Papa,
Je sais, six longs mois se sont écoulés et les feuilles des arbres commencent à pâlir. Là où elles meurent, les hommes voient la beauté de la saison. Pourtant, lorsque les arbres seront totalement nus, les hommes courront s'enfermer dans leurs maisons et se rendront compte de la température glaciale.
Il n'y aura plus personne pour piqueniquer face à l'horizon, plus personne pour louer la beauté de la nature.
Si grincheux sommes-nous, de toujours apprécier l'extérieur sans remercier l'intérieur. En effet, il n'y a que lorsque la chenille devient un papillon qu'on l'adore. Il n'y a que lorsque la nature est au meilleur de sa forme qu'on la félicite.
Heureusement, les arbres nous connaissent bien trop pour tomber ou mourir face aux critiques des hommes. Ils tiennent debout, fiers de la force de leurs troncs et engendrent de nouveaux feuillages dès que le temps se montre plus favorable. Ils ne se fatiguent jamais de reproduire ce schéma. De recommencer après chaque échec. Surement parce que eux au moins savent qui ils sont. Ils savent aussi, possiblement, qu'il existe différentes sortes de beauté et trouvent donc assurance même en hiver.
Oui, ils savent qu'un visage décoré par une belle chevelure peut être tout aussi beau qu'une tête dégarnie. Dans un monde où les caractéristiques de beauté sont limitées, la nature se moque de ce que disent et pensent les hommes. Les arbres continuent d'être fidèles à eux-mêmes. Malgré les moqueries, malgré les maltraitances.
Vois-tu, l'église a adopté des chiens de rues et les a dressés. J'observe les animaux et… étonnement, je me retrouve à être instruite. Ils n'ont pas peur de nous montrer qu'ils nous admirent, ils n'ont pas peur d'aimer même lorsque nous avons des imperfections indélébiles. Ils n'ont pas honte de marcher à nos côtés, même lorsque nous ne sommes pas présentables. Ils voient l'âme, ils n'ont que faire du reste.
C'est amusant comme des êtres traités aussi mal par la majorité, arrive à voir l'importance de l'âme, pendant que nous nous focalisons à continuer de nourrir cette même chair qui ne nous conduit que vers le péché. Ah les pauvres bêtes… Quand je les vois, je me rappelle pourquoi je dois être une meilleure personne. Non seulement pour retrouver la maison qui est aux côtés de Dieu, mais aussi pour arrêter d'infliger ce que j'inflige à la terre. Dieu a donné à l'homme domination sur la terre, et l'homme en péchant a fait tomber plusieurs avec lui.
Cependant, malgré ce que nous infligeons aux animaux, ils vivent, profitent de chaque instant comme si c'était le dernier.
Je me suis amusée à courir avec un chien, et j'ai adoré cela, dans un monde où les adultes ne doivent plus trouver du plaisir à courir, mais doivent observer les autres le faire.
Tu te demandes sûrement pourquoi je te parle de la nature et des animaux. Eh bien, ils font partie des êtres qui aident à mon équilibre mental.
Lorsque je les regarde, je suis époustouflée par toutes les choses que Dieu a pu créer. Derrière chaque âme, aussi distincte qu'elle soit ; humaine ou pas, aussi nombreuses qu'il en existe, derrière chaque âme, Dieu a pu créer quelque chose de particulier. N'est-ce pas fabuleux, que nous soyons si semblables, mais différents à la fois ?
Je souris beaucoup plus ces derniers temps et j'avoue que le chemin de la guérison est étrange. Je pourrais le comparer à une balade en bateau. Il serait possible qu'il y est, tempête et déluge, tu n’as d’autres choix que d’avancer. Si tu restes sur place, tu risques de couler, si tu veux retourner en arrière, tu risques d’y perdre la vie en te battant contre le vent v*****t.
Tellement de questions m’ont fait marcher en rondelle dans le salon de nombreux soirs. D’ailleurs, ce fut un cauchemar de vivre dans cette maison. Ce n’est pas à cause de tous nos problèmes jamais exprimés avant, mais plutôt à cause des ombres de vos pas.
C’est hallucinant, mais je passais devant votre chambre une fois par exemple et je pouvais croire entendre vos voix. La tienne hurlant lorsque celle de maman ne se faisait jamais clairement entendre.
Qu’importe, il fallait que je supporte mes angoisses, je n’avais pas d’autres choix.
À quelle porte pouvais-je aller frapper pour dormir ? Vous étiez ma seule famille et même des amis proches, je n’en avais plus. Cependant, je me suis fait quelques connaissances récemment.
Dans une de mes lettres précédentes, je souhaitais que tu n'aies pas l’occasion de t'approcher de maman. Or, maintenant, je découvre une profonde joie dans les relations humaines. J’espère que… enfin… que vous avez pu vous expliquer. Et surtout, que tu as changé.
Voici donc ce que j’ai décidé de faire avec l’argent que tu as laissé ; je monterais une association chrétienne pour aider les familles affectées psychologiquement et financièrement par le deuil. Je ne les aiderai pas seulement à manger spirituellement et physiquement, mais aussi à se battre.
Non pas que je conseillerai aux gens de s’entretuer pour de l’argent, mais j’essaierai de leur dire de proposer des terrains d’entente à la famille du défunt. Bien sûr, dans le cas où il y a des biens laissés qui causent des querelles. D’ailleurs, ça me rappelle une conversation que j’avais eue avec Abigaël. Je lui avais dit qu'elle ne devait pas autant se battre contre des hommes aussi mauvais pour de l’argent et devrait faire confiance à Dieu pour l’aider à se relever. Elle m’avait répondu qu’elle n’avait rien puisqu'elle n’avait même pas eu la chance de faire des études, car son mari l’avait épousé bien trop tôt.
À ce moment, j'avais eu la confirmation que c’est le Seigneur qui avait organisé notre rencontre. Elle avait la même histoire que maman.
Cette fois-ci, je ne vais pas laisser la mort avoir raison. Je ferai tout pour aider Abigaël et ses enfants, que je considère dorénavant comme mes frères et sœurs.
Avant, ma vie était sans goût, mais de jours en jours maintenant, je trouve de nouvelles raisons de me battre. De nouvelles raisons de tenir bon. De nouvelles raisons de finir la course.
Cela me peine de savoir qu’il a fallu que vous vous en allez de ce monde pour que je puisse fleurir. N’aurai-je donc pas eu l’occasion de partager bonheur et joie avec mes parents ?
Ah la vie… certains enfants aimeraient avoir des parents lorsque d’autres ont une famille qui leur fait sentir une immense solitude.
J’y ai pensé, à tous ces déséquilibres. En fait, nous sommes tellement imparfaits que sans Dieu, rien ne va. Nous glissons, puis tombons.
Je m’apprête à faire une chose que je ne peux pas encore te révéler, mais qui va mettre fin aux mystères de nos vies. Enfin, je ne tourbillonnerais plus entre l’amertume et le pardon. Ou du moins, entre l’indifférence et l’amour. Non, plutôt entre la vérité et le doute, parce que je saurai finalement la réelle histoire de ta vie.
Je ne veux pas hésiter entre l’indifférence et l’amour, puisque même si je découvre que tu étais responsable de tout, je veux aimer, Comme Jésus nous a aimés. Je ne veux pas hésiter entre l’amertume et le pardon, parce que, peu importe ce que je découvre, je ne veux plus être esclave de la haine. Je veux pardonner, comme Jésus nous a pardonnés.
À la prochaine,
Elizabeth.