La chambre d'Amanda était fabuleuse, dans les tons violets et bleus, avec tout le nécessaire d'un studio, avec sa propre salle de bain, son bar et son jacuzzi. J'étais émerveillée. Je suis allée me changer dans la salle de bain. J'ai enfilé un mini-short en cuir noir, un dos-nu noir à paillette avec un décolleté plutôt flatteur, et des sandales à talons en strass. Puis j'ai ouvert la porte pour qu'Amanda puisse venir se maquiller en même temps que moi.
- Attends, ne te maquilles pas tout de suite, on a largement le temps avant la soirée, ça te plairait que je te fasse des mèches vertes dans les cheveux ?
- Vertes ? Dis-je en faisant la grimace.
- Ton tatouage à des paillettes et fait des reflets verts, je suis sûr que ce sera formidable !
- Je te fais confiance.
Une demi-heure plus tard, je ne regrettais pas, c'était féerique. Amanda m'a lissée les cheveux et m'a fait une queue de cheval haute en laissant juste deux mèches devant. Elle m'a fait livrer une pizza pour le dîner, puis nous nous sommes maquillées et nous nous sommes vernies les pieds et les mains. J'ai mis de longues boucles d'oreilles que ma mère m'avait offertes peu de temps avant de tomber malade et que je n'avais encore jamais eu l'occasion de porter. Quelques bagues et bracelets et le tour était joué.
- Et ta sœur qui dit que tu n'as aucun goût pour la mode… Soupire Amanda. Si avec ça tu ne fais pas tomber les garçons, je ne sais plus qui je suis !
- Elle a tendance à inverser les rôles quand ça l'arrange. Mais là, tu me fais concurrence, lui dis-je en rigolant.
Toc ! Toc !
- Amanda, c'est Julian, s’il te plaît ouvre-moi.
- Va lui ouvrir Rose s’il te plaît, je n'ai pas terminé…
Je suis allée ouvrir la porte. Julian est resté bouche bée en me voyant.
- Ne reste pas là, entre, Amanda finit de se préparer, dis-je sèchement.
Il ne m'a pas quitté des yeux jusqu'à ce qu'Amanda, le ramène à la raison.
- On ne t’a donc jamais appris que c'était impoli de dévisager les gens de cette manière ?
- Excuse-moi… Me dit-il.
Je me suis contentée d’acquiescer en pinçant les lèvres pour retenir un sourire.
- Bon alors, qu'est-ce que tu voulais ?
- Un conseil.
- Pour ?
- M'habiller. Carra m'a fait une scène pour qu'on soit assortis.
J'ai explosé de rire. Ils m'ont dévisagé tous les deux.
- Toi aussi t'es tombé dans le panneau ? Pour info, elle leur fait ça à tous. Elle changera d'avis à la dernière minute et pour finir, tu te seras cassé la tête pour rien. Donc bien évidemment, tu auras le droit à un sermon comme quoi tu es nul et que tu n'y comprends rien aux filles… Ah, j'allais oublier, Carra finit toujours par coucher avec un autre garçon que celui qui l'a accompagné. Elle n'a jamais fait d'exception…
Ils étaient encore plus ahuris, et rien qu'à voir leur tête, mon hilarité est repartie de plus belle.
- Tu n’es pas sérieuse là ? Me demande Amanda, puisque Julian avait perdu la parole.
- Si, très sérieuse. Par moments, comme maintenant, je déteste ma sœur, mais cela ne m'apporte rien de lui nuire. Donc, je ne mens pas.
- Elle nous a venté être toujours vierge, parce qu'elle voulait être sûre que ce soit le bon, le jour où elle se ferait « déflorer », pour reprendre son expression.
- Parce que vous avez parlé de ça ? Ben dites donc, je ne vous pensais pas si intime… Enfin, je parle d'Amanda, bien sûr, dis-je avec un sourire moqueur.
- Rose… Me supplie Julian.
- Pour finir, mieux vaux que tu m'appelles Rosalyne, dis-je sèchement en retrouvant mon sérieux. Au moins, ce sera une chose qui me permettra de savoir où j'en suis. En tout cas t'es prévenu, et si tu veux vérifier que je ne mente pas, demande simplement à mon père si je sais mentir. Il n'y a que ma sœur pour croire tout ce que je lui dis ou presque… Amanda, je t'attends au bar…
Sur ce, je me suis éclipsée avant que les larmes ne me trahissent. Heureusement que j'avais investi dans du maquillage waterproof !
Je suis descendue au bar, les gens commençaient à arriver. Mon père est resté scotché en me voyant.
- Ma puce, tu es ravissante !
- Merci papa.
- Mais qu'est-ce que tu fais toute seule ?
- Amanda conseille son frère pour s'habiller… Tu veux bien m'offrir à boire ?
- D'accord mais n'en a***e pas.
- Ce n'est pas mon genre papa. Une bière me suffira, ensuite, je te promets de tourner à la limonade. J'ai juste besoin d'un petit remontant.
- Eh bien ! Tu as de la chance qu'il ne demande pas les cartes d'identité ici… Me souffle-t-il.
- Et toi, tu ne t'es pas fait de copains à la pétanque ?
- Oh si, ils ne devraient plus tarder.
Pendant que je sirotais ma bière à la cerise avec mon père, plusieurs jeunes hommes m'abordèrent, je les ai gentiment éconduits les après les autres. Certains, polis, n'insistaient pas, d'autres commençaient sérieusement à me taper sur le système. Ce n'est pas de cette manière que je souhaitais plaire.
- Est-ce que j'ai l'air d'avoir besoin de compagnie ? ! Finis-je par leur hurler dessus.
- Quelle tigresse, me fit remarquer mon père.
- Oui, je sais, ça vient de sortir, lui dis-je en rigolant.
Amanda est enfin arrivée. J’ai aperçu Julian et Carra passer derrière elle.
- Tu viens, je t'emmène à notre table VIP.
- La classe !
- Qu'est-ce que tu veux, c'est ça d'être les rois du camping !
- Tu parles, de sacrés campeurs, vous faites ! Vous dormez toutes les nuits dans un bon lit douillet !
Au fond de la salle, face à la scène, des tables basses rondes entourées de banquettes arrondies en velours rouge. Au-dessus de l'une d'elles, accrochée au mur, une plaque de bronze (du moins ça y ressemblait) indiquait : « V.I.P : Andrew ». Julian et Carra y étaient déjà.
- Amanda, je t'en pris ne me fais pas ça !
- Je veux voir la tête de Carra quand elle te verra.
Carra m'a regardé avec de gros yeux. Pour une fois, il n'y avait pas photo, j'étais sans aucun doute, plus jolie qu'elle. Son maquillage était aussi hideux que celui d'une fillette de six ans qui a joué avec le maquillage de sa mère, sa coupe de cheveux ridicule donnait l'impression qu'elle avait mi les doigts dans une prise électrique, et elle portait une simple jupe en jeans avec un débardeur rose à paillettes, qui aurait donné la nausée à n'importe qui. Elle avait dû changer mille fois d'idée pour aboutir à n'importe quoi. Enfin, si elle avait eu douze ans et qu'on était dans les années 80, ça aurait été joli… Seuls ses escarpins étaient sympas (évidemment c'étaient les miens !).
- Faut pas te gêner surtout ! Tu n’avais sûrement pas assez de choix dans ta propre valise à chaussures ! Dis-je en shootant dans ses pieds qu'elle avait impoliment posés sur la table.
- Et comme prévu, Julian était resplendissant, vêtu d'un simple pantalon de costume noir et d'une chemise blanche aux rebords bleus qui lui saillait à merveille. Je sentais les effluves de son parfum me coller à la peau, me donnant la sensation qu'il était mien, tout mon corps vibrait comme pour me le confirmer, alors que mes yeux me prouvaient que ce n'était pas le cas. À les regarder ainsi, j'en avais le tournis. Je me suis donc installée dans un coin en sirotant ma bière que j'avais amenée, me tournant vers la scène pour tenter d'ignorer leur présence. Expérience relativement compliquée quand je savais leurs regards peser sur moi.
La soirée a débuté avec plusieurs types, déjà pas mal soûls, qui sont montés sur scène pour chanter et qui ont eu le mérite de nous faire rire. Évidemment Carra a voulu faire sa maligne en chantant à son tour, mais si elle n'a pas reçu de tomates, c'était limite. Les types soûls avaient moins l'air idiots qu'elle. Certains lui lançaient des obscénités, d'autres lui disaient d'aller se cacher et d'autres faisaient comprendre leur impatience au DJ.
- Ils ne savent vraiment pas ce que c'est que d'avoir du talent, se plaignit-elle en revenant auprès de Julian.
Aucun d'entre nous n'a pris la peine de relever.
- Aller, maintenant à toi, me dit Amanda.
- Je ne voudrais pas faire honte à ma sœur, raillé-je.
- Rose, s’il te plaît, me demande Julian avec le regard le plus attendrissant qui soit, et qui lui a valu un coup de coude dans les côtes de la part de Carra. Il n'a pas paru le sentir, elle, en revanche, oui ! Ce qui m'a fait sourire.
Ma sœur m'a fusillé du regard, et mon père est venu me voir juste au même instant, pour me demander d'aller chanter.
- Fais-nous honneur, me dit-il.
- Bon d'accord, mais Amanda tu chantes avec moi.
Et nous voilà toutes les deux sur scène à chanter « Love Me » de Justin Bieber (et ce n'est même pas nous qui avions choisi…). Tout le monde s'est mis à danser avec nous, et pour finir Amanda a entraîné le public pendant que je continuais de chanter. La salle était déchaînée, rire, joie et bonne humeur emplissait la piste bondée de monde. Seule Carra est restée dans son coin. La chanson terminée, nous avons eu les applaudissements du public qui en réclamait encore. Nous avons donc enchaîné avec un tube de l'été qui fait fureur en ce moment. Et Carra s'est enfin levé pour aller danser. J'ai promis une dernière chanson avant de passer la relève au DJ. Nous étions à bout de souffle et Amanda m'a abandonnée sur scène pour aller se désaltérer. Le public réclamait des larmes, (tout le monde avait chaud et avait certainement besoin de se calmer pour reprendre sa respiration) alors, je me suis mise au piano et j'ai chanté une chanson d'amour douce et mélancolique. Carra a fait exprès d’entraîner Julian juste devant la scène pour danser leur slow et me faire enrager, ce qui a parfaitement fonctionné, mais j'ai pris grand soin de ne rien faire paraître (du moins, je l'espérais). À la fin, beaucoup pleuraient, alors j'ai motivé les troupes avant de quitter la scène.
- Et maintenant DJ ! ! ! Bonne soirée, éclatez-vous bien ! !
Il a lancé de la musique techno et je suis descendue, il m'a été difficile d'atteindre la sortie avec toute la foule qui s’agglutinait autour de moi et les types éméchés qui recommençaient à danser comme des dégénérés après avoir pleuré comme des bébés.
- C'était génial ! S'écrie Amanda en arrivant dehors. Ta voix est fantastique !
- Merci, mais là, ma voix et ma tête ont besoin de repos.
- OK, on va où ?
- Sur le plateau des rocheuses « du Loup blanc », j'adore cet endroit. Mais tu n'es pas obligée de m'accompagner, va donc t'amuser encore un peu ! Lui dis-je en souriant.
- C'est ça, et te laisser toute seule ? Pas question, je viens avec toi, tu as déjà oublié ce que je t'ai dit à la piscine ou quoi ?
C'est ainsi qu'elle a passé son bras sous le mien et m'a entraînée en direction du plateau. C'était sportif de traverser le camping et les bois en talons, entre les cailloux et la terre, mais nous avons bien ri, nous retenant l'une l'autre pour ne pas tomber.
Nous nous sommes adossées à mon arbre et nous avons admiré le coucher de soleil en silence. Progressivement, mon dos s'est remis à me gratter.
- Oh zut !
- Quoi ?
- Mon dos…
Je recommençais à frotter comme je pouvais, d'abords avec une banche tombée, puis comme un ours contre le tronc, mais rien n'y faisait, ça me brûlait, la douleur devint rapidement insoutenable.
- Amanda aide-moi je t'en pris !
La panique s'emparait de moi et ma respiration s'accélérait alors que je me tortillais dans tous les sens.
- Mais qu'est-ce que je peux faire ?
- Ta main, pose ta main !
Elle a posé sa main, mais ça ne m'a rien fait, bien au contraire, c'est elle qui s'est brûlée la main.
- Ça ne marche pas ! Pourquoi ça ne marche pas ? Sangloté-je.
- J'appelle Julian, je crois qu'il est le seul à pouvoir faire quelque chose ! Ta peau est brûlante, même pour moi ! !
Je sentais la panique dans la voix d'Amanda. Complètement recroquevillée sur moi-même, j'essayais de contenir mes cris de douleurs. Je sentais le feu envahir mon corps, qui tremblait comme une feuille à l'automne, et la sueur perler sur mon front. Les larmes inondaient mes joues et Amanda faisait les cent pas en ne cessant de me regarder toutes les cinq secondes en grimaçant de plus en plus. Cinq minutes ont passé, mais le temps me paraissait affreusement long.
- Rose ! S'écrie Julian.
Je ne pouvais pas bouger, j'avais trop peur que la douleur explose au point de m'en arracher la peau.
- Pourquoi as-tu été si long ? Demande Amanda.
- Je suis désolé, mais Carra ne voulait pas me lâcher et il y avait bien trop de monde dans le camping, c'est la folie ce soir… Rose, je suis là, ça va aller… Me chuchote-t-il en s'agenouillant à mes côtés.
Il a posé sa main sur mon dos, mais cette fois, ça a été plus long avant que toute la douleur se dissipe.
- Tu ne peux plus le nier Julian, regarde ! S'exclame Amanda.
Je n'avais aucune idée de ce dont elle pouvait bien parler. Quand, enfin, j'ai senti la fraîcheur de la main de Julian dans mon dos, les tremblements se sont arrêtés et je me suis redressée doucement. J'avais la sensation que des milliers de petits ruisseaux glacés se déversaient de la paume de Julian jusque dans les moindres petites cellules de mon corps. Tout en gardant sa main sur moi, il s'est assis et m'a serré contre lui. Amanda épongeait mon visage et mon cou. Mes paupières s'alourdissaient, mais j'étais encore à demi consciente.
- Amanda… Que se passe-t-il ? Lui demandé-je péniblement.
Elle n'a pas répondu.
La tête contre le torse de Julian, j'ai remarqué que je ne percevais aucun battement de cœur, seulement le rythme régulier de sa respiration. Je me suis calquée sur elle pour me calmer.
- Julian… Ton cœur… Je ne l'entends pas… Soufflé-je.
Il n'a pas répondu non plus. J'ai seulement senti ses lèvres glacées et tendues contre mon front. La douleur a enfin fini par s’effacer complètement et j'ai sombré dans un lourd sommeil.