Avertissement de l’auteur
Avertissement de l’auteur
Cette nouvelle est la première que j’ai écrite. Cela me reporte à quelque douze ans en arrière, à un certain déjeuner chez un ami, où M. de Mayol de Luppé, alors directeur de l’Union, me proposa, à moi intimidé, balbutiant et heureux, « de m’ouvrir ses colonnes. »
J’écrivis, – avec quel amour et quel soin, mon vieux manuscrit, vous êtes là pour le dire ! – l’histoire de Stéphanette, qui n’était pas tout inventée par moi, loin de là. Hudoux a vécu ; j’ai vu dans mon enfance la rue de l’Aiguillerie, avec ses maisons anciennes, aux pignons pointus, aux façades décorées de croisillons de bois ; et les paysages que je peignais, je les avais sous les yeux : c’étaient nos chers noyers de la Buffeterie, plus touffus, plus gros, plus âgés que le logis lui-même, pas plus verts cependant ; car du lierre, des vignes vierges, des rosiers grimpants, je n’en ai jamais vu tant qu’autour de nos fenêtres. C’était aussi la campagne boisée, incroyablement déserte, silencieuse, enveloppée dans les replis des futaies de Pignerolles. Les chansons mêmes je les avais entendues, et les récits de chouannerie qui m’avaient si souvent fait frissonner, quand mon grand-père les chantait ou les contait, lui dont le père s’était battu en ce temps-là.
Stéphanette parut signée d’un pseudonyme, naturellement. Ce fut le dernier feuilleton de l’Union, qui cessa de vivre en même temps que le prince dont elle servait la cause. Le dernier numéro du journal est, je crois, celui où la mention « fin » est mise au bas de « Stéphanette, par Bernard Seigny », et le contraste était grand, je m’en souviens, entre les articles de deuil dont il était rempli et ce dénouement d’une histoire d’amour si joyeux et si jeune.
Oui, très jeune : je le sais, et je n’y change rien. Il se trouvera des âmes jeunes aussi pour l’aimer. Le monde se renouvelle. Pourquoi ne pas laisser à notre pensée d’autrefois l’accent qui lui convenait et l’exprimait alors ? Si nous avons changé, d’autres sont nés après nous, qui s’épanouissent à présent sur l’arbre toujours en fleur de la vie ; ils ont repris nos rêves anciens, notre ancienne et douce confiance dans l’avenir, et le goût charmant de l’idylle qui dure un seul moment. Ce livre, qu’on réimprime, je le dédie à ceux-là. Ils ont l’âge que j’avais, et l’âme heureuse dont je me souviens.
R.B.
Les Rangeardières, 2 mai 1896.