintenant, écoutez-moi : Vous reconnaîtrez bien la vieille femme qui est allée vous trouver ce matin ? – Oui, bourgeois. – Demain, ou après-demain au plus tard, vous la verrez venir, vers les quatre heures du soir, sur la rive en face de votre île, avec une jeune fille blonde ; la vieille vous fera un signal en agitant un mouchoir. – Oui, bourgeois. – Combien faut-il de temps pour aller de la rive à votre île ? – Vingt bonnes minutes. – Vos bateaux sont à fond plat ? – Plat comme la main, bourgeois. – Vous pratiquerez adroitement une sorte de large-soupape dans le fond de l’un de ces bateaux, afin de pouvoir, en ouvrant cette soupape, le faire couler à volonté en un clin d’œil… Comprenez-vous ? – Très bien, bourgeois ; vous êtes malin ! J’ai justement un vieux bateau à moitié pourri ; je voulais le déchirer… il sera bon pour ce dernier voyage. – Vous partez donc de votre île avec-ce bateau à ; soupape ; un bon bateau vous suit, conduit par quelqu’un de votre famine. Vous abordez, vous prenez la vieille femme et la jeune fille blonde à bord du bateau troué, et vous regagnez votre île ; mais, à une distance raisonnable du rivage, vous feignez ; de vous baisser pour raccommoder quelque chose, vous ouvrez la soupape et vous sautez lestement dans l’autre bateau, pendant que la vieille femme et la jeune fille blonde… – Boivent à la même tasse… ça y est… bourgeois ! – Mais, êtes-vous sûr de n’être pas dérangé ?… S’il venait des pratiques dans votre cabaret ?… – Il n’y a pas de crainte, bourgeois. À cette heure-là, et en hiver surtout, il ; n’en vient jamais… c’est notre morte saison ; et il en viendrait, qu’ils ne seraient pas gênants… au contraire… c’est tous des amis connus… – Très bien ! D’ailleurs vous ne vous compromettez en rien ; le bateau sera censé coulé par vétusté, et la vieille femme qui-vous aura amené la jeune fille disparaîtra avec elle. Enfin, pour bien vous assurer que toutes deux seront noyées (toujours par accident), vous pourrez, si elles revenaient sur l’eau, ou si elles s’accrochaient au bateau, avoir l’air de faire tous vos efforts pour les secourir, et… – Et les aider… à replonger. Bien, bourgeois ! – Il faudra même que la promenade se fasse après le soleil couché, afin que la nuit soit noire lorsqu’elles tomberont à l’eau. – Non, bourgeois ; car si on m’y voit, pas clair, comment saura-t-on si les deux femmes ont bu leur soûl ou si elles en veulent, encore ? – C’est juste ; alors l’accident, aura lieu avant coucher du soleil. – À la bonne heure ; bourgeois ; mais la vieille ne se doutera de rien ? – Non… En arrivant, elle vous dira à l’oreille : – Il faut-noyer la petite ; un peu avant de faire enfoncer le bateau, faites-mai signe pour que je sois prête à me sauver avec vous. Vous répondrez à la vieille de manière à éloigner ses soupçons. – De façon qu’elle croira mener la petite blonde boire ?… – Et qu’elle boira avec la petite blonde. – C’est crânement arrangé, bourgeois. – Et surtout que la vieille ne se doute de rien !… – Calmez-vous, bourgeois, elle avalera ça doux comme miel. – Allons, bonne chance, mon garçon ! Si je suis content, peut-être je vous emploierai encore ! – À votre service, bourgeois ! – Là-dessus – dit le brigand en terminant sa narration – j’ai quitté l’homme au manteau, j’ai regagné mon bateau, et, en-passant devant la galiote, j’ai raflé le butin de tout à l’heure. On voit, par le récit de Nicolas, que le notaire voulait, au moyen d’un double crime, se débarrasser à la fois de Fleur-de-Marie et de madame Séraphin, en faisant tomber, celle-ci dans le piège qu’elle croyait seulement tendu à la Goualeuse. Avons-nous besoin de répéter que, craignant à juste titre que la Chouette n’apprît d’un moment à l’autre à Fleur-de-Marie qu’elle avait été abandonnée par madame Séraphin, Jacques Ferrand se croyait un puissant intérêt à faire disparaître cette jeune fille, dont les réclamations auraient pu le frapper mortellement et dans sa fortune et dans sa réputation ? Quant à madame Séraphin, le notaire, en la sacrifiant, se défaisait de l’un des deux complices (Bradamanti était l’autre) qui pouvaient le perdre en se perdant eux-mêmes, il est vrai ; mais Jacques Ferrand croyait ses secrets mieux gardés dans la tombe que par l’intérêt personnel. La veuve du supplicié et Calebasse avaient attentivement écouté Nicolas, qui ne s’était interrompu que pour boire avec excès. Aussi commençait-il à parler avec une exaltation singulière : – Ça n’est pas tout – reprit-il ; – j’ai emmanché une autre affaire avec la Chouette et Barbillon, de la rue aux Fèves. C’est un fameux coup, crânement monté ; et si nous ne le manquons pas, il y aura de quoi frire. Je m’en vante. Il s’agit de dépouiller une courtière en diamants, qui a quelquefois pour des cinquante mille francs de pierreries dans son cabas. – Cinquante mille francs ! – s’écrièrent la mère et la fille, dont les yeux étincelèrent de cupidité. – Oui… rien que ça… Bras-Rouge en sera. Hier il a déjà empaumé la courtière par une lettre que nous lui avons portée, nous deux Barbillon, boulevard Saint-Denis. C’est un fameux homme que Bras-Rouge ! Comme il a de quoi, on ne se méfie pas de lui. Pour amorcer la courtière, il lui a déjà vendu un diamant de quatre cents francs. Elle ne se défiera pas de venir, à la tombée du jour, dans son cabaret des Champs-Élysées. Nous serons là cachés. Calebasse viendra aussi, elle gardera mon bateau le long de la Seine. S’il faut emballer la courtière morte ou vive, casera une voiture commode et qui ne laisse pas de traces. En voilà un plan !… Gueux de Bras-Rouge, quelle Sorbonne ! – Je me méfie toujours de Bras-Rouge – dit la veuve. Après l’affaire de la rue Montmartre, ton frère Ambroise a été àToulon et Bras-Rouge, a été relâché. – Parce qu’il n’y avait pas de preuves contre lui ; il est si malin !… Mais trahir les autres… jamais ? La veuve secoua la tête, comme ; si elle n’eût été qu’à, demi convaincue, de la probité de Bras-Rouge. Après quelques moments de réflexion, elle dit : – J’aime mieux l’affaire du quai de Billy pour demain, ou après-demain soir… la noyade des deux femmes… Mais Martial nous gênera… comme toujours… – Le tonnerre du diable ne nous débarrassera donc pas de lui !…– s’écria Nicolas à moitié ivre, en plantant avec fureur son long couteau dans la table. – J’ai, dit à ma mère que nous en avions, assez, que, ça ne pouvait pas durer – reprit Calebasse. – Tant qu’il sera ici ; on ne pourra rien faire des enfants… – Je vous dis qu’il est capable de nous dénoncer un jour ou l’autre, le brigand ! – dit Nicolas. – Vois-tu, la mère… si tu m’en avais cru… – ajouta-t-il d’un air farouche et significatif, en regardant sa mère – tout serait dit… – Il y a d’autres moyens. – C’est le meilleur ! – dit le brigand. – Maintenant… non – répondit la veuve d’un ton si absolu que Nicolas se tut dominé par l’influence de sa mère, qu’il savait aussi criminelle, aussi méchante, mais encore plus déterminée que lui. La veuve ajouta : – Demain matin il quittera l’île pour toujours. – Comment ? – dirent à la fois Calebasse et Nicolas. – Il va rentrer… cherchez-lui querelle… mais hardiment, en face, comme nous n’avez jamais osé le faire… Venez-en aux coups, s’il le faut… Il est fort mais vous serez deux, et je vous aiderai… Surtout pas de couteaux… pas de sang… Qu’il-soit battu, pas blessé. – Et puis après, la mère ? – demanda Nicolas. – Après… on s’expliquera… Nous lui dirons de quitter l’île demain… sinon que tous les jours la scène de ce soir recommencera… Je le connais, ces batteries, continuelles le dégoûteront. Jusqu’à présent on l’a laissé trop tranquille… – Mais il est entêté comme un mulet, il est capable de vouloir rester tout de même à cause des enfants… – dit Calebasse. – C’est un gueux fini… mais une batterie ne lui fait pas peur… – dit Nicolas. – Une… oui – dit la veuve – mais fous les jours, tous les jours… c’est l’enfer… il cédera… – Et s’il ne cédait pas ? – Alors j’ai un autre moyen sûr de le forcer à partir cette nuit, ou demain matin au plus tard – reprit la veuve, avec un sourire étrange. – Vraiment, la mère ? – Oui, mais j’aimerais mieux l’effrayer par les batteries ; si je n’y rougissais pas, alors… à l’autre moyen. – Et si l’autre moyen ne réussissait pas non plus, la mère ? – dit Nicolas… – Il y en a un dernier qui réussit toujours – répondit la veuve. – Tout à coup la porte s’ouvrit… Martial entra. Il ventait si fort au-dehors qu’on n’avait pas entendu les aboiements des chiens annonçant le retour du fils aîné de la veuve du supplicié.
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