Chapitre 1 : L'ombre de la solitude
Savannah
Je n'ai jamais su ce que c'était d'être normale. Depuis ma naissance, j'ai porté sur mes épaules un poids invisible, un poids que personne ne semblait comprendre, pas même moi. Je vivais dans un petit village isolé, où les regards étaient plus tranchants que les épées, et où les mots blessants résonnaient bien plus fort que n'importe quelle attaque physique. Ma mère m'avait toujours dit de ne jamais me laisser abattre, mais comment ignorer les chuchotements derrière mon dos, les gestes répétés de mépris, et les mots de haine qui me hantaient à chaque instant de ma vie ?
Je n'ai jamais été acceptée, jamais bien accueillie. Depuis que je pouvais marcher, je savais qu'il y avait quelque chose de différent en moi. Les autres enfants me regardaient de travers, leurs parents me fuyaient, et chaque jour était un combat pour essayer de survivre dans un monde qui me rejetait. Mon père ? Je ne l'ai jamais connu. Ma mère m’a toujours dit qu'il était parti avant ma naissance, et il n'a jamais refait surface. Je n'avais donc que ma mère, qui m'élevait seule, et pourtant même elle semblait avoir du mal à me comprendre.
Elle n'avait pas ces yeux qui brillaient comme les miens, ni ces instincts sauvages qui me dévoraient chaque nuit. Elle me disait souvent que j'étais un « monstre », un monstre qui devait se cacher, se taire et ne jamais laisser qui que ce soit découvrir la vérité. Mais cette vérité... cette vérité que je ne pouvais même pas comprendre, elle me rongeait de l'intérieur.
Parfois, je me réveillais en plein milieu de la nuit, mes mains couvertes de sueur, un grondement sourd dans ma gorge. Des visions fugaces d’un monde que je ne connaissais pas me traversaient l’esprit. Et alors, cette sensation de chaleur, de pouvoir, d’énergie dévorante, me paralysait. Mais ce n'était jamais plus que des rêves, des illusions, des fragments d'une réalité qui m'échappait.
Je n'étais pas comme les autres jeunes filles du village. Je n'étais pas humaine, pas vraiment. Il y avait quelque chose en moi... quelque chose de bien plus ancien, plus sauvage. Mais comment expliquer cela à ceux qui me haïssaient déjà ? Qui pourrait comprendre que, au fond de mon âme, je n’étais ni tout à fait humaine, ni tout à fait quelque chose d'autre ?
Ce jour-là, comme les autres, j'étais allée chercher de l'eau à la fontaine. Je savais que c'était un prétexte pour que les gens m’évitent, mais parfois, c'était la seule façon de fuir. L’air était lourd et humide, et je sentais la brise d'été me caresser le visage, mais je n’y prêtais pas attention. L'odeur de l'eau fraîche était tout ce qui comptait.
Tout à coup, un cri retentit dans la rue, brisé et terrifié. Je me figeai. Mon cœur se mit à battre plus fort, mes sens s'aiguisèrent, et quelque chose en moi réagit, comme un appel primal. Je tournai la tête instinctivement, mes yeux se posant sur trois silhouettes qui s'avançaient dans la rue. Trois hommes, drapés dans des manteaux sombres, leurs visages partiellement dissimulés sous des capuches. Ils dégageaient une aura étrange, presque électrisante.
Mais ce n’était pas cela qui me fit m’arrêter. C’était autre chose. Un parfum qui m'envahit, un parfum à la fois envoûtant et mystérieux. C'était l'odeur de la terre humide après une tempête, mélangée à une touche de feu et de liberté. Un parfum qui me fit frissonner et qui, paradoxalement, me réchauffa aussi.
Mes yeux se posèrent sur eux, sur chacun d’entre eux. Un regard d’abord, puis un autre, et un dernier. Et là, ce fut comme si le monde s'était arrêté. Un de ces hommes, plus grand que les deux autres, croisa mon regard, et un étrange éclat passa dans ses yeux. C’était comme si, dans un instant fugace, il avait vu à travers moi, comme s’il connaissait déjà chaque fibre de mon être. Une sensation profonde d’angoisse et d'attirance naquit en moi en même temps. Ce n'était pas possible, je me disais. Mais pourtant, au fond de moi, je savais que c'était vrai.
Ils n'étaient pas comme les autres. Ils n’étaient pas humains.
L’un des hommes, celui qui semblait être le plus âgé, s’avança lentement, les yeux toujours rivés sur moi. Un frisson me parcourut, mais je n’arrivais pas à détacher mon regard du sien. Je savais qu’il ressentait ce même lien inexplicable. Un lien que je ne pouvais expliquer.
Et alors, une voix grave et profonde résonna dans l’air, un murmure presque inaudible mais puissant :
— "Elle est l'une de nous."
Je ne comprenais pas. Qu’est-ce qu’ils voulaient dire par là ? "L'une de nous" ? Qui étaient-ils, réellement ?
Mais plus encore, pourquoi ce lien ? Pourquoi cette sensation étrange qui me perturbait et m’attirait malgré moi ?
Je voulais fuir, mais mes jambes ne me répondaient plus. Et en moi, cette force inconnue montait, grandissait, prête à dévorer tout sur son passage. Je devais comprendre, je devais savoir ce qu'il se passait.
Mais avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, une main se posa doucement sur mon épaule. C'était lui, l'homme aux yeux perçants. Son toucher était à la fois brûlant et glacial, comme s’il était un feu dans un corps d’acier.
— "Ne t'inquiète pas, Savannah. Nous sommes ici pour te protéger."
Mon cœur s’emballa à l’entente de mon nom. Comment savait-il… ?
Il me regarda intensément, comme si il avait vu au fond de mon âme, et je compris, dans ce regard, que ma vie venait de changer pour toujours.
Je me tenais là, immobile, dans un état de confusion totale. Mes pensées tournaient en rond comme une tempête. Savannah. Comment pouvaient-ils savoir mon nom ? Comment ce groupe d’hommes, ces créatures qui n’étaient clairement pas humaines, pouvaient-ils avoir une telle connaissance de moi ?
Je me sentais soudainement vulnérable, exposée dans ma plus profonde intimité. Et pourtant, quelque chose en moi, un instinct primitif que je n'avais jamais eu le courage de comprendre, me poussait à ne pas fuir. Il y avait une sorte de vérité cachée dans leurs yeux, quelque chose de rassurant et de dangereux à la fois.