Jalousie.

3080 Words
* Rose * - Rosalyne  ! Dépêche-toi ! Papa nous attend dans la voiture depuis déjà dix minutes ! ! - Carra, je t'ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça ! - Alors active-toi  ! Carra, c'était ma sœur, elle n'était que d'un an mon aînée, mais depuis que maman était morte, elle se croyait obligée de faire la loi entre nous, au lycée comme à la maison, où même là, mon père n'avait parfois pas son mot à dire ! Cela faisait bientôt deux ans que ça durait… Heureusement, elle partait à l'université en septembre, et je n'avais plus que deux mois à la supporter tous les jours, ou presque. Moi, c'est Rosalyne, mais tout le monde m'appelle Rose, même au lycée les profs étaient aux parfums. Je déteste mon prénom, c'est celui que portait ma grand-mère paternelle, une odieuse vieille mégère qui avait absolument tenu à ce que son prénom soit perpétué. Mon père qui en avait toujours eu peur, avait regretté de le lui avoir refusé le jour où ma sœur est née : - Nathan ! Comment as-tu pu me faire une chose pareille ! Bafouer dix générations de tradition familiale, toi qui sais combien il m'a été triste de ne pas avoir de fille à qui transmettre ce si merveilleux prénom de notre tendre ancêtre, la princesse Rosalyne De Lys ! Il était de ton devoir d'en assurer la suite… Maman m'avait raconté cette histoire nombre de fois, le monologue de grand-mère n'en finissait plus et papa ne savait plus où se mettre bien qu'il sache parfaitement, suite aux nombreuses recherches effectuées quand il était plus jeune, qu'aucune princesse Rosalyne De Lys n'avait existé en France, et que toute cette histoire était née de la lubie d'une vieille femme de la famille ayant fait promettre, sur son lit de mort, à sa petite fille, que chaque nouveau-né de s**e féminin d'une nouvelle génération porterait son nom pour ne pas être oubliée. Grand-mère était tellement folle, qu'elle croyait chaque jour un peu plus à cette histoire, et l'avait rabâchée à mon père depuis qu'il avait compris que ce n'était pas la cigogne qui apportait les bébés. Heureusement pour moi, la vieille était morte alors que j'avais tout juste cinq ans, mais cela a suffi pour que j'écope de son prénom et qu'elle me traumatise avec les brocolis. Ma mère qui n'aimait pas non plus ce prénom, avait cependant accepté que je le porte parce qu'elle pouvait m'appeler Rose, et c'était sa fleur préférée. Du coup, la plupart des gens me connaissaient sous le nom de Rose Bower. Ma sœur faisait exception à la règle quand elle était en rogne, comme ce jour-là par exemple. Le lendemain, c'était mon anniversaire, je fêterais mes dix-sept ans et papa m'avait promis depuis Noël, de nous emmener faire de l'escalade dans le Canyon de l'étrange. Je sais, c'est nul comme nom, mais il venait d'ouvrir et j'avais entendu dire qu'il était fantastique (sans mauvais jeu de mot). Le site qui avait été laissé à l'abandon durant plusieurs décennies, avait complètement été réaménagé. Il avait été baptisé ainsi, parce qu'une légende disait, qu'au fond des gorges, se trouvait tout un monde de fées, de magie, de vampires et de bien d'autres créatures encore. Cela faisait près d'un siècle que personne n'y avait mis les pieds, juste par superstition. La rumeur disait que c'étaient des Anglais qui avaient acheté le terrain, et évidemment ça ne faisait pas plaisir à tout le monde. Nous y fêterions mon anniversaire, mais également le début des vacances d'été. Alors, nous voilà parti pour toute une semaine en famille rien que pour le plaisir de grimper, d'affronter la montagne et le danger qui rôde tout autour de nous à chaque instant. C'était aussi la seule occasion pour moi de pouvoir prendre un peu de couleurs, dans ce lieu magnifique, c'était le seul endroit en France, où il ne pleuvait qu'une fois l'an. - Et ben, c'est pas trop tôt, les filles ! - Désolée, papa, je ne retrouvais pas mon harnais fétiche. Carra s'est fait un plaisir de se moquer de moi, mais je me suis abstenue de répliquer. - Tu ne pouvais pas en prendre un autre ? Ronchonne mon père. - Non, le mousqueton de maman était sur celui-ci… Carra, qui riait encore comme une bécasse, s'est arrêtée net. Le souvenir de maman était pour nous trois, quelque chose de très important et nous le prenions tous très au sérieux. - Bon, ça y est, on peut enfin partir ? S'impatiente mon père. - À nous le Canyon de l’étrange ! Hurlé-je avec ma sœur. Comme nous avions plusieurs heures de route, voir plus, étant donné que ce petit paradis ne figure sur aucune carte et que seul le descriptif du prospectus publicitaire nous indiquait comment s'y rendre, je me suis installée confortablement sur la banquette arrière puisque Carra était, comme d'habitude, montée devant… - Eh  ! Ne mets pas tes pieds sur la banquette ! Hurle Carra. - Je te signale que je suis pieds nus ! Et toi, tu mets bien tes pieds sur le tableau de bord ! - Les filles, je ne veux pas vous entendre vous battre, ce n'est pas le moment. J'ai fusillé mon père du regard, parce qu'encore une fois, il ne m'avait pas défendu. Jamais il ne le faisait. C'était la solution la plus simple d'éviter un conflit avec ma sœur. J'ai enfoncé mes écouteurs dans mes oreilles et j'ai monté le son de mon IPod à fond, Carra s'est plongée dans la lecture d'une pièce de théâtre de Molière, qu'elle devait connaître par cœur pour le mois d'août. Malgré qu'elle ne soit absolument pas douée dans ce domaine, elle avait fait une crise à papa jusqu'à ce qu'il accepte de l'inscrire dans un stage de théâtre. Dans un sens cela arrangeait mes affaires, puisque cela l'occuperait tous les après-midi durant trois semaines. Mon père nous a réveillées vers midi, il s'était arrêté sur une aire d'autoroute pour que l'on puisse manger. Il avait une sainte horreur des miettes et des papiers dans la voiture, c'était tout juste si les bonbons étaient autorisés. Carra, qui n'avait pas aimé la remarque que papa nous avait faite au moment du départ, faisait toujours la tête. Nous avons mangé en silence, et chacun dans son coin, papa mangeait un énorme sandwich tout en marchant pieds nus sur l'herbe afin de se dégourdir les jambes avant de reprendre la route, Carra assise à une table grignotait des petits légumes crus, qu'elle piochait dans une boîte en plastique posé à côté d'elle d'un geste automatique en lisant son bouquin, tendit que moi, je pensais à tout ce que je pourrais faire pendant cette semaine, en mangeant des minis sandwichs, mon paquet de chips posé sur les genoux à l'ombre d'un arbre. Puis, nous sommes repartis dans la même ambiance silencieuse. - Vous allez continuer à vous faire la tête longtemps ? A demandé mon père pour tenter de rompre le silence pesant de l'habitacle. Nous n'avons pas répondu. Elle, parce qu'elle boudait comme une enfant gâtée, et moi pour ne pas remettre la furie en route. - Je vous signale que la règle d'or en montagne, c'est d'être unis et de se serrer les coudes en toutes circonstances, alors pas questions de se faire la tête. - Parfait, grogne Carra. Dans ce cas, j'ai encore deux heures devant moi pour faire la tête à ma guise ! Quelle pimbêche celle-là  ! Nous sommes arrivés au camping du canyon, vers quinze heures. Le temps de monter les tentes et de s'installer, et ce serait l'heure idéale pour entamer un week-end de grimpe. Le soleil commençait à descendre, et la fraîcheur à revenir doucement. Il vaut mieux ne pas commencer en cuisant comme un steak sur le grill. Évidemment le camping faisait honneur à la légende. Mon père a arrêté la voiture devant une barrière en bois, striée de traits rouges et de b****s réfléchissantes, pour être visible par les véhicules la nuit. Sur la gauche, une femme d'un certain âge, les cheveux gris chatoyants, était installée dans un petit cabanon portant l'intitulé « accueil ». Après un bref échange avec mon père pour valider notre nom dans l'ordinateur que j’apercevais à peine, elle lui tendit un plan et trois bracelets en plastique portant le nom du camping, en lui indiquant : - Emplacement 4B dans l'Allée des fées, tout de suite à gauche puis première à droite. Quelqu'un viendra vous voir dans la soirée pour vous faire signer la feuille d'arrivée et vous apporter la clé de la borne électrique. Bonne après-midi et bienvenue chez nous, lui dit-elle avec un sourire sincère. - Merci beaucoup, bonne après-midi à vous. Elle a fait signe à un agent de sécurité assit sous un parasol au bout de la barrière pour qu'il nous ouvre, celle-ci s'ouvrait manuellement, pour plus d'authenticité, j'imagine, et nous sommes entrés dans un camping forestier. De grands arbres trônaient un peu partout, apportant de l'ombre là où il faut et laissant le soleil inonder de lumière partout ailleurs, un juste équilibre qui me plaisait bien. Les emplacements étaient séparés par d'épaisses et hautes haies, permettant d’apercevoir seulement les têtes des personnes les plus grandes. Les pancartes des allées étaient en bois verni et décorées en fonction du nom qu'elles portaient. Donc sur celles de notre allée, il y avait sur chacune d'elles le numéro de l'emplacement et une petite fée peinte, toutes uniques en leur genre et de différentes couleurs, il n'y en avait pas deux pareilles. Celle de l'emplacement 4B était bleue et verte avec les cheveux marron et des sandales de lierre. J'étais fascinée par les détails. L'administration, les sanitaires et autres structures étaient toutes faites de rondins de bois. Et les lampadaires étaient des lampions de verre avec de grosses bougies à l'intérieur, qui devaient être allumées à la tombée de la nuit et éteinte aux premières lueurs du jour, me suis-je dis. Tandis que je m'émerveillais, Carra frissonnait. - Il n'y avait que toi, pour demander à papa de nous emmener dans un truc pareil ! Bougonne-t-elle. - Ne me dis pas que tu as peur  ! - J'espère au moins qu'il y aura des beaux garçons, élude-t-elle avec désinvolture. - Ah oui  ? Et qu'est-ce que tu fais de Thomas ? - Oh, c’est fini. J'ai préféré rompre avant les vacances, c'est mieux comme ça, en plus on ne se verra plus l'an prochain, il part étudier à Paris. Et les artistes ce n’est pas ma tasse de thé. - Parce qu'être actrice ce n'est pas être une artiste peut-être ! M'exclamé-je ahurie une fois de plus par cette attitude hautaine qu'elle prenait toutes les fois qu'elle se croyait au-dessus de tout et de tout le monde. Ma sœur était horrible avec les garçons, enfin pas seulement, mais avec eux en particulier, elle pouvait avoir qui elle voulait, ils tombaient tous sous son charme, elle en faisait des pantins qu'elle manipulait à sa guise, une source de cadeaux à volonté, et les jetait sans pitié quand elle s'en lassait ou bien que le compte en banque du malheureux était à sec. Nous avons trouvé sans trop de difficultés notre emplacement, les A à gauche de l'allée, les B à droite, seize emplacements par allée, nous étions en plein milieu de la nôtre, et au grand bonheur de ma sœur, nous n'étions pas trop loin des douches, qui se trouvaient être dans le bâtiment au bout de l'allée, visible depuis là où nous nous trouvions grâce au panneau installé sur le toi avec un joli dessin très explicite. - Pourquoi, tu as peur de te fouler une cheville en allant aux toilettes ? Raillé-je. - C'est ça, moque-toi, mais je suis presque sûr qu'il y a des ours qui traînent ici la nuit ! Le pire, c'est qu'elle avait vraiment l'air d'être sérieuse. J'ai aidé mon père à monter les tentes, parce que ma sœur était trop fainéante pour bouger le petit doigt. Elle était en train de se crémer les mains. - Ce n'est pas franchement le moment de faire ça, Carra ! Lui dit mon père vaguement irrité par son attitude de poupée mannequin. - Je ne tiens pas à avoir les mains toutes abîmées après avoir escaladé tout l'après-midi. - Si maman nous a acheté des mitaines ce n'est pas pour qu'elles pourrissent dans le fond du placard ! M'énervé-je. - Je n'y peux rien si vous n'avez aucun goût, ce n'est pas du tout esthétique ! Je veux être à la pointe de la mode, même dans les rocheuses et quelle allure vais-je avoir en rentrant si je bronze seulement aux bouts des doigts, franchement ! - Les garçons se moqueront bien que tu sois à la pointe de la mode quand tu serras dans un cercueil, à cause de tes âneries ! Hurlé-je encore. Vexée, elle a rangé son tube de crème hydratante dans sa trousse de toilette, qui n'en est même plus une, mais presque une valise étant donné la taille, et elle est partie arpenter les allées du camping, pendant que nous continuions de lui installer ses affaires. - Papa, pourquoi tu fais ça ? - Faire quoi  ? - Tu la laisses faire ses caprices d'enfant gâtée, pourquoi on ne la laisserait pas se débrouiller avec ses affaires pour une fois ! - Je ne sais pas… Notre attitude, tant celle de ma sœur que la mienne, désespérait profondément mon père. Il avait horreur de nous voir nous disputer, mais je ne savais plus comment m'y prendre avec elle. Quoi que je puisse faire, ça terminait systématiquement en dispute. Mon père avait abandonné depuis longtemps l'idée de faire de ma sœur une fille bien élevée, c’est-à-dire à peine deux mois après le décès de ma mère, tellement elle est devenue infecte du jour au lendemain. Quand tout a été prêt, je me suis changée et j'ai enfilé mon équipement. J'ai également placé mon téléphone portable dans une poche ainsi que mon couteau suisse et une barre de céréales dans l'autre. Ma sœur est revenue au moment où je m'apprêtais à l'appeler. Elle s'est changée et nous sommes allés sur la première étape du parcours de grimpe, catégorie bleu donc simple, mais très bien pour un échauffement. Comme pour les pistes de ski, le domaine avait classé par catégories de couleurs la difficulté des falaises d'escalade. Blanc pour l'apprentissage et les débutants, puis bleu, vert, orange, rouge et noir, du plus simple au plus dur. Nous aimions commencer en douceur. - Bon les filles, vous êtes prêtes ? - Prêtes  ! Répondons-nous avec beaucoup d’enthousiasme et le sourire sur nos deux visages, ce qui ravit mon père. - À partir de maintenant, il n'y a que la montagne et notre sécurité qui comptent. Alors, on oublie les querelles, et on s’amuse ! Nous avons acquiescé de conserve et nous nous sommes serrées la main en signe de trêve. - Vérifiez vos nœuds et mousquetons. Il a vérifié derrière nous et nous avons fait pareil pour les siens. « Quatre yeux valent mieux que deux » avait dit un jour ma mère. - Rose, tu passes devant, Carra tu la suis et moi, je ferme la marche. - Pourquoi c'est toujours elle qui passe devant ? Grogne Carra comme à son habitude. - Parce qu'elle est plus expérimentée que toi ! Maintenant obéis ou reste sur place. Mon père faisait enfin preuve d'autorité, et comme cela concernait nos vies, Carra n'a pipé mot. L'avantage ici, c'est que je n'avais pas besoin de planter moi-même les pitons de sécurité, des tiges filetées de diamètre plutôt large qui formait une boucle avaient été implantées dans la roche en divers et multiples endroits. Probablement pour garantir la sécurité des clients. La montée s'est faite tout en silence. Nous nous sommes arrêtés au sommet pour admirer la vue et prendre quelques photos, puis nous sommes redescendus au coucher du soleil. - Merci papa, c'était fabuleux ! Dis-je sur le chemin qui nous ramenait au campement. - C'était encore mieux que ce que nous décrivaient les brochures et le site d'informations. Et je crois qu'une bonne douche nous ferra du bien. - Ça, tu l'as dit  ! - Enfin des mots qui sonnent justes à mes oreilles ! S'exclame Carra. Mon père et moi avons éclaté de rire. Je crois que si Carra pouvait se doucher à chaque fois qu'elle avait les mains sales, elle le ferrait. Nous sommes rentrés au camping et après avoir attrapé trousse de toilette et serviette de bain, nous nous sommes précipités dans les douches. Je suis restée un long moment sous le jet d'eau chaude pour détendre mes muscles, afin de ne pas être courbaturée le lendemain, avant de m'envelopper dans ma serviette. Puis j'ai mis une robe en coton blanc et mes tongs en plastique, je me suis brossée rapidement les cheveux et les ai laissés sécher à l'air libre. Mes boucles étaient beaucoup plus jolies quand elles avaient séché naturellement. Quand je suis sortie de la cabine, Carra était bien évidemment devant les miroirs en train de se maquiller. - À quoi ça te sert, il n'y a pas de soirée de prévue aujourd'hui et il est déjà plus de vingt heures. - J'ai remarqué quelques beaux garçons tout à l'heure… Tu devrais essayer ça ne te ferait pas de mal de temps en temps. - D'une, je me maquille tous les jours pour aller au lycée, je n'ai juste pas besoin de ressembler à un pot de peinture, et de deux si les garçons ne m'aiment pas au naturel, je ne vois pas l'intérêt… D'ailleurs, quand maman était là, tu ne te maquillais pas autant et tu attirais quand même les garçons, je te rappelle ! Elle m'a ignorée en beauté et est retournée à la tente, tête haute. Je l'ai suivi en traînant les pieds. - Je vous présente mes filles, Carra et Rosalyne. Les filles je vous présente Julian, il est le petit-fils de Mme Andrew, la directrice du camping que nous avons vu à notre arrivée, à l’accueil. - Salut  ! Dit Carra en faisant sa charmeuse. - Bonsoir, répondis-je en échos à celui de Julian. Je lui ai à peine prêté attention, et je suis allée étendre ma serviette sur le fil à linge et ranger ma trousse de toilette dans la tente. Ma sœur s'attelait déjà à draguer le beau Julian.
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