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Les exploits de Rocambole ou les Drames de Paris

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Minuit venait de sonner à toutes les horloges du boulevard des Italiens.C’était en janvier 1853, un samedi, jour de bal à l’Opéra. Il faisait un froid sec, le ciel était pur, la lune brillait de tout son éclat.Le boulevard était peuplé comme en plein soleil, les équipages se croisaient au grand trot, les piétons encombraient les trottoirs, les dominos et les masques de toute espèce circulaient joyeusement à travers la foule.C’était l’heure où l’Opéra, couronné d’une guirlande de feu, ouvrait ses portes, l’heure où l’orchestre aux cent voix de Musard faisait entendre son premier coup d’archet.

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I
I Minuit venait de sonner à toutes les horloges du boulevard des Italiens. C’était en janvier 1853, un samedi, jour de bal à l’Opéra. Il faisait un froid sec, le ciel était pur, la lune brillait de tout son éclat. Le boulevard était peuplé comme en plein soleil, les équipages se croisaient au grand trot, les piétons encombraient les trottoirs, les dominos et les masques de toute espèce circulaient joyeusement à travers la foule. C’était l’heure où l’Opéra, couronné d’une guirlande de feu, ouvrait ses portes, l’heure où l’orchestre aux cent voix de Musard faisait entendre son premier coup d’archet. Assis devant le café Riche, au coin de la rue Le Peletier, deux jeunes gens causaient, chaudement enveloppés dans leur vitchoura doublé de martre zibeline, à deux pas de leur poney-chaise, dont le magnifique trotteur irlandais était maintenu à grand-peine par un groom haut de trois pieds et demi, vêtu d’un pardessus bleu de ciel à large collet de renard, et chaussé de petites bottes plissées à revers blancs. – Mon cher Gontran, disait l’un des jeunes gens, tu as une singulière fantaisie de vouloir m’entraîner au bal de l’Opéra, un véritable mauvais lieu où on ne va plus depuis quinze ans au moins, et où on ne rencontre que des femmes qui ne sont plus du monde, ou qui n’en ont jamais été. – Mon cher Arthur, répondit l’autre, as-tu lu beaucoup de romans ? – Pas mal. – Tous les romans commencent au bal de l’Opéra : ceux qu’on écrit et qu’on invente, d’abord ; ceux qui se déroulent à travers la vie réelle, ensuite. – La théorie est singulière ! – Elle est vraie. – Est-ce que tu comptes nouer le premier chapitre d’une histoire de ce genre, ce soir ? – Peut-être. – Tu as un rendez-vous ? – Oui. – Avec qui ? – Je ne sais pas. Lis plutôt. Celui à qui son ami donnait le nom de Gontran tira de sa poche un petit portefeuille en maroquin couleur jonquille, et, de ce portefeuille, une lettre assez volumineuse et sans signature qu’il tendit à son ami le vicomte Arthur de Chenevières. Celui-ci la déplia lentement, se fit apporter une bougie, et, avant de lire, il fit cette réflexion : – L’écriture a son esprit ni plus ni moins que les hommes. Telle ronde ferme et pleine dénote le caractère d’un homme froid, calme, résolu. Une cursive allongée, un peu tremblante, trahit généralement une main de femme légèrement émue. La femme qui écrit à sa modiste ou à son homme d’affaires a une écriture toute différente si elle donne un premier rendez-vous à l’homme qu’elle aime... – Ceci est vrai, mon ami. – Or, poursuivit Arthur de Chenevières, la main qui a tracé cette lettre est évidemment une main de femme. – Parbleu ! – Mais elle ne tremblait pas. – En effet. – Donc, tu n’es pas aimé. Le baron Gontran de Neubourg se prit à sourire. – Lis, dit-il, et tu verras qu’il n’est nullement question d’amour entre mon correspondant anonyme et moi. Arthur lut à mi-voix : « Un soir du mois de décembre de l’année dernière, c’est-à-dire il y a six semaines environ, le baron Gontran de Neubourg rencontra sur le boulevard, en face du café Anglais, trois de ses amis qui fumaient leur cigare au clair de lune, en sortant de leur club, où ils avaient joué gros jeu. « Ces trois amis étaient M. le vicomte Arthur de Chenevières, lord Blakstone et le marquis Albert de Verne. » – Bon ! s’interrompit Arthur, ceci est assez bizarre, et ce début m’a tout l’air d’un premier chapitre de feuilleton. – Continue, dit le baron. M. de Chenevières poursuivit : « Le baron Gontran de Neubourg s’en allait seul et rêveur, et si ses amis ne l’eussent abordé, nul doute qu’il eût passé sans les voir. « – Où vas-tu, baron ? dit le vicomte. « – Nulle part. « – Mais encore ? « – Je me promène. « – Sans but ? « – Je rêve... c’est beaucoup. Bonsoir, messieurs ; d’où venez-vous ? « – Du club. « – Où allez-vous ? « – Nous nous promenons. Seulement, au lieu de rêver, nous causons. « – De quoi causez-vous ? « – Lord Blakstone prétend qu’il a le spleen. « – Lord Blakstone a raison : il est Anglais, le ciel est clair. Un Anglais sans brouillard est un corps sans âme. « – De Verne, poursuivit le vicomte, s’ennuie. Il se contente de traduire le mot. « – Et toi ? demanda le baron. « – Je fais comme de Verne. « – Messieurs, dit alors le baron, le plus vieux d’entre nous a trente ans, c’est moi ; le plus jeune vingt-quatre, c’est Arthur ; le plus pauvre a cent mille livres de rente, c’est moi ; le plus riche cent cinquante mille livres sterling de revenus, c’est lord Blakstone. « – Exact ! fit l’Anglais avec flegme. « – Or, reprit le baron, nous avons la même existence, et l’on peut établir ainsi la mesure de chacune de nos journées : « Nous nous levons à onze heures, nous déjeunons à midi. À deux heures on nous voit au Bois, moi et toi à cheval, lord Blakstone dans son poney-chaise, de Verne dans son phaéton. À cinq heures nous jouons au whist ; de neuf à onze heures du soir, on nous rencontre à l’Opéra ; de onze heures à minuit dans deux ou trois salons du faubourg Saint-Germain ou de la rue d’Anjou-Saint-Honoré, et nous allons finir notre nuit au club, pour recommencer le lendemain. « – Et les jours suivants, dit le marquis de Verne, qui s’était tu jusqu’alors. « – Or, reprit Gontran, de Verne est le fils de ce brillant général de cavalerie qui s’immortalisa pendant la retraite de Russie ; toi, vicomte, tu comptes des aïeux aux croisades, et lord Blakstone est le descendant d’un chef de clan écossais qui tint Robert Bruce et toute son armée en échec dans son vieux manoir des monts Cheviot, avec une garnison de bergers et de laboureurs. « – Et toi, ajouta le vicomte, toi, mon cher Neubourg, tu es de race palatine, et ton bisaïeul s’est établi en France à la suite de la fameuse guerre de Trente ans. Un de tes ancêtres est entré seul, le heaume en tête et l’épée au poing, dans la ville de Mayence, où il a cloué son gant sur la porte du prince Frédéric de Prusse. « – C’est vrai, dit simplement le baron. » Le vicomte de Chenevières interrompit sa lecture une seconde fois et dit au baron Gontran de Neubourg : – Ton correspondant anonyme est une femme de tes amies, mon cher, et tu lui auras donné tous ces détails qui sont, du reste, d’une rigoureuse exactitude. – Je n’ai parlé à qui que ce soit de notre conversation, et je te jure, répondit M. de Neubourg, que l’écriture de cette lettre m’est complètement inconnue. – Poursuis donc. Le vicomte reprit : « Les quatre jeunes gens se regardèrent silencieusement pendant quelques minutes. « – Messieurs, dit enfin le baron Gontran de Neubourg, savez-vous que je me trouve fort mal à l’aise en mes habits étriqués, qui ressemblent si peu à la cuirasse de nos ancêtres, que j’étouffe en ce siècle d’argent et d’égoïsme où nous vivons, et que je regrette sincèrement la Table-Ronde et ses douze chevaliers ? « – Moi aussi, dit le marquis de Verne. « – Je pense comme vous, ajouta le vicomte de Chenevières. « – Et moi, dit lord Blakstone, je crois à de certains moments que je suis mon propre ancêtre, et que c’est moi qui ai défendu le manoir de Galwy contre Robert Bruce. « – Hélas ! messieurs, continua le baron, que vous dirai-je ! le temps des chevaliers errants est passé. Si les paladins du Moyen Âge, les Renaud, les Olivier, les Roland revenaient en ce monde, ils verraient que la police correctionnelle s’est chargée de punir les méchants, et que les avocats ont la prétention de défendre la veuve et l’orphelin. « Qu’en faut-il conclure ? « Une simple chose : c’est que des gens comme nous, jeunes, riches, braves, de bonne race, qui, en un siècle moins ingrat, eussent fort bien utilisé leur intelligence, leur fortune, leur noblesse et leur bravoure, sont condamnés à perpétuité au whist à un louis la fiche, et à la promenade à cheval au Bois. « Et cependant, messieurs... « Ici le baron de Neubourg s’arrêta et parut réfléchir profondément. « Puis, regardant le vicomte : « – As-tu lu l’Histoire des treize ? « – Parbleu ! « – Les treize, poursuivit le baron, sortirent armés de pied en cap du cerveau de M. de Balzac, et ils se répandirent à travers le monde, unis par un serment qui se résumait en un mot : S’entraider. Après Balzac on a imaginé, plus ou moins ingénieusement, une foule d’associations. Mais tous ces gens-là étaient des bandits, ils volaient, ils tuaient, ils assassinaient... « – Où diable veut-il en venir ? demanda lord Galwy. « – Eh bien ! messieurs, reprit Gontran de Neubourg, il me vient une fort belle idée. « – Voyons ! « – Nous sommes quatre, quatre amis, quatre hommes d’honneur, dont le seul crime est de s’ennuyer profondément ; je vous propose de fonder à nous quatre l’association des nouveaux chevaliers de la Table Ronde. Nous serons, en plein dix-neuvième siècle, de mystérieux redresseurs de torts, de pieux chevaliers de l’infortune, d’implacables ennemis de l’injustice. Cherchons une victime intéressante, un de ces êtres, homme ou femme, dépossédés, dépouillés, foulés aux pieds, et relevons-le. « – Baron, dit lord Blakstone avec son flegme habituel, je suis de votre avis, et vous me voyez tout prêt à entrer dans votre association. Mais... « Le mais de lord Blakstone était gros d’objections. « – Voyons ? fit M. de Neubourg. « – Mais le jour seulement où vous aurez trouvé de la besogne à cette association... « – Je chercherai, et, comme dit l’Écriture, je trouverai ! « Le jour naissait. Les quatre jeunes gens, qui s’étaient longtemps arrêtés à la même place et n’avaient point pris garde à un homme couché de tout son long sur un banc, échangèrent une poignée de main et se séparèrent. « Maintenant, si M. de Neubourg veut savoir pourquoi on lui rappelle ces détails, qu’il aille ce soir samedi au bal de l’Opéra. Peut-être y trouvera-t-il l’être victime qu’il cherche. « Dans ce cas, il écrira à ses trois amis, le marquis de Verne, lord Blakstone et le vicomte de Chenevières. » La lettre s’arrêtait là, et n’avait pas de signature. – Tu as raison, dit le vicomte en riant, voilà le premier chapitre d’un roman. – En effet... – As-tu écrit à de Verne ? – Sans doute. – Et tu lui as donné rendez-vous ? – Au foyer, à une heure du matin, ainsi qu’à lord Blakstone. – Parfait. – Eh bien ! allons, en ce cas. – Soit, allons ! M. de Neubourg renvoya son poney-chaise et prit le bras du vicomte. Comme les deux jeunes gens avaient dîné ensemble, le baron avait dit simplement au vicomte Arthur de Chenevières : – Ne dispose point de ta soirée, j’ai besoin de toi. La salle de l’Opéra avait été envahie depuis une demi-heure environ par cette cohorte bariolée, hurlante, en délire, qui fait trembler sa voûte et frémir son vaste plancher à chaque bal du samedi. M. de Neubourg et le vicomte se glissèrent à travers la foule, se donnant le bras pour ne point se perdre, et ils gagnèrent ainsi le foyer. – Ah çà, dit le vicomte, il me semble que ton correspondant anonyme ne t’indique aucun endroit de rendez-vous ? – C’est vrai. – Et ne te donne aucun moyen de le reconnaître ? – C’est vrai encore. – Mais, ajouta M. de Chenevières, il te connaît, du moins il t’a vu, et vraisemblablement il t’abordera. Comme le vicomte de Chenevières émettait cet avis, le baron se sentit frapper légèrement sur l’épaule. M. de Neubourg allait se retourner, mais une voix de femme lui dit à l’oreille : – Quittez votre ami, et allez attendre au foyer, sous l’horloge. On avait parlé si bas à l’oreille de M. de Neubourg que le vicomte de Chenevières n’avait rien entendu. – Écoute, vicomte, dit le baron, il pourrait se faire que l’on hésitât à m’aborder si nous ne nous quittions. – Veux-tu que je te laisse ? – Oui. – Où nous retrouverons-nous ? – Dans la salle, près de l’orchestre. – C’est bien, à tantôt. Quand le vicomte eut quitté le foyer, le baron Gontran de Neubourg se dirigea vers l’endroit qu’on venait de lui indiquer, non sans murmurer toutefois : – Il est une chose assez bizarre, c’est que tous les rendez-vous qui se donnent à l’Opéra sont indiqués sous l’horloge. Et le baron de Neubourg, arrivé en cet endroit du foyer, s’assit et attendit. Il y était depuis cinq minutes environ, lorsqu’un domino s’approcha de lui et lui dit : – Baron, voulez-vous m’offrir votre bras ? M. de Neubourg reconnut la voix qu’il avait entendue tout à l’heure. Il se leva avec empressement et offrit son bras. – Sortons de cette foule, dit le domino, et tâchons de trouver un lieu où nous puissions causer. – Venez, madame, dit le baron. M. de Neubourg conduisit l’inconnue à l’extrémité du foyer, où la foule était moins compacte. Là, elle s’assit et lui dit : – Vous allez réunir vos amis cette nuit même. – En quel lieu, madame ? – Où vous voudrez, pourvu que je le sache. – Eh bien ! dans un cabinet de la Maison-d’Or. – Soit ! dit le domino. Puis il tira un rouleau de papier soigneusement cacheté et noué par une faveur bleue. – Quand vos amis seront réunis, poursuivit l’inconnue, vous ouvrirez ce manuscrit et leur en ferez la lecture. – Après, madame ? – Cette lecture terminée, si la femme dont ce manuscrit renferme l’histoire vous intéresse à ce point que vous la jugiez digne de vous faire ressusciter le serment et les exploits des chevaliers de la Table Ronde, vous ouvrirez la fenêtre du salon où vous vous trouverez... – Ah ! dit le baron. – Et vous me verrez apparaître au milieu de vous quelques minutes après. Dans le cas contraire... Le domino parut hésiter. – J’écoute, madame, dit M. de Neubourg. – Dans le cas contraire, ajouta-t-elle, vous jetterez le manuscrit au feu, et vous vous ferez réciproquement le serment de ne jamais rien révéler de ce que vous aurez lu. – Je vous le jure par avance, pour eux et pour moi, madame. – Je vous crois. Adieu, monsieur, sinon au revoir. Le domino tendit au baron Gontran de Neubourg une petite main gantée avec soin, s’esquiva et disparut dans la foule. Alors Gontran se mit à la recherche de ses trois amis. Il trouva le vicomte Arthur de Chenevières dans la salle, près de l’orchestre, le marquis de Verne et lord Blakstone assis dans une loge de pourtour. – Messieurs, dit-il, je ne vous ai donné rendez-vous ici que pour vous inviter à souper. – Singulière idée ! murmura le marquis. – Jolie ! ajouta lord Blakstone, qui était légèrement sensuel. * Quelques minutes plus tard, les quatre amis étaient à table et Gontran leur disait encore : – Messieurs, je vous ai donné rendez-vous à l’Opéra afin de vous inviter à souper ; je vous invite à souper afin de vous lire le manuscrit que voici. Gontran tira de sa poche le rouleau de papier que lui avait remis le domino et le déplia. – Messieurs, poursuivit-il, il y a deux jours que nous nous plaignions amèrement de vivre en un siècle prosaïque où les paladins de la Table Ronde n’auraient plus qu’à se croiser les bras. – C’est vrai, murmura lord Blakstone. – Eh bien ! reprit le baron, quand nous aurons pris connaissance de ce manuscrit, nous verrons peut-être que nous nous sommes trompés. – Bah ! fit le marquis. – Oh ! dit lord Blakstone d’un air incrédule. – Messieurs, ajouta M. de Chenevières, avant de prendre connaissance du manuscrit, priez donc Gontran de vous lire la lettre qui lui a été adressée. – Quelle lettre ? – La voici. M. de Neubourg tendit la lettre à M. de Verne, qui la lut tout bas à lord Blakstone. – Et, dit-il lorsqu’il eut terminé, tu as vu le domino ? – Je le quitte. Il m’a remis son manuscrit ; si vous le voulez bien, nous allons en prendre connaissance. – Voyons ! dirent les trois jeunes gens. M. le baron Gontran de Neubourg sonna et dit au garçon : – Vous ne viendrez que lorsque je sonnerai. Le garçon s’inclina et sortit. Alors Gontran lut à haute voix les pages suivantes.

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