I
Essai sur les Schwartz
Il y avait une fois, au petit pays de Guebwiller, en Alsace, une famille Schwartz qui était bien honnête, et qui fournissait des Alsaciens à l’univers entier. Les Alsaciens sont généralement bien vus dans le monde, et la famille Schwartz, soit sur commandes, soit d’office, plaçait ses petits avec faveur. Faveur est un mot de terroir ; il se prononce vafeur et acquiert une très suave harmonie en passant par une bouche sachant bien « bârler lé vranzais. »
La famille Schwartz florissait donc, croissant et multipliant avec une évangélique abondance, expédiant ses couvées à Paris, en province, à l’étranger, et nonobstant ces exportations continuelles, gardant toujours en magasin un stock imposant de petits Schwartz et de petites Schwartzesses prêts et prêtes pour l’emballage.
Les chansons vantent la Normandie ; elles ont raison ; nulle contrée ne produit de si belles pommes et de plus jolis avoués ; mais pour le commerce, les sociétés chorales, la bière et l’accent, que la Normandie n’essaye jamais de rivaliser avec l’Alsace ! Un jeune Schwartz, conditionné avec soin et mûr pour la conquête, résume en lui seul toutes les vertus du Savoyard, du Provençal et de l’Auvergnat : il possède la proverbiale économie du premier, l’aplomb vainqueur du second et la chevaleresque délicatesse du troisième. Aussi voyez : je vous mets au défi de trouver en Europe une cité de deux mille âmes qui ne possède au moins un Schwartz de Guebwiller et qui ne s’en félicite au fond du cœur !
En 1825, il y en avait deux à Caen : un commissaire de police aussi probe qu’habile et un pâtissier suisse qui faisait honnêtement sa fortune. Cette date de 1825, à Caen, et le mot commissaire de police vont mettre tout d’un coup peut-être le lecteur sur la voie, et chacun devinera qu’il s’agit ici du fameux procès Maynotte. Peu nous importe. Parmi les causes célèbres, l’affaire Maynotte est une des plus curieuses et des moins connues. Nous invitons d’ailleurs ceux qui croient savoir à ne pas fermer le livre : ils trouveront chez nous autre chose que l’exposé pur et simple de cet étrange méfait.
Le 14 juin de cette même année 1825, un jeune Schwartz, un vrai Schwartz de Guebwiller, arriva à Caen sur l’impériale de la diligence de Paris. Sa mise était propre et dénotait ces soins assidus qui ne réussissent pas toujours à dissimuler la gêne. Il n’était pas grand, mais sa taille bien prise annonçait une constitution saine et résistante. Il avait le poil brun, la peau fortement colorée et les traits pointus. Ce type, assez rare en Alsace, est d’ordinaire modifié de bonne heure par une obésité précoce. J.-B. Schwartz était encore très maigre. Il ne paraissait pas plus de vingt ans. L’aspect général de sa physionomie était une douceur grave, inquiétée par des yeux trop vifs et dont le regard semblait avide.
Son bagage était si mince qu’il put le prendre sous son bras en descendant de voiture dans la cour des Messageries. Les gens qui postulent pour les divers hôtels sont généralement physionomistes, surtout en Normandie : personne ne lui demanda sa pratique. Il se procura l’adresse de M. Schwartz, le commissaire de police, et celle de M. Schwartz, le Suisse pâtissier.
Entre Schwartz parvenus et Schwartz à parvenir, c’est un peu une franc-maçonnerie. Notre jeune voyageur fut très bien reçu chez le magistrat comme chez le marchand ; on lui demanda des nouvelles du pays ; on se montra sensiblement touché de ce fait que son père et sa mère étaient morts tous deux, laissant deux pleines douzaines de Schwartz orphelins en bas âge. Il était l’aîné. En vingt années, sa digne mère avait eu seize couches dont six doubles. Les dames Schwartz sont toutes comme cela, Dieu soit loué.
Il n’eut pas même besoin de dire qu’il venait à Caen pour gagner sa vie ; c’est chose sous-entendue qu’un Schwartz ne voyage pas pour son plaisir. Le commissaire de police et le pâtissier s’écrièrent tous deux à sa vue : « Quel dommage ! si vous étiez venu la semaine dernière… » Mais à présent, Schwartz est installé !
Schwartz était installé chez le Suisse ; Schwartz avait fait son nid au bureau de police : des Schwartz de rechange ; ainsi voit-on, dans les fourrés, des chênes de toutes tailles qui poussent humblement pour remplacer les grands arbres condamnés à mourir.
À l’heure du dîner, notre jeune voyageur se promenait mélancoliquement sur les bords de l’Orne. L’hospitalité de ses deux compatriotes n’avait pas été jusqu’à lui offrir place à table. Il portait toujours son bagage sous son bras, et ses réflexions n’étaient pas couleur de rose. Sans doute, avant de désespérer tout à fait, il lui restait à voir une grande quantité de Schwartz dans les divers départements de la France ; mais ses finances étaient à bout, et son estomac patientait depuis le matin.
« Eh ! Schwartz ! » cria derrière lui une voix joyeuse.
Il se retourna vivement et déjà content. Toute rencontre est bonne aux affamés, car il y a au bout un dîner possible. Cependant, à la vue de celui qui se présentait, la physionomie de J.-B. Schwartz se rembrunit, et il baissa les yeux. Un jeune homme de son âge, très passablement couvert, et dont l’élégance sui generis annonçait un commis-voyageur, venait droit à lui le long du quai, le sourire aux lèvres et la main tendue.
« Comment va, bonhomme ? demanda le nouveau venu avec rondeur. Nous voilà donc dans la patrie du bœuf gras, eh ? »
Il ajouta, après avoir secoué la main de Schwartz, qui resta inerte et froide :
« Comme on se rencontre, tout de même ?
– C’est vrai, monsieur Lecoq, répliqua le jeune Alsacien qui souleva son chapeau en cérémonie, on se rencontre comme cela. »
M. Lecoq passa son bras sous le sien, et Schwartz sembla éprouver une sorte de malaise. Nous devons dire que rien, dans l’apparence du nouveau venu, ne motivait une pareille répulsion. C’était un fort beau garçon, au teint frais, à la tournure crâne, au regard ouvert et hardi. Ses manières pouvaient manquer de distinction comme son costume abusait des couleurs voyantes, mais ces détails devaient importer peu à notre Alsacien. On est prudent à Guebwiller. Les défiances de J.-B. Schwartz doivent donc nous mettre en garde jusqu’à un certain point contre ce flambant M. Lecoq.
« A-t-on dîné ? » demanda celui-ci au bout de quelques pas.
Schwartz rougit, et ses yeux mobiles se prirent à rouler ; mais il répondit :
« Oui, oui, monsieur Lecoq. »
Le commis-voyageur s’arrêta, le regarda en face, et partit d’un éclat de rire un peu forcé.
« Fui ! fui ! mézié Legog ! répéta-t-il, exagérant l’accent de son compagnon. As-tu fini ! Nous mentons comme un polisson, Baptiste ! Ceux qui vous ont dit, mon ami, s’interrompit-il avec une dignité superbe, que j’ai été remercié chez Monnier frères, en ont menti par la gorge ! On ne remercie pas Lecoq, fils adoptif d’un colonel, entendez-vous ? C’est Lecoq qui remercie, quand les patrons ont le don de lui déplaire. Monnier est une simple crasse. J’avais quatre mille chez lui ; Berthier et Cie m’ont offert cinq mille et mes commissions : emballé !
– Cinq mille et les commissions ! répéta l’Alsacien qui passa sa langue sur ses lèvres.
– Du nanan, eh, bonhomme ? Je ne m’arrêterai pas là… Et pourquoi n’êtes-vous plus chez les Monnier, vous ?
– On a réduit le nombre des employés.
– Je vous dis : des crasses… Combien avais-tu ?
– Trois cents et le déjeuner…
– Au pain et à l’eau… Une baraque… Jean-Baptiste, si j’osais m’exprimer avec franchise, je te dirais que tu es un parfait dindon, une poule. »
Schwartz essaya de sourire et répondit :
« Je n’ai pas de bonheur comme vous, monsieur Lecoq. »
Ils avaient quitté le bord de l’eau et montaient la rue Saint-Jean. Le commis-voyageur haussa les épaules et prit un ton doctoral.
« Dans le commerce, Jean-Baptiste, professa-t-il, il n’y a ni bonheur ni malheur. C’est la façon de tenir les cartes, voilà, eh ?… Et la manière de risquer son tout… Moi qui parle, dès que je trouverai un cheveu dans Berthier et Cie, je m’envolerai vers d’autres rivages avec huit mille de fixe ou davantage…
– Vous devez faire de rudes économies, monsieur Lecoq ! » interrompit Schwartz avec une naïve admiration.
M. Lecoq quitta son bras pour lui donner un maître coup de poing dans le dos.
« Le jeu, le vin, les belles ! dit-il. Je suis un jeune fils de famille, et les poules mouillées ne font jamais fortune, eh, bonhomme ! »
En même temps, il fit pirouetter Schwartz, et le poussa sous la porte-cochère d’une grande vieille maison qui avait pour enseigne cet illustre tableau représentant un volatile haut jambé, marchant sur la crinière d’un lion avec la légende : Au Coq hardi.
J.-B. Schwartz se laissa faire, parce qu’une violente odeur de cuisine le prit par les narines comme la main du dompteur saisit le taureau par les cornes.
« La fille ! cria M. Lecoq de ce ton impérieux qui pose les commis-voyageurs dans les hôtels. Maman Brulé ! père Brulé ! quelqu’un, que diable ! Tout le monde est-il mort ? »
Maman Brulé montra, au seuil de la cuisine, un vénérable visage de sorcière. M. Lecoq lui envoya un b****r et dit :
« Puisque je retrouve un ami si fidèle, et que la table d’hôte est en train depuis une demi-heure, servez deux festins à quatre francs par tête dans ma chambre… Et distinguez-vous, eh, mon cœur ! »
Il fut récompensé par le sourire sans dents de l’hôtesse.
« C’est ici que je respire, quand je viens à Caen, poursuivit-il en montant les marches déjetées de l’escalier. On m’y donnerait les ardoises du toit à crédit. Mais je n’en ai que faire, eh, bonhomme ! Prenez la peine d’entrer. »
J.-B. Schwartz entra sans résistance, cette fois. L’odeur des casseroles avait agi sur la partie sensuelle de son individu. Je ne sais quel vague écho des récentes paroles de Lecoq chantait autour de ses oreilles « Le jeu, le vin, les belles ! » Le jeu, néant ; mais il ne détestait pas le vin, et, quoiqu’il eût les vertus de la misère circonspecte, la pensée d’aimer mettait son âme en moiteur.
Ces gens d’Alsace ont beau être tardifs, vienne l’août, ils bourgeonnent.
C’était une chambre d’auberge, laide et malpropre. À peine entré, M. Lecoq se précipita vers l’escalier et cria d’une voix retentissante :
« La fille ! papa Brulé ! maman Brulé ! »
Et quand on eut répondu :
« Mon carrosse pour huit heures ! militaire ! Il faut que je sois à Alençon demain matin ! »
En revenant vers son convive, il ajouta négligemment : « La maison Berthier me passe un cabriolet et un cheval, eh ?… Et dans cette saison, je circule la nuit pour ne pas me gâter le teint.
– Si j’osais… commença J.-B. Schwartz d’un ton insinuant.
– Me demander une place dans ma charrette ? interrompit Lecoq.
– Oui…
– Fui !… Eh bien ! n’osez pas, Jean-Baptiste, eh !… nous allons causer tout à l’heure, bonhomme : j’ai d’autres projets sur vous, pour le moment. »
Une expression de défiance envahit de nouveau les traits de notre Schwartz, qui murmura :
« Vous savez, monsieur Lecoq, je ne suis qu’un pauvre garçon…
– Bien ! bien ! Nous allons causer, vous dis-je. On prend l’engagement formel de ne pas exiger de vous, seigneur, l’invention de la poudre à canon. »
En parlant, il faisait sa toilette, changeant son habit de ville contre un costume de voyage. Quand la servante vint avec les plats, il ouvrit sa malle à grand bruit.
Partant pour la Syrie, s’écria-t-il, je veux payer ma note. Qu’on me l’établisse au plus juste prix, jeunesse, eh ! sans oublier que je jouis de la remise du commerce… Et de l’avoine à mon coursier !
J.-B. Schwartz n’était pas peut-être le roi des observateurs ; cependant, il voyait clair, et il lui parut que M. Lecoq posait solidement son départ, comme on dit en termes de métier théâtral. Il devint attentif ; et, certes, à supposer que M. Lecoq voulût jouer vis-à-vis de lui une comédie, l’auditoire était surabondamment en garde.
Mais cela ne servait à rien avec M. Lecoq, qui était, nous allons bien le voir, un tacticien très original et de première force.
« As-tu vu l’enseigne ? demanda-t-il brusquement en prenant place à table. Au Coq hardi. C’est ce qui a déterminé mon choix, eh ! Jean-Baptiste ? Je suis Lecoq et je suis hardi. Déboutonnons-nous : j’ai peut-être besoin de vous, bonhomme, et je paye comptant. Je suis en fonds. La vente a bien marché ici : j’ai livré avant-hier à M. Bancelle, le plus fort banquier de Caen, une caisse à secret et à défense, nouveau modèle, dont il est amoureux fou. On ne parle que de cela dans la ville. Tous les banquiers de Normandie demanderont des caisses pareilles, et j’aurai un intérêt dans la maison Berthier quand je voudrai. À ma santé ! »
Il but un verre de vin sur sa soupe et poursuivit :
« Pourquoi, parce que je suis le coq hardi, entrant partout, jolie tenue, parole élégante, facilité d’élocution et le reste… Toi, bonhomme, vous êtes la poule, eh ! redingote râpée, bourse plate, timidité du malheur !… Il y a donc deux Schwartz à Caen : je mets toujours le doigt sur la chose du premier coup, vous savez bien… Les Schwartz, c’est comme les Hébreux, ça se contre pousse dans le monde, mais petitement, oui ! Après la carpe, c’est l’Alsacien qui est le plus mou et le plus froid des animaux… Pas de place chez le pâtissier, pas de place chez le commissaire… Alors, voilà mon pauvre bonhomme qui veut partir pour Alençon chercher d’autres Schwartz : c’est bête, eh ! »
Ces choses étaient tristes à entendre ; pourtant, puissance de l’appétit ! notre jeune ami mangeait assez bien en les écoutant. Manger fait boire ; ce généreux Lecoq lui versait du vin pur. Il est vrai que le vin des auberges de Normandie est illustre dans les cinq parties du monde, que nulle part ailleurs on n’en peut déguster d’aussi aigre, d’aussi lourd, d’aussi formellement détestable, qu’aucun chimiste jusqu’à ce jour n’a pu trouver les substances nuisibles qui entrent dans la composition de ce cruel breuvage ; mais, d’une part, ceux qui viennent de Guebwiller ne sont pas difficiles, et, d’autre part, l’exemplaire sobriété de notre pauvre ami lui faisait une tête plus faible que celle d’une fillette. À mesure que le festin à quatre francs suivait son cours fastueux, ajoutant le bœuf à la mode au fricandeau et l’omelette au bœuf à la mode, J.-B. Schwartz sentait naître en lui une chaleur inusitée ; il devenait un mâle, parbleu ! et se surprenait à envier les hardiesses de M. Lecoq.
Dans ce petit monde des employés parisiens où J.-B. Schwartz avait vécu déjà quelques mois, Lecoq n’avait pas la meilleure de toutes les réputations ; on ne connaissait bien ni ses antécédents, ni ses accointances ; il courait même sur lui des bruits fâcheux et assez graves, mais aucun fait n’était prouvé et l’envie s’attache toujours aux vainqueurs. Lecoq était un vainqueur : cinq mille francs d’appointements, ses commissions et voiture ! Il n’y avait pas, en 1825, beaucoup de commis-voyageurs arrivés à ce faîte des prospérités. J.-B. Schwartz le regardait d’en bas humblement, respectueusement ; chaque verre de vin normand ajoutait à la somme de ses admirations. Au dessert, si l’on eût mis d’un côté toutes les joies de ce Lecoq, de l’autre toutes les vertus d’Alsace, je ne sais pas si la conscience de J.-B. Schwartz eût versé à droite ou à gauche.
Il était honnête, pourtant, je l’affirme, en ce sens qu’il ne vous eût pas trompé d’un centime sur une facture faite : reste à savoir comme on fait la facture.
Le fromage était sur la table, ainsi que les quatre coudes de nos deux amis, et ils causaient.
« C’est une femme mariée, disait ce don Juan de Lecoq. Tu comprends, Jean-Baptiste, à nos âges, on n’est pas de bois… »
Et J.-B. Schwartz fit un signe d’assentiment, le lâche !
« Avec les femmes mariées, reprit Lecoq, il ne s’agit pas de plaisanter ; il y a le Gode.
– Alors, n’y allez pas ! » s’écria Schwartz sur qui ce mot produisait un effet extraordinaire : nouvelle preuve de son honnêteté alsacienne.
Mais Lecoq mit la main sur son cœur et prononça d’un accent dramatique :
« J’en tiens, bonhomme, eh ! Plutôt mourir que de renoncer au bonheur !
– D’ailleurs, reprit-il avec moins d’emphase, on a le fil, Jean-Baptiste. Toutes les précautions sont prises et j’ai une lettre, signée de moi, qui voyage en ce moment dans la malle-poste. Elle sera jetée demain matin dans la boîte d’Alençon, à l’adresse du papa Brulé, pour lui réclamer mon jonc à pomme d’argent, qui est là dans le coin, et que je vais oublier en partant.
– Ah ! fit Schwartz. Tout ça pour une amourette ! »
M. Lecoq emplit les verres. Il porta le sien à ses lèvres et profita de ce mouvement pour examiner son compagnon à la dérobée. On était à la fin de la troisième bouteille, Schwartz avait dîné copieusement.
« Ça ressemble, murmura-t-il, aux histoires qui sont dans les journaux. Comment appellent-ils cela, à la cour d’assises ? Fonder un alibi, je crois. »
M. Lecoq éclata de rire.
« Bravo, bonhomme ! s’écria-t-il. On fera quelque chose de toi ! vous avez trouvé le mot du premier coup, Jean-Baptiste, eh ! Un alibi ! c’est précisément cela, parbleu ! Je fonde un alibi pour le cas où le mari voudrait me causer des désagréments. Tout n’est pas rose dans l’état de séducteur, non ! il y a aussi les coups d’épée, et le mari est un ancien militaire !… La fille ! le café et les liqueurs ! chaud ! »
Tout ceci fut prononcé avec volubilité, parce que M. Lecoq voyait un soupçon naître dans le regard alourdi de son convive.
« Ce n’est pas moi qui me mettrais dans des embarras pareils ! pensa tout haut ce dernier, plein de cette douce fierté que donne la sagesse.
– Jean-Baptiste, poursuivit M. Lecoq en lui versant une ample rasade d’eau-de-vie, votre tour viendra ; vous connaîtrez l’ardeur effrénée des passions… Mais je n’ai pas tout dit, eh ! Le mari est l’ami intime du commissaire de police. »
J.-B. Schwartz recula son siège.
« Monsieur Lecoq, déclara-t-il résolument, vos affaires ne me regardent pas.
– Si fait, bonhomme, si fait, répliqua le commis-voyageur. Il y a un boni…
– Je ne veux pas… commença l’Alsacien.
– Le roi dit : nous voulons, ma poule ! Je te paye cent francs, comptant, sans escompte, un mot que vous direz, ce soir, à l’oreille du commissaire de police, tout doucement et sans malice… Histoire de rire, quoi ! et d’obliger papa. Voilà. »