Élizabeth, ma chère fille,
Si tu lis ces mots, c'est que je ne suis malheureusement plus là pour voir le soleil se lever avec toi. Pourquoi même appeler au malheur lorsque, possiblement, ma disparition marquera le début de ton épanouissement ? Tu n'as fait qu'exister aux travers des souffrances de ta famille, mais jamais, tu n'as savouré la vie.
Je me rappelle la dernière fois où je t'ai vu heureuse. C'était un jour d'automne, peu avant que la dépression ne gagne ce combat contre ta mère, tu avais sept ans. Nous avions tenté de faire voler ce cerf-volant rapiécé dans le parc derrière notre vieille maison. Le vent ne collaborait pas, et après tant d'échecs, au lieu de te voir pleurer, tu as éclaté de rire, transformant notre défaite en un moment de joie pure. C'est ce rire, clair et insouciant, que je regrette de ne pas avoir entendu plus souvent.
Maintenant, je te laisse cet héritage, mais je me demande, qui sera là pour voir l'éclat dans tes yeux lorsque tu trouveras la robe parfaite pour une occasion spéciale ? Qui partagera le rire contagieux que j'imagine échapper de tes lèvres, lors d'une soirée entre amis, où le vin sera juste un prétexte pour célébrer la vie ?
Te souviens-tu, Élizabeth, de ces jours où le silence semblait être un membre de plus dans notre famille ? Qu'aurais-je dû dire pour briser ce silence, pour te montrer mon amour ?
Oui, je me souviens de nos matins taiseux, moi, égarés dans mes pensées, toi, perdue dans les dessins de tes céréales. Ces matins me manqueront peut-être dans l'au-delà, même si je reconnais ne jamais avoir su les apprécier à leurs justes valeurs.
Je me sentais impuissant seul à t'élever. Je ne voulais pas échouer tout comme mes parents l'ont fait. Mais à la fin, à trop vouloir fuir mon passé, j'ai nourri une malédiction générationnelle ; celle de la dépression.
Je peux presque voir ton froncement de sourcils, ma chère, en lisant mes mots, te demandant pourquoi je n'ai jamais su dialoguer avec toi, mais te laisse autant de pages à lire.
Au moment où j'écris sur cette feuille blanche, nous sommes le soir du 24 décembre 2001 et tu as huit ans maintenant. Le matin, en me rendant à l'entreprise, j'ai vu des parents dans les magasins, se réjouissant en pensant sûrement aux expressions que feront leurs enfants devant les fables de Noël et les cadeaux sous le sapin.
Je me suis arrêté quelques minutes, et je n'arrivais pas à sourire. Mon cœur s'est même effondré lorsqu'une vendeuse s'est approchée de moi et m'a proposé de l'aide. Je ne savais pas quoi lui dire. Oui, j'avais besoin d'aide pour trouver le cadeau parfait, mais je ne savais pas à quoi il ressemblait. Je ne connaissais pas tes goûts, ni ta couleur préférée et encore moins les odeurs qui te font danser la langue et les poèmes te donnant la chair de poule. D'ailleurs, je ne me souviens même pas t'avoir vu sourire un jour après le décès de ta mère.
Ainsi, je suis ressortie de la boutique, baissant la tête et j'ai continué mon chemin.
Je sais, après la tragédie qui a frappé notre famille, on n'a plus fêté Noël, ni même nos anniversaires. J'avais peur de ne pas arriver à te faire sourire sans être aidé par ta mère. Ces explications ne sont pas des excuses, simplement, un éclaircissement sur mes agissements.
Je te demande pardon de ne pas avoir été un père. En effet, j'ai été un tuteur dans ta vie et rien de plus.
Un papa en réalité n'a pas peur d'essayer pour son enfant. Il s'excite de voir l'expression faciale de ce dernier face à un cadeau ou à un tour de magie. Oui, il s'excite d'offrir ce qu'il peut, il ne se prive pas de le faire alors qu'il en a la possibilité.
J'ai voyagé, j'ai vécu ma vie dans l'égoïsme et mon incapacité à être un homme a tué deux femmes que j'ai aimées ; ta mère puis toi. Oui, aujourd'hui, tu tiens sur tes pieds, mais j'ai vu ton âme prendre une balle dans la tête, le jour où tes yeux sont tombés sur son corps flottant dans la baignoire.
Te demander pardon n'effacera pas le passé. Seulement, vois-tu, pendant ces fuites que j'ai faites loin de mon épouse —alors qu'elle avait besoin d'amour et d'affection, j'ai rencontré un homme. Un vrai, qui m'a parlé d'une personne qui a donné sa vie pour nous. Une personne capable de guérir les blessures de notre famille et de nous faire renaître.
J'ai eu peur de la rédemption, car je pensais ne pas la mériter. Cependant, mon vœu le plus cher, est que tu entames le chemin qui mène à la guérison.
Ma tendre fille, je t'en prie, rends-toi à l'adresse qu'il y a derrière cette lettre. Va voir le père André et dis-lui que tu viens de ma part. En sa personne, j'espère que tu trouveras plus qu'un guide spirituel. Que tu trouveras un chemin vers la résurrection, qui t'ouvrira les portes d'un avenir où la joie et l'amour ne seront plus des étrangers.
Possiblement la colère, la tristesse, peut-être même la trahison, remplissent ton cœur à la lecture de ces lignes. Tout de même, crée une place en toi pour le pardon et la compréhension.
Prends le temps, je t'en prie, de réfléchir à mes mots, à nos vies, et à ce que tout cela signifie pour toi. Ton ressenti face à ces révélations m'importe, même si je ne suis plus là pour l'entendre.
Je rêve que tu découvres ta propre voie, pleine de passion et de joie. Que tu trouves des amis qui te comprendront et t'aimeront pour qui tu es, et que tu vives des aventures qui te feront éclater de rire.
Je t'embrasse très fort,
Ton père, Benoît.