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La pluie fine tombe doucement tandis que je marche dans une ruelle étroite d’une ville moyenne, tard dans la soirée. Mon souffle forme une légère buée devant moi. Je resserre ma veste autour de mon corps et jette un coup d’œil rapide par-dessus mon épaule. Personne. La rue est vide, désertée, à peine éclairée par la lumière vacillante de quelques fenêtres encore allumées.
J’accélère le pas, pressée de regagner mon appartement. Est-ce que Dylan est déjà rentré ? J’en doute. Il doit être encore quelque part, dans la forêt, en train de courir comme si de rien n’était.
« S’il continue comme ça, on va finir par se faire repérer. »
Eh bien, pour une fois, je dois avouer que tu marques un point, Fog.
Ah, oui. Je devrais peut-être vous présenter Nightfog, mon loup intérieur. D’habitude, il se contente de lancer des commentaires sarcastiques ou absurdes. Mais là, pour une fois, il a dit quelque chose de sensé. J’ai presque envie de rire.
« Appelle-moi juste Fog. Et arrête de faire genre je suis drôle. »
Je souris malgré moi. Arrivée devant l’immeuble, je monte les marches deux à deux jusqu’au deuxième étage. Une fois devant ma porte, je laisse échapper un soupir de soulagement. Mes cheveux blonds me tombent devant les yeux, je les repousse d’un geste agacé. Évidemment, comme prévu… Dylan n’est pas là.
« Tu vois ? J’avais raison. »
Oh, la ferme, Fog. Personne ne t’a demandé ton avis.
« Tu rêves. »
Je pousse la porte, referme derrière moi, retire ma veste détrempée et la suspends dans l’entrée. La cuisine est minuscule, mais ça me suffit. Je me prépare un bol de céréales, puis m’installe sur le canapé avec mon téléphone. 21h52.
Dylan finit le boulot à 18h, normalement. Alors où est-ce qu’il est, ce c****n ?
« Excellente question. »
Je termine mon bol, lave rapidement la vaisselle, puis retourne m’asseoir sur le canapé, l’esprit perdu dans mes pensées. Pourquoi je suis rentrée si tard ? Simplement parce que j’étais à la bibliothèque. Pas pour étudier, non. Juste pour lire. Je sais, ça ne colle pas avec l’image habituelle d’une ado de 16 ans. Mais moi, j’adore ça. Lire me permet d’oublier… d’oublier ce besoin constant de me transformer.
La dernière fois que je me suis transformée, c’était il y a quatre ans. Le jour où mes parents sont morts sous mes yeux. Assassinés. Parce qu’ils ont voulu me protéger. Protéger la petite fille différente que j’étais. À trois ans, je me transformais déjà. Les autres loups-garous, eux, attendent leur huitième anniversaire pour ça.
Je ne suis pas plus forte que les autres loups, non. Je suis plus rapide. Deux fois plus, en fait. Et j’ai des capacités que la plupart n’ont pas. Parfois, je vois l’avenir. Des visions, des rêves… Mes blessures aussi guérissent plus vite. Bien plus vite, même pour un loup-garou.
« Ce ne sont sûrement pas nos seules capacités. »
Je t’en prie, Fog, pas maintenant.
Une meute nous a découverts à cette époque. La plus avide de pouvoir que j’ai jamais vue.
« C’est la seule qu’on ait jamais vue. »
…Tais-toi, Fog.
Ils pensaient que je pouvais les aider à régner. Ce jour-là, je jouais dans une clairière avec Dylan. Il avait 28 ans à l’époque et veillait toujours sur moi. On vivait en dehors de toute meute, discrets, invisibles.
Puis, soudain, des loups ont surgi. Une douzaine. Pas des loups ordinaires. Des loups-garous. Massifs, presque aussi grands que sous leur forme humaine. Moi, avec mon mètre soixante-huit, je faisais figure de petit gabarit. Même les femelles sont plus grandes, en général.
Un immense loup est sorti du groupe. Deux mètres, au bas mot. Il s’est transformé. Un jeune homme est apparu. À peine 1,75, ce qui m’a surprise. Les Alphas sont généralement plus imposants. Mais sa présence… glaçante.
Il voulait m’emmener. Il savait. Il avait vu ma forme de loup. Noire comme la nuit. Une ancienne prophétie parle d’un loup noir aux yeux dorés, aussi brillants que le soleil. Un loup plus puissant que n’importe quel Alpha. Apparemment, c’était moi.
Ce jour-là, tout a basculé. Dylan et moi avons fui. Nos parents sont intervenus pour nous protéger. Quand nous avons été assez loin, Dylan m’a cachée. Il m’a ordonné d’attendre.
Mais je ne pouvais pas. Je l’ai suivi. Sous forme humaine, sans odeur. Nous avions appris à la dissimuler. Ce que j’ai vu me hante encore.
Nos parents combattaient. Vaillamment. Malgré le nombre. Mais un loup a tenté de surprendre Dylan. Maman s’est interposée. Elle a pris l’attaque de plein fouet. Étendue au sol, ensanglantée, elle essayait encore de se relever.
Papa a ressenti sa douleur. Les compagnons partagent tout, même ça. Il a crié. Ils l’ont attaqué. Déchiré. Et ensuite, ils sont partis… pour me trouver.
Nous avons attendu, tapis dans l’ombre, jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Puis, lentement, nous sommes revenus. Les corps de nos parents étaient là. Inertes. Redevenus humains. Leurs visages paisibles, mais baignant dans le sang.
Je me suis effondrée. Dylan m’a prise dans ses bras. Il voulait me réconforter, mais il était brisé lui aussi. Je ne lui ai jamais dit que je me sentais responsable. Et il ne l’a jamais deviné. Il est un grand frère formidable, mais pas très intuitif.
Moi, je ressens les émotions des autres. Mais la plupart du temps… je m’en fiche.