Chapter 1
PrésentationRoman méconnu d’Alexandre Dumas, Les Louves de Machecoul s’avère pourtant une œuvre riche et palpitante, empreinte du puissant souffle romanesque, que l’écrivain a su construire et s’approprier au fil d’une œuvre considérable, au point de parler aujourd’hui d’un style « à la Dumas ».
Les Louves de Machecoul font partie des nombreux romans méconnus de l’écrivain, dont l’œuvre total dépasse les quatre-vingts ouvrages (pièces de théâtre, biographies, romans…). Ecrit en 1858 (quatorze ans après Les Trois Mousquetaires), ce roman fut écrit par l’un des nègres de Dumas, Gaspard de Cherville. Alexandre Dumas, comme d’autres auteurs de feuilleton à succès de l’époque, était aidé de plusieurs nègres pour assumer la rédaction du nombre considérable d’histoires écrites parfois la même année ; en 1845, Dumas publie par exemple quatre ouvrages majeurs dans son œuvre : Vingt ans après, Le comte de Monte-Cristo, Une fille du régent et La reine Margot.
Gaspard de ChervilleNé en 1821 à Chartres, le marquis de Cherville, passionné de chasse et de lecture, épousa très jeune une dame de l’aristocratie à qui il ne s’attacha jamais. En 1844, il s’enfuit à Paris, où il devient gratte-papier, et amant de la comédienne Constance Davenay, qui lui donnera deux enfants. Mais sa famille scandalisée par sa conduite le presse de s’éloigner. En mai 1852, il s’exile donc à Bruxelles.
C’est là qu’il rencontre Alexandre Dumas, réfugié également à Bruxelles pour des raisons financières, au 73 boulevard de Waterloo où il accueille des compatriotes, comme Victor Hugo ou l’éditeur Jules Hetzel. En 1853, ce dernier offre à Gaspard de Cherville la place de codirecteur du Théâtre du Vaudeville de Bruxelles. Cherville y fera jouer la pièce de Dumas, La Jeunesse de Louis XIV, interdite par la censure impériale, où il donnera le rôle de Marie Mancini à sa maîtresse Constance Davenay. Mauvais gestionnaire, Cherville se retrouve bientôt sans emploi et sans ressources.
En mai 1855, l’éditeur Jules Hetzel l’invite à le rejoindre à Spa, pour en faire son copiste et le précepteur de son fils. Cherville corrige les épreuves des Contemplations de Hugo, et écrit pour son propre compte. Hetzel lui propose d’écrire les histoires qu’il racontait à Dumas à Bruxelles, et que ce dernier appréciait. Il rédige alors, en huit jours, Le Lièvre de mon grand-père, l’envoie à Dumas qui accepte aussitôt l’œuvre et propose à Cherville une collaboration régulière. Le Lièvre, signé Dumas, paraîtra en feuilleton dans Le Siècle, en mars 1856, sous la signature de Dumas.
Cherville se lance alors dans l’écriture d’un deuxième roman, Le Chasseur de sauvagine. En 1857, malgré la mort d’un fils et de sa compagne Constance, il achève Le Meneur de Loups et, simultanément, travaille à Black et au plan des Louves de Machecoul. A Paris, Dumas reçoit les manuscrits, puis adresse à son « n***e » de nombreuses recommandations, et remanie les pages de Cherville, dont les romans ne sont pas des chefs-d’oeuvre. Ils doivent être retravaillés, mais le temps manque et les échéances sont trop courtes pour réaliser le travail.
A l’automne de 1857, Dumas rend visite à Cherville afin de discuter des passions qu’ils partagent (la chasse, la gastronomie et le théâtre), mais sans doute aussi des Louves de Machecoul, qu’ils travaillent tous deux depuis quelque temps. La même année, Cherville se réinstalle dans la région parisienne. En 1858, paraît le roman Les Louves de Machecoul.
Jusqu’en 1868, Gaspard de Cherville ajoute cinq romans à l’œuvre de Dumas. Parallèlement, il tentera, sans succès, de faire œuvre personnelle. Seuls quelques-uns de ses contes et sa chronique « La Vie à la Campagne », publiée dans Le Temps, de 1870 à sa mort en 1898, lui vaudront, une notoriété éphémère. Gaspard de Cherville aura surtout été le dernier « n***e » de Dumas.
Dumas et ses nègresCertains seront peut-être surpris de la présence de ces nègres dans l’œuvre de Dumas : Gaspard de Cherville, ou Auguste Maquet (plus reconnu du fait de sa participation à l’écriture des Trois Mousquetaires). Mais cela ne retire rien au talent de Dumas. Son œuvre reste considérable et, auteur de feuilletons, il ne pouvait seul assumer ses commandes, préférant s’attacher la collaboration d’hommes de talent. On dira de Dumas qu’il n’avait pas l’imagination créatrice, mais qu’il demeurait un merveilleux metteur en scène ayant besoin de scénaristes.
Dumas respectait et estimait ses « collaborateurs ». A Bruxelles, il découvrit et apprécia les histoires que lui racontait Gaspard de Cherville. Dans les avant-propos du Lièvre et du Chasseur de Sauvagine, Dumas ne cache pas la part de paternité de Cherville. Et il fait mieux : sur la couverture des Louves de Machecoul, il a associé leurs deux noms. S’il l’avait considéré comme un simple n***e, Dumas, sur son lit de mort, l’aurait-il invité à aller le voir en traçant ces mots émouvants : « Mon bon Cherville, nous n’irons plus au bois, non point parce que les lauriers sont coupés, mais parce que je ne peux plus marcher, même au milieu des lauriers » ?
Les Louves de Machecoul fut donc imaginé par Gaspard de Cherville, mais s’insère néanmoins parfaitement dans l’œuvre de Dumas, par sa thématique historique, son encrage géographique, ou l’importance de l’action et du rebondissement.
Les Louves de MachecoulL’intrigue des Louves de Machecoul se déroule entre 1831 et 1832. Mary et Bertha sont les filles jumelles et bâtardes d’un ancien combattant royaliste de 1793, le marquis de Souday. Surnommées « les louves de Machecoul », elles vivent sereinement leur solitude loin de ces médisances. Le sort place alors sur leur chemin deux personnages : le baron Michel de la Logerie, fils d’un bourgeois enrichi par l’Empire, et Marie-Caroline de Bourbon, duchesse de Berry, qui veut offrir le trône de France à son fils en réveillant l’esprit royaliste vendéen.
Dès leur première rencontre, les jeunes filles s’éprennent de Michel qui, pour sa part, tombe sous le charme de la douce Mary et s’engage, par amour pour elle, aux côtés de la duchesse.
Et tandis que l’insurrection vendéenne échoue peu à peu, que certains secrets se révèlent, qu’on découvre les visages de nouveaux personnages, l’histoire d’amour entre Michel et Mary se voit compromise par des malentendus, le temps qui manque, et les événements insurrectionnels.
Si cette œuvre peut être lue au premier degré comme une simple histoire d’amour contrarié, elle pose au deuxième plan le problème des ravages engendrés par les guerres civiles au sein d’une population divisée (les deux frères Picaut du roman, chacun dans des camps adverses, symbolisant cette division).
On retrouve ainsi dans ce roman écrit en 1858, l’ensemble des éléments caractéristiques de l’œuvre de Dumas. La trame historique du roman, le caractère fort des personnages, la représentation du peuple par une formidable galerie de personnages secondaires, attachants et touchants. Le roman fourmille de détails, typique de l’univers romanesque de Dumas : personnage à la force herculéenne, scènes d’auberges, passages secrets, résurrection de celui que l’on croyait mort…
Le thème de la gémellité, donnant ici le titre au roman, est aussi un thème récurrent chez Dumas. Rappelons-nous par exemple le jumeau du roi caché derrière un masque de fer.
Enfin, comme toujours chez Dumas, l’intrigue rebondit sans cesse de coups de théâtre en coups de feu. Les histoires s’entremêlent, et le suspens présent tout au long du roman témoigne de la parution en feuilleton de cette œuvre.
Bien que méconnu, longtemps introuvable dans l’édition contemporaine, comme nombre d’œuvres de Dumas, les Louves de Machecoul reste pourtant un roman passionnant, ancré dans une région et dans un moment particulier de l’histoire de France. De ce fait, et par un style et une histoire à rebondissement, les Louves de Machecoul est un des romans typiques du style « Dumas ». Alexandre Dumas, auteur apprécié et reconnu de tous, mais dont quelques ouvrages célèbres cachent encore aujourd’hui une production considérable, comprenant de beaux romans.
Alexandre DumasAlexandre Dumas est né le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts dans l’Aisne. Son père, Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie, était général de la Révolution française ; d’origine haïtienne et métisse, il mourut en 1805 quand Alexandre n’avait que trois ans et demi. Le jeune Alexandre fut alors élevé par sa mère, et reçut une éducation plutôt simple. Après des études médiocres, il travailla comme clerc chez un notaire, et commença à écrire des pièces de théâtre qui ne furent qu’échecs. En 1823, il s’installa à Paris, où il entra au service du Duc d’Orléans comme expéditionnaire grâce à son sens de la calligraphie.
En 1824, nait son fils Alexandre, qui sera lui aussi écrivain (La Dame aux camélias en 1852). Il continua d’écrire pour le théâtre et connut enfin le succès grâce à la représentation en 1829 de Henri III et sa cour. Le succès ne le quittera plus.
Il sera alors un auteur prolifique (grâce à l’aide notoire de plusieurs nègres, dont Auguste Maquet ou Gaspard de Cherville), et laissera de grandes œuvres, devenues aujourd’hui des classiques, tels les Trois Mousquetaires ou le Comte de Monte-Cristo en 1844. La même année, Dumas fait bâtir le « Château de Monte-Cristo » à Port-Marly. En 1846, il fait construire son propre théâtre où se jouent les pièces de plusieurs auteurs européens, tels Shakespeare, Goethe ou Schiller…
En 1850, le théâtre fait faillite, entraînant Dumas à la ruine, l’obligeant à vendre aux enchères le Château de Monte-Cristo. Mais criblé de dette, poursuivi par plus de 150 créanciers, Dumas doit s’exiler en Belgique en 1851.
En septembre 1870, après un accident vasculaire qui le laisse à demi paralysé, Dumas s’installe chez son fils près de Dieppe. Il y meurt le 5 décembre 1870.
Le 30 novembre 2002, ses cendres furent transférées au Panthéon de Paris.
LES
LOUVES DE MACHECOUL