CHAPITRE II
Le campement et les feux du soirLa route que nous avions prise se dirigeait vers le Sud-Ouest. Le point le plus rapproché où nous espérions rencontrer les bisons se trouvait à deux cents milles plus loin. À cette époque, tout le pays était désert et sauvage ; à peine trouvait-on de rares fermes isolées. Nous n’avions donc pas l’espoir de nous abriter sous un toit avant notre retour à Saint-Louis ; mais nous nous étions munis de deux tentes.
Quoique le pays que nous traversions semblât giboyeux, nous n’aperçûmes ni un oiseau ni un quadrupède de toute la journée. Ce résultat n’était guère encourageant. Nous étions heureusement bien approvisionnés de vivres : un grand tonneau de biscuit, un de farine, des jambons, du lard, du café, du sucre, sans compter la provende des mules et des chevaux.
Nous fîmes trente milles le premier jour. Le chemin était bon. Nous campâmes le soir au bord d’un ruisseau limpide. Nous installâmes toutes choses suivant un ordre régulier que nous observâmes par la suite jusqu’à la fin de notre expédition. Chacun de nous dessella son cheval ; nous n’avions pas de serviteurs dans la prairie. Lanty s’occupait exclusivement de la cuisine, et Jack avait assez à faire avec ses mules.
Nos chevaux et nos mules furent attachés à des piquets au milieu d’un espace découvert. Les deux tentes s’élevèrent côte à côte, près du ruisseau, et le wagon fut placé à l’arrière.
Les deux tentes s’élevèrent côte à côte.Dans le triangle formé par le wagon et les tentes, un grand feu fut allumé, aux deux extrémités duquel nous plantâmes deux perches dont les sommets faisaient la fourche. En travers des deux fourches, au-dessus de la flamme, un jeune tronc fut posé. C’était la crémaillère de Lanty, le feu lui servant de fourneau.
Le souper est prêt, et Lanty est décidément. Si cette heure, le personnage le plus important de notre cercle. Il est debout devant le feu, avec une petite poêle à frire au long manche, dans laquelle il grille le café. La crémaillère supporte une large cafetière en fer battu, pleine d’eau bouillante ; et une seconde poêle, plus grande que la première, est remplie de tranches de jambon, et prête à être placée sur les charbons ardents.
Notre ami anglais Thompson est assis sur un tronc d’arbre ; devant lui, tout ouvert, son carton à chapeau, d’où il a tiré son assortiment de peignes et de brosses. Il a déjà, fait ses ablutions, et maintenant il achève sa toilette, arrangeant ses cheveux, ses favoris, ses moustaches, nettoyant ses dents et ses ongles.
Le Kentuckien, lui, debout, tenant d’une main un couteau à longue lame, à manche d’ivoire – un de ces bownie-knifes qu’on appelle « cure-dents de l’Arkansas, – et de l’autre une tablette de tabac, en taille un morceau qu’il fourre aussitôt dans sa bouche et se met à mastiquer.
Et le docteur Jopper, que fait-il ? Il est au bord de l’eau, et tient dans une main un de ces flacons d’étain qu’on appelle « pistolet de poche ». Ce pistolet est chargé d’eau-de-vie, et le docteur est précisément en train d’en décharger une partie, laquelle, mêlée à un peu d’eau fraîche, se déverse dans l’intérieur d’un gosier très altéré.
Besançon est assis près de la tente, et le vieux naturaliste est à côté de lui. Le premier s’occupe des plantes qu’il a recueillies, il les classe méthodiquement entre les feuilles d’un grand album ouvert sur ses genoux. Son compagnon, fort expert en la matière, l’aide dans sa besogne.
Les guides se tiennent près du wagon. Le vieux Ike change la pierre de son rifle, et Redwood, d’une humeur plus joviale, plaisante avec Mike Lanty.
Jack est toujours occupé avec ses mules, et moi avec mon cheval favori, dont je viens de laver les pieds dans le ruisseau.
Çà et là s’étalent nos selles, nos brides, nos couvertures, nos armes et nos ustensiles. Tout sera mis à l’abri avant le moment du repos. Tel est le tableau que présente notre camp.
Mais voici que le souper est servi, et la scène change.
L’atmosphère, même en celle saison, est assez fraîche ; aussi, à peine Mike a-t-il annoncé que le café est fait, tout le monde, y compris les guides, se presse autour du brasier. Chacun trouve son écuelle, son couteau, son gobelet ; chacun se sert et se place où il veut pour manger.
Malgré la fatigue d’un premier jour de marche, nous fîmes joyeusement honneur à ce souper. La nouveauté et l’appétit ne contribuaient pas peu à nous le faire trouver délicieux.
Le repas fini, tous fumèrent, qui la pipe, qui un cigare, qui des cigarettes. Puis, comme nous étions fatigués, nous nous retirâmes de bonne heure dans nos tentes, et, nous roulant dans nos couvertures, nous ne tardâmes pas à nous endormir.