Chapitre 1-2

2270 Words
Les promeneurs parfois, le rencontraient avec effroi, lors de la belle saison. Pensez-donc, vous ramassez des champignons et relevant la tête vous voyez devant vous un être sauvage, barbu, au regard de feu, flanqué, d’un grand coutelas pendant à la ceinture. De quoi vous glacer le sang dans les veines. Heureusement, il était loin d’être belliqueux ; il conseillait au besoin les personnes égarées ou mieux encore, leur indiquait quelques endroits propices à la cueillette des champignons. Il omettait bien entendu de donner les coins les plus prolifiques où cohabitaient en nombre cèpes et girolles. Il sentait mauvais par contre. Le suint des bergers ayant trop longtemps gardé les chèvres. Mais ce n’était pas de sa faute, il n’avait pas d’eau courante dans sa cabane au fond des bois. Il faisait ses ablutions dans un ruisseau qui courait dans les parties basses des lettes, mais l’eau ferrugineuse lui provoquait des irritations. Célibataire endurci, il n’avait que faire d’une famille qu’il eut été d’ailleurs dans l’impossibilité de faire vivre. Il avait fait des petits boulots de droite à gauche, mais son désir de liberté avait vite eu raison des contraintes du travail. Il donnait sa démission et l’on ne le revoyait plus. Son habitat, enfoui au cœur de la forêt lui suffisait. Il allait chaque mois au CCAS de sa commune chercher son RMI avec sa vieille mobylette bleue qui cahotait sur les pistes forestières démolies. Pudique, il demandait à la secrétaire s’il y avait du courrier pour lui. Sans le regarder, cette dernière lui tendait son paiement et lui conseillait d’aller faire un tour vers le Pôle Emploi le plus proche. Il n’en avait cure ; tant que durerait cette manne gratuite, il n’aurait pas à rechercher un stage ou un contrat à durée déterminée. D’ailleurs, quel employeur aurait bien voulu de lui. Il n’imaginait pas se présenter à un entretien d’embauche en costume cravate, on ne l’aurait pas pris au sérieux. Il n’avait que peu de besoins au niveau des femmes ; Les quelques expériences qu’il avait eues s’étaient soldées par des blennorragies carabinées. Il se voyait encore, tout penaud, devant la doctoresse du centre social, expliquant les symptômes et l’endroit de son infortune. Il en rougissait encore à ce souvenir, lorsqu’elle lui demanda de baisser son pantalon. Heureusement, il avait anticipé la situation en partant se laver dans les toilettes automatiques de la place publique. Ce n’était pas évident, car il ne lui fallait rester qu’un quart d’heure dans l’édicule avant que le lavage automatique ne submergea la cabine. Une série de piqûres eut raison de l’infection et il devint méfiant quant aux relations entretenues auprès des demoiselles de petite vertu. Désormais échaudé, il sortit couvert ou se satisfit d’une autre façon. Retrouvant la sérénité dans son home de bois, il consulta le calendrier, observa la lune, regarda la direction du vent et se promit une escapade nocturne pour bientôt. Les mois d’automne approchaient porteurs de la manne nourricière et variée des sous-bois. Il ne comptait plus les bocaux de ceps et les confitures de mûres qu’il stérilisait grâce à son Camping-gaz. Il évitait désormais la cueillette du tricholome équestre, ayant appris les graves intoxications lors d’ingestions répétées. Des nuages lourds et déchiquetés caracolaient dans le ciel ; il n’aimait pas ce qu’il voyait. Un vent v*****t devait sévir là-haut, mais ce n’était pas habituel en cette saison. Un frisson le parcourut ; il ne se souvenait trop bien de la tempête Hortense, qui avait failli mettre à bas sa modeste habitation. Une légère vibration secoua les chênes et passa au milieu de sa colonne vertébrale. Cela dura une seconde. Sa timbale de vin rouge roula au sol et le liquide bon marché disparut, absorbé immédiatement par la terre sableuse. — Un tremblement de terre ! s’écria-t-il. Au loin, un faisan d’élevage, préservé du plomb des chasseurs de l’année dernière, lança son cri de trompette. Un oiseau facile à tirer au cul levé mais difficile à atteindre en plein vol vous diront les chasseurs. Des ramiers dérangés dans leurs amours s’enfuirent des branches protectrices d’un arbre centenaire et un jeune chevreuil fila devant lui comme le vent. Il suivit du regard le miroir, petit bout de queue blanche, puis l’animal disparut dans un fourré. Il se passait des choses anormales cette année ; cela ne lui disait rien de bon. En habitué des bois il sentait bien que quelque chose ne tournait pas rond et que la nature sans cesse malmenée, allait rendre coup pour coup. Heureusement, il avait pensé à reboucher la cantine. Il essuya sa timbale en alu et se versa une large rasade de vin rouge. Il fit claquer sa langue. Le breuvage était à sa convenance, quoiqu’un peu chambré. Il rentra dans sa cabane et s’allongea sur le lit. Sa vie de cénobite reprenait le dessus, tout était sous contrôle. Le couple Leroy louait un studio à Arcachon dans la ville d’hiver. Ils n’étaient pas très fortunés, mais après mûre réflexion, ils avaient décidé de se faire construire un pavillon de plain-pied. Il faut dire que leur immeuble tournait le dos à la grande baie, les privant toute l’année des beautés de la Petite mer de Buch. La ville s’urbanisait à grande vitesse, éradiquant les villas d’antan au profit de grands ensembles dépourvus de charme. La vision panoramique des paraboles, ornant les terrasses des autres grands édifices, engendrait déprime et mélancolie. Seul attrait verdoyant, un petit square situé au bas des tours apportait une note reposante où quelques enfants s’ébattaient en criant. Madame Leroy avait le Blues. Par contre, tout redevenait animé, lors de l’exode massif des touristes de passage. Les magasins d’habillement offraient une débauche de vêtements chamarrés, les vendeurs des rues étalaient leurs marchandises sous le nez des estivants, en bref les odeurs, les couleurs et le mouvement, prenaient le pas sur l’immobilisme des mois frileux où la ville hibernait. Elle aimait la danse, il aimait la philatélie. Deux destins différents qui cependant, s’accommodaient sur d’autres plans. — Il y a des terrains pas chers du côté de la Hume ! Fit Alexandre Leroy en direction de sa femme. C’est dans un lotissement certes, mais les constructions sont libres et donc on peut choisir sa maison sans qu’elle ressemble à celle du voisin ! Béatrice Leroy renifla et appuya un peu plus fort sur le rouleau à pâtisserie. La pâte malmenée accusa le coup et s’allongea de quelques centimètres. Àtrente-cinq ans, pleine d’entrain et de dynamisme, elle souffrait du caractère casanier de son époux, dont l’univers se cantonnait dans la recherche du timbre rare et à quelques sorties dominicales. Solidement charpenté, il possédait une force peu commune et peu de gens auraient pu lui tenir tête, lors d’un affrontement. — Tu comprends, disait-il Si jamais je tombe sur un Collector, comme le One Cent Magenta, je le revends aussitôt et nous solderons notre prêt bancaire. De plus, avec ma force je me garderais pas mal de travaux pénibles ; on fera des économies… Elle renifla un peu plus fort, comme savent le faire les femmes, pour manifester son mécontentement. — Mon pauvre ami ! Tu te fais des illusions avec tes timbres rares il y en a autant que sous les sabots d’un cheval ! Je suis d’accord pour le projet immobilier, mais j’aimerais quand même sortir un peu. Quand nous devrons régler les échéances, nous n’aurons plus d’argent pour nous amuser, autant en profiter maintenant. On entendait les sirènes des chalutiers du port d’Arcachon rentrant de la pêche. Béatrice songea à sa Bretagne natale et son estomac se noua, au moins, là-bas, elle voyait arriver les bateaux. Ici, elle leur tournait le dos. Elle songea amèrement aux prétendants d’autrefois, à tous ces hommes qui l’avaient demandé en mariage ; beaucoup parmi eux jouissaient d’une confortable situation. Que d’opportunités avait-elle manquées ! Il avait fallu qu’elle s’entiche d’Alexandre, lors d’un stage professionnel à Bordeaux. Bien sûr, il n’était pas mal ; bonne éducation, prestance intéressante et sourire ravageur. Elle succomba à son charme sans trop de résistance et s’aperçut un peu tard qu’il n’avait pas terminé ses études ; Il voulait être juriste mais il lui restait encore deux années à la faculté de droit. Les bans rapidement publiés, ils se marièrent et prirent le petit appartement sur la côte, un deux-pièces cuisine au douzième étage. Avec ascenseur, heureusement. Elle trouva un travail de secrétaire et lui fut embauché, grâce à sa corpulence et sa force, dans un magasin en tant que manutentionnaire. Il était fou d’elle ; c’était une adoration. Il avait rencontré des filles, mais cette femme-là était la partie manquante de son être, son alter ego, le chaînon manquant de ses chromosomes. Tout alla très bien au début. La situation privilégiée de la station balnéaire, les ballades en bord de plage et les soirées sous les tamarix. Mais il n’y a plus perfide que la répétition et quand les impératifs du travail exigent de se lever tôt, de rentrer tard, on ne fait plus attention au cadre, si enchanteur soit-il. Il est des couples où l’un des deux aime plus que l’autre, mais il vaut mieux aimer un peu moins et plus longtemps, qu’un coup de foudre éphémère, qui ne laisse derrière lui que les cendres d’un amour consumé trop vite. La routine s’installa et avec elle les mille petits accrochages bénins qui font les grandes disputes. Lui revenait de sa dure besogne, harassé par la pénibilité des charges lourdes et les kilomètres à marcher dans des entrepôts parfois très éloignés les uns des autres. Moulu, les muscles douloureux, il s’affalait dans le canapé et s’endormait aussitôt. Il ronflait parfois ce qui lui faisait perdre des points au niveau de l’estime de son épouse. Béatrice au contraire, la tête prise par les listings, les courriers, les comptes-rendus et les fichiers clients de son entreprise, ne demandait qu’à sortir. Elle espérait ainsi faire le vide dans son esprit, afin d’évacuer cette pression permanente. Elle avait du mal à gérer le stress engendré par des responsabilités de plus en plus lourdes. Certes, elle ne subissait pas le harcèlement de ses supérieurs, mais la paie étant bonne elle se surpassait. Ce n’était pas le moment de se faire licencier pour faute professionnelle. Elle voulait faire sa place et abattait une lourde charge de travail, ce qui n’était pas bien sûr, du goût de ses collègues plus anciennes, qui la jalousaient ouvertement. Voir son homme étendu, endormi la bouche ouverte ne la satisfaisait pas. Elle avait le repas à faire et ce grand corps inerte l’agaçait. Elle ne lui en voulait pas, elle savait qu’il était vaillant et les contraintes demandées très physiques, mais à quoi avaient servi la plupart de ses études à l’Université, sinon pour finir dans cette entreprise de stockage. Sur le rebord de la fenêtre, une grosse mouche bleue se lissait les ailes avec application. À cette altitude, elle ne risquait pas l’attaque de prédateurs. Elle ne vit que trop tard l’ombre grise du lézard qui d’un seul coup de langue l’avala en entier… — Il va falloir que cela change ! Fit-elle sentencieusement, moi, j’ai vraiment besoin de sortir, de m’amuser, je ne vais pas consumer ma jeunesse en métro-boulot-dodo ! Elle ressentit tout à coup une oppression bizarre et eut du mal à respirer. En même temps, en regardant en bas, elle vit à l’extérieur une colonne tourbillonnante de poussières où virevoltaient un nombre impressionnant de branches et d’objets en tous genres, monter à l’assaut de l’immeuble. — Une mini tornade s’exclama-t-elle ! Les grandes baies vitrées explosèrent d’un coup sous la pression du vent, projetant dans le salon et la salle à manger une myriade d’éclats de verre. Béatrice avait eu le temps de se jeter à plat ventre sur le sol, mais Alexandre endormi, se réveilla en sursaut et reçut un tesson acéré en plein milieu du front. La blessure était profonde ; il se mit à saigner abondamment. Elle se précipita vers lui et tenta de stopper l’hémorragie avec une serviette de bain. De toute part, des alarmes de voitures se déclenchèrent dans un concert assourdissant et des habitations, ébranlées par la brutalité du phénomène, on entendait les cris des personnes blessées réclamant de l’aide. Le vent se calma d’un coup et une pluie fine et grise se mit à tomber. Comme tous les matins, Catherine Ménard, infirmière diplômée d’état, achevait les soins aux indigents de la maison de retraite, Le Paradis des Anciens. Comme tous les matins, elle montait à l’étage par le grand escalier de bois. À ce niveau, des odeurs douteuses de latrines assaillaient ses narines. Elle ne s’y habituait pas. Les chambres s’ouvraient sur des théories de fauteuils roulants occupés par des personnes grabataires. Régulièrement, elle apercevait le fourgon funéraire garé devant le dépositoire. Des servants tout en noir, emportaient en catimini la pauvre chose flétrie d’avoir vécu trop longtemps. Les consignes du directeur étaient claires, il ne fallait pas que les vieilles personnes se rendent compte de la mort de l’un de leurs colocataires.Cela aurait un effet désastreux pour une maison où la réputation de longévité était reconnue. Le manque à gagner eut été préjudiciable pour la bonne marche des affaires. Le décès d’un occupant devenait rentable lorsqu’il survenait juste après l’obtention de la pension. Dans l’après-midi qui suivait, il fallait libérer la chambre et souvent les héritiers laissaient habits et petits matériels qui n’étaient pas perdus pour tout le monde. Avec un art consommé, sous la houlette du maître de cérémonie ils soulevaient le cercueil pour le faire glisser à l’arrière du véhicule. Nulle fleur, pas de couronne, l’incognito le plus total. Quelle tristesse cette fin de vie, songeait-elle. Finir dans ce mouroir et regarder pour toute distraction les nuages en liberté derrière les fenêtres armées de grands barreaux, car certains se suicidaient en se jetant du haut des étages. Elle bandait des jambes difformes, passait de la crème sur d’énormes escarres, faisait des toilettes, changeait les couches des incontinents. Elle faisait aussi des piqûres d’antibiotiques aux bronchiteux chroniques et pratiquait de nombreuses prises de sang pour des analyses ultérieures. Les résidents attendaient fiévreusement sa venue, car elle était porteuse de nouvelles fraîches de l’extérieur. On lui demandait où en étaient la vigne, les pommes de terre, les nouvelles maisons, si telle personne qu’elle soignait à domicile était encore en vie, etc. Elle assistait parfois aux repas du restaurant. Il y avait deux services. Le premier à 11 h 30 destiné aux résidents grabataires de Gire 5 qu’il fallait faire manger. Les filles de salle, qui se succédaient à un rythme effréné, ne se montraient pas toujours gentilles. Certaines invectivaient les vieillards par trop réfractaires à la nourriture lorsqu’ils contemplaient sans comprendre, le plat qu’ils avaient devant eux.
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