DEUXIÈME ÉPISODE - Le cousin Pons-4

3008 Words
– Vous ne voudriez pas de cet éventail, ma chère cousine, si vous deviez en donner la valeur, répliqua le pauvre homme offensé, car c’est un chef-d’œuvre de Watteau qui l’a peint des deux côtés ; mais soyez tranquille, ma cousine, je n’ai pas payé la centième partie du prix d’art. Dire à un riche : « Vous êtes pauvre ! » c’est dire à l’archevêque de Grenade que ses homélies ne valent rien. Madame la présidente était beaucoup trop orgueilleuse de la position de son mari, de la possession de la terre de Marville, et de ses invitations aux bals de la cour, pour ne pas être atteinte au vif par une semblable observation, surtout partant d’un misérable musicien vis-à-vis de qui elle se posait en bienfaitrice. – Ils sont donc bien bêtes les gens à qui vous achetez ces choses-là ?… dit vivement la présidente. – On ne connaît pas à Paris de marchands bêtes, répliqua Pons presque sèchement. – C’est alors vous qui avez beaucoup d’esprit, dit Cécile pour calmer le débat. – Ma petite cousine, j’ai l’esprit de connaître Lancret, Pater, Watteau, Greuze ; mais j’avais surtout le désir de plaire à votre chère maman. Ignorante et vaniteuse, madame de Marville ne voulait pas avoir l’air de recevoir la moindre chose de son pique-assiette, et son ignorance la servait admirablement, elle ne connaissait pas le nom de Watteau. Si quelque chose peut exprimer jusqu’où va l’amour-propre des collectionneurs, qui, certes, est un des plus vifs, car il rivalise avec l’amour-propre d’auteur, c’est l’audace que Pons venait d’avoir en tenant tête à sa cousine, pour la première fois depuis vingt ans. Stupéfait de sa hardiesse, Pons reprit une contenance pacifique en détaillant à Cécile les beautés de la fine sculpture des branches de ce merveilleux éventail. Mais, pour être dans tout le secret de la trépidation cordiale à laquelle le bonhomme était en proie, il est nécessaire de donner une légère esquisse de la présidente. À quarante-six ans, madame de Marville, autrefois petite, blonde, grasse et fraîche, toujours petite, était devenue sèche. Son front busqué, sa bouche rentrée, que la jeunesse décorait jadis de teintes fines, changeaient alors son air, naturellement dédaigneux, en un air rechigné. L’habitude d’une domination absolue au logis avait rendu sa physionomie dure et désagréable. Avec le temps, le blond de la chevelure avait tourné au châtain aigre. Les yeux, encore vifs et caustiques, exprimaient une morgue judiciaire chargée d’une envie contenue. En effet, la présidente se trouvait presque pauvre au milieu de la société de bourgeois parvenus où dînait Pons. Elle ne pardonnait pas au riche marchand droguiste, ancien président du tribunal de commerce, d’être devenu successivement député, ministre, comte et pair. Elle ne pardonnait pas à son beau-père de s’être fait nommer, au détriment de son fils aîné, député de son arrondissement, lors de la promotion de Popinot à la pairie. Après dix-huit ans de services à Paris, elle attendait encore pour Camusot la place de conseiller à la Cour de cassation, d’où l’excluait d’ailleurs une incapacité connue au Palais. Le ministre de la justice de 1844 regrettait la nomination de Camusot à la présidence, obtenue en 1834 ; mais on l’avait placé à la chambre des mises en accusation où, grâce à sa routine d’ancien juge d’instruction, il rendait des services en rendant des arrêts. Ces mécomptes, après avoir usé la présidente de Marville, qui ne s’abusait pas d’ailleurs sur la valeur de son mari, la rendaient terrible. Son caractère, déjà cassant, s’était aigri. Plus vieillie que vieille, elle se faisait âpre et sèche comme une brosse pour obtenir, par la crainte, tout ce que le monde se sentait disposé à lui refuser. Mordante à l’excès, elle avait peu d’amies. Elle imposait beaucoup, car elle s’était entourée de quelques vieilles dévotes de son acabit qui la soutenaient à charge de revanche. Aussi les rapports du pauvre Pons avec ce diable en jupons étaient-ils ceux d’un écolier avec un maître qui ne parle que par férules. La présidente ne s’expliquait donc pas la subite audace de son cousin, elle ignorait la valeur du cadeau. – Où donc avez-vous trouvé cela ? demanda Cécile en examinant le bijou. – Rue de Lappe, chez un brocanteur qui venait de le rapporter d’un château qu’on a dépecé près de Dreux. Aulnay, un château que madame de Pompadour habitait quelquefois, avant de bâtir Ménars ; on en a sauvé les plus splendides boiseries que l’on connaisse ; elles sont si belles que Liénard, notre célèbre sculpteur en bois, en a gardé, comme nec plus ultra de l’art, deux cadres ovales pour modèles… Il y avait là des trésors. Mon brocanteur a trouvé cet éventail dans un bonheur-du-jour en marqueterie que j’aurais acheté, si je faisais collection de ces œuvres-là ; mais c’est inabordable ! un meuble de Reisener vaut de trois à quatre mille francs ! On commence à reconnaître à Paris que les fameux marqueteurs allemands et français des seizième, dix-septième et dix-huitième siècles ont composé de véritables tableaux en bois. Le mérite du collectionneur est de devancer la mode. Tenez ! d’ici à cinq ans, on payera à Paris les porcelaines de Frankenthal, que je collectionne depuis vingt ans, deux fois plus cher que la pâte tendre de Sèvres. – Qu’est-ce que le Frankenthal ? dit Cécile. – C’est le nom de la fabrique de porcelaines de l’Électeur Palatin ; elle est plus ancienne que notre manufacture de Sèvres, comme les fameux jardins de Heidelberg, ruinés par Turenne, ont eu le malheur d’exister avant ceux de Versailles. Sèvres a beaucoup copié Frankenthal… Les Allemands, il faut leur rendre cette justice, ont fait, avant nous, d’admirables choses en Saxe et dans le Palatinat. La mère et la fille se regardaient comme si Pons leur eût parlé chinois, car on ne peut se figurer combien les Parisiens sont ignorants et exclusifs ; ils ne savent que ce qu’on leur apprend, quand ils veulent l’apprendre. – Et à quoi reconnaissez-vous le Frankenthal ? – Et la signature ! dit Pons avec feu. Tous ces ravissants chefs-d’œuvre sont signés. Le Frankenthal porte un C. et un T (Charles-Théodore) entrelacés et surmontés d’une couronne de prince. Le vieux Saxe a ses deux épées et le numéro d’ordre en or. Vincennes signait avec un cor. Vienne a un V fermé et barré. Berlin a deux barres. Mayence a la roue. Sèvres les deux LL, et la porcelaine à la reine un A qui veut dire Antoinette, surmonté de la couronne royale. Au dix-huitième siècle, tous les souverains de l’Europe ont rivalisé dans la fabrication de la porcelaine. On s’arrachait les ouvriers. Watteau dessinait des services pour la manufacture de Dresde, et ses œuvres ont acquis des prix fous. (Il faut s’y bien connaître, car, aujourd’hui, Dresde les répète et les recopie.) Alors on a fabriqué des choses admirables et qu’on ne refera plus… – Ah bah ! – Oui, cousine ! on ne refera plus certaines marqueteries, certaines porcelaines, comme on ne refera plus des Raphaël, des Titien, ni des Rembrandt, ni des Van Eyck, ni des Cranach !… Tenez ! les Chinois sont bien habiles, bien adroits, eh bien ! ils recopient aujourd’hui les belles œuvres de leur porcelaine dite Grand-Mandarin… Eh bien ! deux vases de Grand-Mandarin ancien, du plus grand format, valent six, huit, dix mille francs, et on a la copie moderne pour deux cents francs ! – Vous plaisantez ! – Cousine, ces prix vous étonnent, mais ce n’est rien. Non seulement un service complet pour un dîner de douze personnes en pâte tendre de Sèvres, qui n’est pas de la porcelaine, vaut cent mille francs, mais c’est le prix de facture. Un pareil service se payait cinquante mille livres, à Sèvres, en 1750. J’ai vu des factures originales. – Revenons à cet éventail, dit Cécile à qui le bijou paraissait trop vieux. – Vous comprenez que je me suis mis en chasse, dès que votre chère maman m’a fait l’honneur de me demander un éventail, reprit Pons. J’ai vu tous les marchands de Paris sans y rien trouver de beau ; car, pour la chère présidente, je voulais un chef-d’œuvre, et je pensais à lui donner l’éventail de Marie-Antoinette, le plus beau de tous les éventails célèbres. Mais hier, je fus ébloui par ce divin chef-d’œuvre, que Louis XV a bien certainement commandé. Pourquoi suis-je allé chercher un éventail, rue de Lappe ! chez un Auvergnat ! qui vend des cuivres, des ferrailles, des meubles dorés ? Moi, je crois à l’intelligence des objets d’art, ils connaissent les amateurs, ils les appellent, ils leur font : Chit ! chit !… La présidente haussa les épaules en regardant sa fille, sans que Pons pût voir cette mimique rapide. – Je les connais tous, ces rapiats-là ! « Qu’avez-vous de nouveau, papa Monistrol ? Avez-vous des dessus de porte ? » ai-je demandé à ce marchand, qui me permet de jeter les yeux sur ses acquisitions avant les grands marchands. À cette question, Monistrol me raconte comment Liénard, qui sculptait dans la chapelle de Dreux de fort belles choses pour la liste civile, avait sauvé à la vente d’Aulnay les boiseries sculptées des mains des marchands de Paris, occupés de porcelaines et de meubles incrustés. – « Je n’ai pas eu grand-chose, me dit-il, mais je pourrai gagner mon voyage avec cela. » Et il me montra le bonheur-du-jour, une merveille ! C’est des dessins de Boucher exécutés en marqueterie avec un art… C’est à se mettre à genoux devant ! « Tenez, monsieur, me dit-il, je viens de trouver dans un petit tiroir fermé, dont la clef manquait et que j’ai forcé, cet éventail ! vous devriez bien me dire à qui je peux le vendre… » Et il me tire cette petite boîte en bois de Sainte-Lucie sculpté. « Voyez ! c’est de ce Pompadour qui ressemble au gothique fleuri. » « Oh ! lui ai-je répondu, la boîte est jolie, elle pourrait m’aller, la boîte ! car l’éventail, mon vieux Monistrol, je n’ai point de madame Pons à qui donner ce vieux bijou ; d’ailleurs, on en fait des neufs, bien jolis. On peint aujourd’hui ces vélins-là d’une manière miraculeuse et assez bon marché. Savez-vous qu’il y a deux mille peintres à Paris ! » Et je dépliais négligemment l’éventail, contenant mon admiration, regardant froidement ces deux petits tableaux d’un laissez-aller, d’une exécution à ravir. Je tenais l’éventail de madame de Pompadour ! Watteau s’est exterminé à composer cela ! « Combien voulez-vous du meuble ? » « – Oh ! mille francs, on me les donne déjà ! » Je lui dis un prix de l’éventail qui correspondait aux frais présumés de son voyage. Nous nous regardons alors dans le blanc des yeux, et je vois que je tiens mon homme. Aussitôt je remets l’éventail dans sa boîte, afin que l’Auvergnat ne se mette pas à l’examiner, et je m’extasie sur le travail de cette boîte qui, certes, est un vrai bijou. « Si je l’achète, dis-je à Monistrol, c’est à cause de cela, voyez-vous, il n’y a que la boite qui me tente. Quant à ce bonheur-du-jour, vous en aurez plus de mille francs, voyez donc comme ces cuivres sont ciselés ! c’est des modèles… On peut exploiter cela… ça n’a pas été reproduit, on faisait tout unique pour madame de Pompadour… » Et mon homme, allumé pour son bonheur-du-jour, oublie l’éventail, il me le laisse à rien pour prix de la révélation que je lui fais de la beauté de ce meuble de Riesener. Et voilà ! Mais il faut bien de la pratique pour conclure de pareils marchés ! C’est des combats d’œil à œil, et quel œil que celui d’un juif ou d’un Auvergnat ! L’admirable pantomime, la verve du vieil artiste qui faisaient de lui, racontant le triomphe de sa finesse sur l’ignorance du brocanteur, un modèle digne du pinceau hollandais, tout fut perdu pour la présidente et pour sa fille qui se dirent, en échangeant des regards froids et dédaigneux : – Quel original !… – Ça vous amuse donc ? demanda la présidente. Pons, glacé par cette question, éprouva l’envie de battre la présidente. – Mais, ma chère cousine, reprit-il, c’est la chasse aux chefs-d’œuvre ! Et on se trouve face à face avec des adversaires qui défendent le gibier ! c’est ruse contre ruse ! Un chef-d’œuvre doublé d’un Normand, d’un juif ou d’un Auvergnat ; mais c’est comme dans les contes de fées, une princesse gardée par des enchanteurs ! – Et comment savez-vous que c’est de Wat… comment dites-vous ? – Watteau ! ma cousine, un des plus grands peintres français du dix-huitième siècle ! Tenez, ne voyez-vous pas la signature ? dit-il en montrant une des bergeries qui représentait une ronde dansée par de fausses paysannes et par des bergers grands seigneurs. C’est d’un entrain ! Quelle verve ! quel coloris ! Et c’est fait ! tout d’un trait ! comme un paraphe de maître d’écriture ; on ne sent plus le travail ! Et de l’autre côté, tenez ! un bal dans un salon ! C’est l’hiver et l’été ! Quels ornements ! et comme c’est conservé ! Vous voyez, la virole est en or, et elle est terminée de chaque côté par un tout petit rubis que j’ai décrassé ! – S’il en est ainsi, je ne pourrais pas, mon cousin, accepter de vous un objet d’un si grand prix. Il vaut mieux vous en faire des rentes, dit la présidente qui ne demandait cependant pas mieux que de garder ce magnifique éventail. – Il est temps que ce qui a servi au Vice soit aux mains de la Vertu ! dit le bonhomme en retrouvant de l’assurance. Il aura fallu cent ans pour opérer ce miracle. Soyez sûre qu’à la cour aucune princesse n’aura rien de comparable à ce chef-d’œuvre ; car il est, malheureusement, dans la nature humaine de faire plus pour une Pompadour que pour une vertueuse reine !… – Eh bien ! je l’accepte, dit en riant la présidente. Cécile, mon petit ange, va donc voir avec Madeleine à ce que le dîner soit digne de notre cousin… La présidente voulait balancer le compte. Cette recommandation faite à haute voix, contrairement aux règles du bon goût, ressemblait si bien à l’appoint d’un payement, que Pons rougit comme une jeune fille prise en faute. Ce gravier un peu trop gros lui roula pendant quelque temps dans le cœur. Cécile, jeune personne très rousse, dont le maintien, entaché de pédantisme, affectait la gravité judiciaire du président et se sentait de la sécheresse de sa mère, disparut en laissant le pauvre Pons aux prises avec la terrible présidente. – Elle est bien gentille, ma petite Lili, dit la présidente en employant toujours l’abréviation enfantine donnée jadis au nom de Cécile. – Charmante ! répondit le vieux musicien en tournant ses pouces. – Je ne comprends rien au temps où nous vivons, répondit la présidente. À quoi cela sert-il donc d’avoir pour père un président à la Cour royale de Paris, et commandeur de la Légion-d’Honneur, pour grand-père un député millionnaire, un futur pair de France, le plus riche des marchands de soieries en gros ? Le dévouement du président à la dynastie nouvelle lui avait valu récemment le cordon de commandeur, faveur attribuée par quelques jaloux à l’amitié qui l’unissait à Popinot. Ce ministre, malgré sa modestie, s’était, comme on le voit, laissé faire comte. – À cause de mon fils, dit-il à ses nombreux amis. – On ne veut que de l’argent aujourd’hui, répondit le cousin Pons, on n’a d’égards que pour les riches, et… – Que serait-ce donc, s’écria la présidente, si le ciel m’avait laissé mon pauvre petit Charles ?… – Oh ! avec deux enfants, vous seriez pauvre ! reprit le cousin. C’est l’effet du partage égal des biens ; mais, soyez tranquille, ma belle cousine, Cécile finira par bien se marier. Je ne vois nulle part de jeune fille si accomplie. Voilà jusqu’où Pons avait ravalé son esprit chez ses amphitryons : il y répétait leurs idées, et il les leur commentait platement, à la manière des chœurs antiques. Il n’osait pas se livrer à l’originalité qui distingue les artistes et qui dans sa jeunesse abondait en traits fins chez lui, mais que l’habitude de s’effacer avait alors presque abolie, et qu’on rembarrait, comme tout à l’heure, quand elle reparaissait. – Mais, je me suis mariée avec vingt mille francs de dot, seulement… – En 1819, ma cousine ? dit Pons en interrompant. Et c’était vous, une femme de tête, une jeune fille protégée par le roi Louis XVIII ! – Mais enfin ma fille est un ange de perfection, d’esprit ; elle est pleine de cœur, elle a cent mille francs en mariage, sans compter les plus belles espérances, et elle nous reste sur les bras… Madame de Manille parla de sa fille et d’elle-même pendant vingt minutes, en se livrant aux doléances particulières aux mères qui sont en puissance de filles à marier. Depuis vingt ans que le vieux musicien dînait chez son unique cousin Camusot, le pauvre homme attendait encore un mot sur ses affaires, sur sa vie, sur sa santé. Pons était d’ailleurs partout une espèce d’égout aux confidences domestiques, il offrait les plus grandes garanties dans sa discrétion connue et nécessaire, car un seul mot hasardé lui aurait fait fermer la porte de dix maisons ; son rôle d’écouteur était donc doublé d’une approbation constante ; il souriait à tout, il n’accusait, il ne défendait personne ; pour lui, tout le monde avait raison. Aussi ne comptait-il plus comme un homme, c’était un estomac ! Dans cette longue tirade, la présidente avoua, non sans quelques précautions, à son cousin, qu’elle était disposée à prendre pour sa fille presque aveuglément les partis qui se présenteraient. Elle alla jusqu’à regarder comme une bonne affaire, un homme de quarante-huit ans, pourvu qu’il eût vingt mille francs de rente. – Cécile est dans sa vingt-troisième année, et si le malheur voulait qu’elle atteignît à vingt-cinq ou vingt-six ans, il serait excessivement difficile de la marier. Le monde se demande alors pourquoi une jeune personne est restée si longtemps sur pied. On cause déjà beaucoup trop dans notre société de cette situation. Nous avons épuisé les raisons vulgaires : « Elle est bien jeune. – Elle aime trop ses parents pour les quitter. – Elle est heureuse à la maison. – Elle est difficile, elle veut un beau nom ! » Nous devenons ridicules, je le sens bien. D’ailleurs, Cécile est lasse d’attendre, elle souffre, pauvre petite… – Et de quoi ? demanda sottement Pons. – Mais, reprit la mère d’un ton de duègne, elle est humiliée de voir toutes ses amies mariées avant elle. – Ma cousine, qu’y a-t-il donc de changé depuis la dernière fois que j’ai en le plaisir de dîner ici, pour que vous songiez à des gens de quarante-huit ans ? dit humblement le pauvre musicien. – Il y a, répliqua la présidente, que nous devions avoir une entrevue chez un conseiller à la cour, dont le fils a trente ans, dont la fortune est considérable, et pour qui monsieur de Marville aurait obtenu, moyennant finance, une place de référendaire à la Cour des comptes. Le jeune homme y est déjà surnuméraire. Et l’on vient de nous dire que ce jeune homme avait fait la folie de partir pour l’Italie, à la suite d’une duchesse du Bal Mabille. C’est un refus déguisé. On ne veut pas nous donner un jeune homme dont la mère est morte, et qui jouit déjà de trente mille francs de rente, en attendant la fortune du père. Aussi, devez-vous nous pardonner notre mauvaise humeur, cher cousin : vous êtes arrivé en pleine crise. Au moment où Pons cherchait une de ces complimenteuses réponses qui lui venaient toujours trop tard chez les amphitryons dont il avait peur, Madeleine entra, remit un petit billet à la présidente, et attendit une réponse. Voici ce que contenait le billet : « Si nous supposions, ma chère maman, que ce petit mot nous est envoyé du Palais par mon père qui te dirait d’aller dîner avec moi chez son ami pour renouer l’affaire de mon mariage, le cousin s’en irait, et nous pourrions donner suite à nos projets chez les Popinot. » – Qui donc monsieur m’a-t-il dépêché ? demanda vivement la présidente. – Un garçon de salle du Palais, répondit effrontément la sèche Madeleine. Par cette réponse, la vieille soubrette indiquait à sa maîtresse qu’elle avait ourdi ce complot, de concert avec Cécile impatientée.
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