Cher père,
Tes mots m'ont atteint au plus profond de mon être, et je peine à exprimer toutes les émotions qui tourbillonnent en moi. J'ai longtemps porté sur mon dos le fardeau du silence qui régnait entre nous, un silence que seule la mort a réussi à briser apparemment.
Je sais que tu ne verras jamais cette lettre, et j’hésite entre pleurer et en être amusée. Tu as fini par avoir le dernier mot à une conversation que nous aurions dû avoir des années plus tôt. D'ailleurs, je n'aurais pas détesté avoir la même discussion avec toi chaque matin. Tout ce que je voulais était d'entendre le son de ta voix, que mes pas de danses enfantines soient encouragés par le son de tes rires et les chants de ta voix grave.
Au début, je dois t’avouer qu'en voyant ces excuses, la première chose que j’ai voulue faire, c’est déchiré ta lettre. Qu'elle soit réduite en morceaux, tout comme mon cœur fut mutilé, le jour où j’ai vu les yeux de maman peints en blancs, son corps flottant dans la baignoire. Blancs comme les nuages qui s’effondrent en larmes, blancs comme la robe d’une mariée qui est appelée finalement à vivre sous l’ombre d’un homme. Ses yeux étaient blancs et sans vie.
La seule raison pour laquelle je n'ai pas fait voler ce bout de papier que tu m'as laissé en éclats, c'est parce que… À vrai dire, j'espérais avoir tort d'être en colère contre toi. Je désirais au fond de moi que la destination où tu m'as invité à aller, me donnerait l'envie de réparer la fenêtre brisée qui donne vue sur les douleurs de notre passé.
Lorsque je garderai sans doute près de moi ta lettre, je ne suis toujours pas sûr de ce que je ferai de la mienne, que tu ne liras indéniablement jamais. J'hésite à, soit la poser près de ta tombe ou la remettre à cet homme dont tu m'as parlé.
La curiosité a régné sur moi, tu sais, et je me suis rendue vers ce monastère.
Depuis que je suis revenu d'ailleurs, je souhaite pour toi que tu aies trouvé le chemin de ce Dieu dont le Père André m’a parlé.
Père, ou papa, je ne sais plus t'appeler, tu disais avoir rencontré cet homme pendant de ces absences ; lorsque tu nous délaissais, maman et moi. Or, Père André m'a avoué des secrets. Ils vous connaissaient depuis bien longtemps.
Tu n'as jamais parlé et quand tu le faisais, tu perlais toujours la vérité pour ne pas avoir à donner de longs discours et des explications. Tu aurais dû toi-même m'expliquer qui il était pour vous, au lieu que je ne découvre certaines vérités de la bouche d'un inconnu.
On a discuté pendant des heures, lui et moi. Il m’a décrit maman comme si je découvrais une personne que je n'avais jamais connue. Je la voyais silencieuse dans la maison, lorsque avec lui, elle semblait bavarder énormément.
Alors que je m'en voulais déjà de ne pas être arrivée des minutes plus tôt dans la pièce de son dernier acte pour la sauver, mon âme s'attristait encore plus après les révélations du Père. J'avais mal de ne pas avoir pu être cet enfant avec qui elle se serait sentie assez en confiance pour ne fusse que parler de Dieu. Je me demandais pendant qu'il discourait, à quoi avais-je réellement servi dans vos vies ? Je n'avais ni pu la sauver, ni pu être une confidente pour ma mère.
Des récits de mon ancienne meilleure repassaient ensuite dans ma tête. Tu sais, celle qui n'était jamais assez présentable selon toi pour que je marche avec elle. Elle répétait à chaque fois qu'elle en avait l'occasion combien sa mère avait été déclarée stérile, mais avait miraculeusement eu cette Grâce de Dieu. Tu devines maintenant d'où vient son prénom, Grâce.
Elle était fière d'elle malgré ce que tu disais de sa famille, car ils la rappelaient chaque jour la bénédiction qu'elle était. Mais dis-moi papa, qu'ai-je exactement été pour vous ?
Et aujourd'hui, je profiterai à te dire pourquoi est-ce que j'aimais cette fille extravagante que tu détestais. Elle me faisait sourire. Oui, tu l'as bien entendu, après le décès de maman, il m'est arrivé de sourire. Seulement, ce n'était que grâce à l'amitié.
C'est bien beau pour un parent de juger les fréquentations de son enfant, mais vous arrive-t-il même souvent de vous poser la question de savoir pourquoi on se tourne vers ces gens ? Vous êtes vous déjà demander ce que l'on cherche dans ce qui vous dégoûte autant ?
Ces personnes nous font peut-être tomber, mais elles nous font sentir aimer.
Et même, connaissez-vous même vos enfants ? Me connaissais-tu papa ?
Peut-être étais-je comme Grâce, et je ne te souriais jamais, car tu ne voulais pas apprécier mon âme telle qu'elle est.
Je ne suis pas un chien que l'on dresse pour qu'il exécute toutes commandes, car son monde ne tient qu'à son maitre. Bien qu'adulte, je suis une enfant. Une enfant qui a été une petite fille en recherche d'une éducation. Une enfant qui avait besoin d'apprendre dans un lieu où on acceptait ses gouts et ses passions tout en lui montrant avec amour les chemins à ne pas emprunter.
Je cherchais un endroit où on me donne des consignes et des ordres de ne pas courir dans la vie, que l'on m'éduque sur le respect. Mais pas que l'on me coupe les jambes pour que je ne marche pas et les ailes pour que je ne parte pas trop loin.
Je n'avais pas besoin d'une cage ou on m'impose d'être heureuse sous prétexte qu'elle est en or.
Toutefois, Père André m’a ensuite montré tant de choses que maman avait faites pour l’église, que cela m’a donné envie de courir après ce Dieu. Oui, je veux désormais connaître quelle est cette personne chez qui maman trouvait refuge. Qui est cette personne qui était capable de faire parler une femme qui agissait dans son foyer comme si son droit de parole lui avait été retiré ?
Selon le récit de Père André, vous vous étiez mariés là-bas, un an avant ma naissance.
Ce jour, il avait vu le désespoir profond de l’âme de maman et c’est pour ça qu’il n’avait pas hésité à vous recontacter pour avoir des nouvelles.
Il fut surpris de voir maman arriver comme une fugitive, le foulard cachant sa face pour ne pas être reconnue dans la ville, après que tu as pourtant assuré au téléphone que tout allait bien entre vous. Ce jour-là, au moment où elle commençait à raconter son histoire, la pluie tomba du ciel. Elle se mit alors à pleurer et avoua au Père André qu'elle sentait pour la première fois la compassion de Dieu.
Chaque aspect de votre histoire m'enrageait. Il parait que maman avait été vendue à ta famille. Cela les importait peu que tu prennes une ou dix épouses. Ils avaient acheté ce qu'ils pensaient allait leur être rentable.
Grand-père était mort avec des dettes et grand-mère n'avait pas assez de moyens pour protéger sa fille. Elle acceptait donc que l'argent que son défunt mari devait, soit finalement considéré comme la dote de tes parents.
Il paraît aussi que vous étiez tous croyants. Pourtant, aucune de ces conduites ne fait preuves de bonnes morales. Encore moins le fait que tu aies a***é de maman, provoquant l'indignation des oreilles qui entendaient les ragots comme quoi, elle était dorénavant impure. Grand-mère supplia ta mère afin d'arrêter ce supplice, et la solution fut de précipiter la date du mariage. Vous la traitiez tous comme ce qu'elle était à vos yeux en fait ; une marchandise vendue.
Maman n'avait d'ailleurs pas eu le temps de finir ses études, qu'elle te disait déjà oui le jour de son dix-huitième anniversaire, alors que tu avais vingt-trois ans et venait d'avoir ton bachelor.
J’ai toujours détesté l’autorité masculine. Ainsi, en apprenant tout cela, mon cœur s'est encore plus endurci. Savoir que tu n’avais été qu’un profiteur, un lâche… causait à la colère et la haine de m’envahir.
Pourtant, j’ai continué d’écouter cet homme parler. En réalité, je me demandais pourquoi est-ce que tu m’avais demandé de me diriger là-bas, alors que tu n’avais été qu’un homme qui ne méritait juste pas le pardon d’un quelconque dieu.
Puis Père André avouait finalement que maman avait été comme, un verre d’eau pour toi dans le désert. Qu'elle t’avait aidé à comprendre mieux la vie, mais à quel prix dis-moi papa ? Au prix de son bonheur à elle ?
Tu as aspiré toute sa joie de vivre et sa jeunesse.
Je ne sais pas si un jour, j'arriverai à te pardonner. Je ne sais pas si un jour, j'arriverai à savoir réellement qui ont même été mes parents.
Il m’a dit que pendant votre mariage, maman partait de temps à autre là-bas. Elle déguisait ses visites comme des excursions au marché pour faire des courses, parce que tu lui interdisais de trop sortir pendant que dans la ville, on te voyait avec d'autres femmes.
Puis, il fut saisi un jour de te voir arriver là-bas, de tomber sur tes genoux et de pleurer face à lui. Tu l'implorais d'intercéder auprès de Dieu pour maman. Que Dieu sauve ta femme, comme tu pressentais que dans bientôt le mal arriverait. Maman venait d'être diagnostiquée d'un cancer.
Et alors que tu m'avais relaté quand je n'étais qu'une petite fille que c'est la maladie qui l'avait tué, Père André affirmait que c'était plutôt le désespoir. Maman était désespérée, fatiguée et épuisée. Elle savait que Dieu pouvait la guérir, mais elle doutait de vouloir rester aux côtés d'un homme qui lui-même ne désirait pas sortir des ténèbres.
Ainsi, sachant que Dieu pouvait la soigner, et voyant d'ailleurs que la maladie ne l'emportait pas, elle prit un dernier bain. Allumant des bougies parfumées partout dans la pièce, étalant des fleurs colorées partout sur le sol. Tout cela prenait maintenant sens, la boite à médicaments et la bouteille de vin rouge vides, près de la baignoire.
Un verre a éclaté dans mon cœur, des tessons déchirant les veines de mon âme. Je comprenais aussi qu'en réalité, ni maman ni toi n'aviez pensé à moi.
J'ai été en colère pendant un court instant contre elle. Seulement, en repensant à sa vie, j'avais du mal à la haïr. J'avais de la peine simplement pour elle lorsque j'éprouvais de la pitié pour la petite fille que j'avais été. Aujourd'hui, j'ai vingt-cinq ans, mais j'entends encore mes pleurs lorsque j'étais petite, cachée sous le drap, dans le noir, dans ma chambre. Je me sentais seule et il n'y avait personne pour me tenir compagnie. Tu étais toujours en voyage et maman prenait des somnifères comme arme contre l'insomnie de la dépression. Qui m'aurait sauvée ?
La perplexité m'étouffant en pensant au fait que tu désirais la sauver, alors que tu étais celui-là même qui l'avait tué, me poussait à me demander aussi quelle était ton histoire ? Méritais-tu tout autant mon empathie que maman ? Avais-tu toi aussi été un enfant soumis à une volonté extrême de ses parents ? Un enfant qui avait perdu la tête en essayant de se faire comprendre ? Un enfant devenu muet, car il avait jadis bien trop crié ?
Après avoir écouté votre conte, des larmes noyaient mon regard. Et avant même qu’ils ne coulent, j'ai prié au Père André de me laisser m’en aller, promettant que dans bientôt, je retournerai le visiter.
Passe une bonne nuit. J'espère que maman et toi vous vous êtes revus, mais qu’elle est bien heureuse et que tu ne peux plus l’approcher, qu’elle est plus forte, libre et a le courage d'enfin te tenir tête.
À très bientôt, peut-être…
Elizabeth.